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Le paradoxe de San Francisco : comment la ville la plus progressiste des États-Unis s’est vidée de sa population noire et ce que la France a à en apprendre
©Reuters

Ravages bobos

Ville progressiste par excellence, San Francisco est en train de voir sa population noire diminuer à vitesse grand V. Une situation qui s'explique entre autres par un phénomène de gentrification et de reconquête des centre-villes par les catégories les plus aisées, également visible en France.

Atlantico : La ville de San Francisco, ville symbole de la révolution numérique, gouvernée sans interruption par le Parti démocrate depuis 1964, a vu sa population noire fondre de 13% du total à 6% aujourdhui, soit 40 000 personnes. Comment expliquer un tel paradoxe, entre une ville considérée comme la plus progressiste des Etats-Unis, et une quasi disparition de sa population noire ? Ce phénomène de gentrification est-il purement américain ou s'agit-il d'une tendance globale ?

Laurent Chalard : Ce paradoxe n’est qu’apparent, étant une conséquence typique des phénomènes de gentrification, même si elle n’est pas universelle comme cela a pu être montré dans une récente étude concernant Philadelphie. En effet, la commune de San Francisco, ville-centre de 850 000 habitants d’une métropole comptant dix fois plus d’habitants en 2015, offre un cadre de vie particulièrement recherché par les cadres internationaux travaillant, entre autres, dans les hautes technologies, qui l’a rendu plus attractive que les autres communes de la métropole pour ces populations, à l’origine d’une forte augmentation des prix de l’immobilier. Il s’ensuit que les populations pauvres présentes à San Francisco depuis la Seconde Guerre Mondiale, soit une large partie de la population noire, sont contraintes de déménager vers des banlieues ou des villes périphériques moins aisées, aux prix de l’immobilier moins prohibitifs. Cependant, on constate une évolution spécifique à la communauté noire, qui est le départ aussi des populations les plus aisées, qui préfèrent vivre dans une commune à forte population noire plutôt que d’être isolés au milieu de populations différentes.

Le phénomène de gentrification des villes-centres n’est pas spécifiquement nord-américain, même s’il y prend aujourd’hui une ampleur plus importante qu’ailleurs, source de débats passionnés dans la presse, car les villes-centres avaient été largement délaissées par les populations les plus aisées au profit des périphéries pavillonnaires après la Seconde Guerre Mondiale. Ce phénomène se constate dans de nombreuses grandes métropoles des pays développés, où les anciens quartiers dégradés des villes-centres à l’architecture attrayante sont plébiscités par les cadres.

Quelles sont les différences avec la France ? Peut-on envisager pareil phénomène sur le territoire français ? Quelles sont les zones, villes, qui peuvent être concernées ? 

La principale différence avec les Etats-Unis concerne la situation sociale des villes-centres. En France, les catégories aisées n’ont jamais totalement délaissé le cœur des grandes métropoles, la gentrification ne correspondant d’une certaine manière qu’à l’extension des quartiers bourgeois à une large partie de la ville-centre, à Paris et Lyon tout du moins, où ce processus est le plus marqué. A contrario, outre-Atlantique, les catégories aisées ayant complètement déserté les villes-centres après la Seconde Guerre Mondiale pour l’entre-soi des suburbs, il s’agit donc d’une véritable reconquête des villes-centres de certaines grandes métropoles américaines par les catégories sociales supérieures en recherche d’une plus grande urbanité, c’est-à-dire celles offrant le cachet historique et paysagé le plus attractif, ce qui est incontestablement le cas de San Francisco. En effet, à Detroit, cela ne fonctionne pas !

Comme nous venons de l’évoquer, le phénomène de gentrification des villes-centres se constate donc aussi en France, et ce, depuis plusieurs décennies. On peut même dire qu’il est apparu dans notre pays avant les Etats-Unis, puisqu’à Paris, la gentrification du Marais remonte aux années 1960, à une époque où les villes-centres nord-américaines traversaient une crise profonde.

La plupart des villes-centres des grandes métropoles françaises sont concernées entièrement, ou la plupart du temps partiellement (seulement sur le "centre-ville" à proprement parler), par les processus de gentrification, qui parfois débordent sur les banlieues, Marseille en constituant une exception notable, la gentrification du centre-ville, voulue par la municipalité dans le cadre du projet Euroméditerranée, ayant du mal à prendre. En Île-de-France, la commune de Paris est concernée dans sa quasi-totalité, les poches de pauvreté du nord-est parisien ayant tendance à se réduire aux zones de logements sociaux. Le phénomène déborde désormais du Boulevard Périphérique sur certains quartiers des communes limitrophes, facilement accessibles par les transports en commun et offrant un tissu urbain attractif après rénovation, comme l’ensemble de la commune de Montrouge, le Bas-Montreuil à Montreuil, le centre-ville des Lilas… En Province, à Lyon, les deux quartiers populaires, anciens lieux de résidence privilégiés des ouvriers de l’industrie du textile, que sont la Croix-Rousse et Vaise, se sont fortement embourgeoisés depuis les années 1980. Des processus identiques se retrouvent à Lille dans le vieux-Lille puis désormais dans le quartier de Wazemmes, ou à Bordeaux, dans la partie méridionale du centre-ville et maintenant dans le quartier Saint Michel.

Faut il y voir le signe que le couple prospérité-diversité ne correspond pas à la réalité ? Quels sont les remèdes à apporter afin de rectifier cette situation ? En quoi l'intervention politique est-elle essentielle en l'espèce ?

Il est évident que prospérité économique et diversité socio-ethnique ne font pas bon ménage dans les grandes métropoles, pour la bonne raison que les différences sociales recouvrent aussi, bien souvent, des différences ethniques. En Europe, les populations autochtones sont bien plus riches que les immigrés extra-européens, alors qu’aux Etats-Unis, les Blancs non hispaniques et les asiatiques, nouveaux venus qui ont réussi, sont bien plus aisés que les Noirs et les Hispaniques.

Jusqu’ici, aucun remède n’a permis de rectifier cette situation, puisque les processus de gentrification réduisant la diversité sociale, et bien souvent la diversité ethnique lorsqu’elle recouvre la première, paraissent plus ou moins inéluctables, d’autant qu’ils sont encouragés aussi bien par les dynamiques d’un marché immobilier peu régulé que par les pouvoirs publics, qui voient d’un bon œil l’amélioration de l’habitat de leur commune. Le seul moyen qui pourrait éventuellement contrecarrer partiellement le phénomène serait que les communes périphériques réussissent à proposer une meilleure urbanité, les rendant plus attractives pour les catégories aisées.

Dans ce cadre, le rôle des édiles locaux est primordial car ce sont les seuls qui peuvent engager des politiques d’urbanisme permettant de rendre plus attractif des territoires qui manquent cruellement d’urbanité. En effet, malheureusement, de trop nombreux dirigeants politiques des communes périphériques des grandes métropoles négligent la qualité urbaine de leur territoire d’élection, ne comprenant pas le rôle de l’impact visuel et de l’atmosphère qu’offre une ville ou un quartier dans les choix résidentiels des habitants. Une meilleure formation en la matière serait nécessaire. Trop d’élus privilégient le quantitatif (c’est-à-dire le nombre de logements construits) au qualitatif (l’esthétique des nouvelles constructions et leur insertion urbaine), la politique actuelle du logement dans le cadre du Grand Paris, qui cherche à faire du chiffre, en étant malheureusement un exemple-type.

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