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Le paradoxe de "l'homme blanc hétérosexuel" : encore privilégié en tout selon l’Insee et pourtant cible quasi systématique d’une société obsédée par les discriminations
©Flickr/Sebastiaan ter Burg

Schizophrénie

Deux ans d'attente en plus pour un logement social pour un non-Européen, 6% de salaire en moins pour un homosexuel, plus de deux millions de malades et handicapés qui se sentent stigmatisés : les discriminations "se portent bien en France". C'est le constat des experts de l'Insee. Une obsession bien française de la discrimination en dehors des réalités de la société.

Atlantico : L’Insee a compilé onze études sur l’influence du sexe, de l’origine, de l’orientation sexuelle ou de l’état de santé sur les inégalités, dans sa revue Economie et statistique parue jeudi. Les discriminations « se portent bien » en France, selon les experts, « l’homme hétérosexuel est toujours privilégié ». Que peut-on dire de ce constat et de la méthode par laquelle il a été obtenu ? Comment le mettre en perspective, notamment sur la question des discriminations au travail quand on sait que les hommes blancs hétérosexuels représentent dans les faits la majorité de la population active ?

Jean-François Amadieu : S'agissant de l'origine nationale, ce n'est pas une surprise, en revanche sur le fait que l'hétérosexuel soit préféré ne constitue qu'une étude, la seule disponible sur les écarts de salaires. Il serait de 6% en défaveur des personnes homosexuelles. Mais il s'agit d'écarts salariaux, non pas d'accès à l'emploi. L'Insee veut mettre en avant la question de l'hétérosexualité et l'homosexualité, mais l'état de santé, et notamment le handicap, reste le motif de discrimination majeur. Autre point, totalement absent des statistiques, l'homme, ou la femme qui va être préféré, doit être "beau". Il y a quelques mois, le Défenseur des droits a commandé une étude à l'Ifop sur les discriminations à l'embauche, il en ressort que l'apparence physique est le facteur n°1. 

Un autre élément est absent de cet ensemble d'études, facteur majeur dans toutes les enquêtes dont on dispose, c'est l'âge. Le taux de chômage des seniors explose, les plus de 50 ans étant les plus exposés. Le jeune est préféré au sénior généralement. 

Il existe plus de vingt motifs de discrimination, et certaines dont on parle peu, notamment celle vis-à-vis des activités syndicales, qui apparaît pourtant beaucoup dans les enquêtes. De la même manière, on n'a rien sur les effets de l'origine sociale. Finalement, on donne l'impression que le plus important c'est la question de l'homme noir ou blanc, ou la question du genre. Une vision un peu simplificatrice et standard comparée à la réalité des discriminations.

Aymeric Patricot : Il serait absurde de nier l’existence de discriminations. C’est d’ailleurs un phénomène cruel, source de souffrances. De plus la crise n’arrange pas les choses : en période tendue, quand la survie de l’entreprise est en jeu, on imagine aisément qu’un recruteur puisse préférer les candidatures qui le « rassurent ». Cette forme de paresse n’en reste pas moins discriminatoire, et il est légitime que les puissances publiques luttent contre ce phénomène quand il est avéré

Cependant la présentation de ce genre d’enquête par des journalistes qui la concluent de manière abrupte par quelques formules choc, semble sous-entendre que le seul responsable de discriminations serait « l’homme blanc hétérosexuel ». Certains se permettent d’ailleurs d’utiliser parfois le mot « mâle », afin de bien souligner leur mépris. C’est une vision qui me paraît très politique, assez mensongère et pour tout dire porteuse d’une certaine agressivité. A l’heure où l’on claironne qu’il ne faut pas chercher de bouc émissaire, n’est-ce pas la voie que l’on choisit ici ? Désigner l’homme blanc comme coupable, de manière aussi générale, en refusant de voir que ce mot-là recouvre des situations vraiment contrastées, antagonistes parfois, n’est-ce pas adopter la démarche parfaitement symétrique, et donc complice, de certains partis que l’on désigne pourtant comme peu recommandables ?

Le raisonnement ne pourrait-il pas d’ailleurs être comparé à la fameuse affirmation d’Eric Zemmour pourtant largement condamnée par les médias ? De même qu’il justifiait l’existence de contrôles au faciès parce que « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes », certains se permettent d’affirmer que, dans la mesure où la plupart des riches sont des hommes blancs, alors il faut condamner l’homme blanc en tant que tel.

Quelques éléments de méthode, dans l'étude elle-même, m’interpellent.

Tout d’abord, le fait qu’on fasse appel aux « ressentis » des personnes étudiées. Intention louable, et que j’ai d’ailleurs fait mienne dans mon livre « Les petits Blancs ». Il est cependant problématique de fusionner des données purement statistiques avec des données aussi subjectives, car c’est donner une caution scientifique à des constats qui relèvent davantage, parfois, de l’émotion. Toute personne qui se sent discriminée ne l’est pas forcément, de manière objective. Si l'on veut tenir compte des subjectivités, alors l’honnêteté consisterait à donner la parole à chacun, y compris dans les rangs des employeurs et de ces « hommes blancs » que l’on accuse.

Ensuite, l’évacuation de questions de fond comme, par exemple, le niveau des diplômes en fonction des villes ou des régions. La valeur du bac varie sans doute beaucoup d’un établissement à l’autre – résultat, quoi qu’on en dise, d’une certaine discrimination positive – et s’il est donc vrai qu’à bac égal, tel étudiant trouvera plus facilement du travail, c’est que l’employeur sait parfois décrypter, ou croit savoir le faire, des données annexes. Certains seront racistes, mais d’autres tout simplement rationnels. Je pense qu’on sous-estime en France des difficultés scolaires qu’on ne veut pas reconnaître – et cela ne signifie pas, bien au contraire, qu’il ne faille pas lutter contre elles.

Dernier point, désigner « l’homme blanc hétérosexuel » comme privilégié se voit contredit par l’enquête elle-même, qui souligne par exemple la situation des handicapés. Parmi eux, on trouve évidemment des hommes blancs. Ces derniers peuvent donc bien être placés en situation de victime. Le fait que des journalistes résument l'ensemble de l'enquête par la mise en accusation de l'homme blanc relève ainsi, me semble-t-il, de l’imposture.

Comment expliquer le décalage entre ces statistiques et le sentiment d'abandon qui progresse chez beaucoup d'hommes "blancs hétérosexuels", sentiment sur lequel le parti de Marine Le Pen prospère ? 

Jean-François Amadieu : Il est absolument certain que les seniors hommes blancs sont très nombreux statistiquement et ils sont victimes de discriminations très importantes dans l'accès à l'emploi, donc un certain nombre d'individus sont concernés par le problème. Même principe, si vous prenez des hommes et femmes peu importe leurs origines qui sont frappés par des discriminations en raison de leur obésité par exemple ; je rappelle qu'il y a 15% de personnes obèses en France. Vous vivez des discriminations de ce type qui vous écarte de l'emploi et donc vous condamne systématiquement à la précarité. Tout le problème vient du fait que ce n'est pas à l'agenda politique, l'accent est mis sur les jeunes, sur la couleur de peau, sur la question des quartiers, les questions d'orientations sexuelles, mais les autres motifs de discrimination ne sont jamais traités. En oubliant d'en parler les pouvoirs publics laissent penser aux gens qu'ils ne traitent pas leur problème.

Aymeric Patricot : En pointant du doigt un seul coupable, beaucoup d’articles présentant ce genre d’étude ignore en effet, délibérément, une partie plus contrastée de la réalité. Non, « l’homme blanc » ne désigne pas une réalité homogène. Non, « l’homme blanc » n’est pas toujours coupable. Et ce sont ces slogans trop généraux, trop faciles, trop politiques, trop agressifs qui génèrent de la rancœur. Qui pourra faire croire que le SDF blanc reste un privilégié ? Que le « pauvre des campagnes » – souvent plus pauvre que le « pauvre de banlieue » - soit un « méchant raciste discriminant » ?

On s’étonne que les citoyens se détournent des partis traditionnels, des journaux institutionnels. Mais ces derniers expriment bien souvent du mépris à leur égard en les insultant, en leur faisant la morale quand la crise s’approfondit. En écrivant « Les petits Blancs », j’ai précisément cherché à montrer que dans une France plus « diverse » qu’auparavant, et qui se diversifie davantage encore chaque jour, il fallait dépasser les oppositions trop franches et ne pas fermer les yeux sur certaines réalités nouvelles.

En plus d'être inefficaces, ce que suggèrent les statistiques de l'Insee, les politiques de lutte contre les discriminations ont-elles été contre-productives ? Faut-il en déduire que ces politiques sont par nature vouées à l'échec ou que la manière dont on s'y est pris est mauvaise ?

Jean-François Amadieu : Le cadre légal en lui-même est extrêmement complet, le problème est plutôt du coté des orientations des politiques des entreprises et de la fonction publique. Ce qui ne permet pas de traiter convenablement les discriminations et même les accentuent. Par exemple, on n'a pas voulu anonymer les CV, pourtant c'est une bonne solution. On promeut les logiques de discriminations positives mais ce n'est pas absolument pas un moyen de combattre les discriminations, cela produit plutôt l'effet inverse.

Aymeric Patricot : Ces politiques de luttes contre les discriminations ne sont pas mauvaises en soi – sauf, bien sûr, quand elles prennent la forme vulgaire, particulièrement odieuse, de déclarations du type : « A compétence égale, on choisira (…) autre chose que le mâle blanc » (Anne Lauvergeon). Simplement, la vraie solution passe à mes yeux par une amélioration conséquente de la situation économique et par le redressement du niveau des élèves. La classe politique continue à s’accommoder de niveaux de chômage scandaleux et de la déroute partielle du système scolaire. Là se trouvent les vraies raisons des tensions ethniques !

Dernière remarque pour conclure : établir ce genre d’opposition frontale entre Blancs et non-Blancs sans tenir compte du contexte et de l’histoire, c’est délibérément ignorer la complexité des processus qui permettent à des populations pauvres, étrangères, de s’insérer peu à peu dans le tissu social français. Comment imaginer que des millions de « nouveaux Français » grimpent en quelques années, voire instantanément, l’échelle sociale ? Dire que les riches sont majoritairement blancs, c’est une évidence qui n’a rien de scandaleux : certes, il faudrait que les choses s’équilibrent, mais il ne faut pas laisser penser que la situation serait due à une sorte de complot raciste.

Comment pourrait-on s'y prendre différemment, notamment pour éviter de fracturer la société ?

Jean-François Amadieu : Pour éviter de fracturer, il faut surtout éviter d'exclure des types de discriminations. On laisse penser que l'on traite que quelques sujets, et les autres finalement ne sont pas importants. Dans les enquêtes menées par les pouvoirs publics, il faut absolument éviter de tordre les faits. En réalité, on n'oublie ainsi 60% de la population ! 

Aymeric Patricot est l'auteur des Petits Blancs, aux éditions Plein Jour

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