Le nouveau gouvernement, Jupiter et les crocodiles : qui accrochera qui à son tableau de chasse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne et Gabriel Attal lors de la cérémonie de passation de pouvoir à Matignon.
Elisabeth Borne et Gabriel Attal lors de la cérémonie de passation de pouvoir à Matignon.
©EMMANUEL DUNAND / POOL / AFP

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Le remaniement ministériel a été dévoié par l’Elysée ce jeudi 11 janvier. Parmi les changements majeurs figurent l’arrivée de Rachida Dati au ministère de la Culture ou bien encore la nomination de Prisca Thevenot comme porte-parole à la place d’Olivier Véran. Quelles sont les principales leçons pour l'avenir de la macronie ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : L'arrivée de Gabriel Attal et la nomination d'un nouveau gouvernement ouvre une nouvelle ère de la Macronie puisque s'y joue la succession d'Emmanuel Macron. Dans la catégorie des "crocodiles" de la macronie, qui tire le mieux son épingle du jeu du rapport de force politique actuel ?

Christophe Bouillaud : Vu l’orientation générale de ce gouvernement Attal et ses équilibres, tous ceux qui se sont ralliés à Macron depuis 2017 en venant de la droite se trouvent en bien meilleure position que ceux qui y sont venus par la gauche. L’épuration de presque tous ceux parmi les ministres qui avaient osé critiquer la récente loi sur l’immigration ou simplement réaffirmer un peu trop sincèrement leur attachement à la lutte contre le racisme et la xénophobie est tout de même significative. Darmanin et Le Maire sont des anciens LR, et ils restent en poste à deux importants Ministères. Ils sont rejoints par deux personnalités de la droite, Catherine Vautrin et Rachida Dati. Il n’y a bien qu’Aurore Bergé, venue pourtant de la droite, qui soit nettement rétrogradée dans la hiérarchie ministérielle. Quelle indignité, oserai-je dire ! Les choix d’Emmanuel Macron font de ce gouvernement sans doute le plus marqué à droite de ceux qu’il a formé depuis 2017. Sur les 15 ministres, il y a 8 ex-UMP-LR (6 ralliés anciens : Darmanin, Le Maire, Bergé, Béchu, Lebec, Lecornu ; 2 ralliées récentes : Vautrin, Dati), 1 MODEM (Fesneau), 1 ex-PS- Renaissance (Séjourné), 1 pure En Marche !-Renaissance (Thevenot), et 3 personnalités de la société civile (Dupond-Moretti, Oudéa-Castéra, Retailleau) dont le gauchisme n’est pas la première des qualités. Cette droitisation de l’équipe Attal vise clairement à étouffer les LR. Puisque le gouvernement Attal fera leur politique, à quoi peuvent-ils bien servir encore ? Pourquoi ne voteraient-ils pas les lois proposées par ce gouvernement Attal ?

Sur le plan des personnes, comme je l’ai déjà dit, Gérald Darmanin sauve son poste, malgré son échec à faire voter sans heurts sa loi sur l’immigration. Bruno Le Maire est toujours là, au même poste, ce qui en fait le ministre le plus stable depuis 2017. A l’inverse, François Bayrou échoue à faire entrer quelque personnalité supplémentaire liée au MODEM au gouvernement. Même situation pour Edouard Philippe qui garde juste son affidé Christophe Béchu, à une place guère favorable dans l’ordre protocolaire.

Christophe Boutin : Ceux qui restent au gouvernement à des postes importants sont déjà ceux qui ont gagné, et c’est le cas pour Gérald Darmanin comme pour Bruno Le Maire, mais aussi pour Sébastien Lecornu, pressenti pour être Premier ministre. Édouard Philippe semble lui perdant, puisque madame Firmin-Le-Bodo, membre d’Horizons, quitte le gouvernement. François Bayrou peut se satisfaire, mais c’est une piètre victoire, du maintien au gouvernement de Marc Fesneau, mais l’on sent bien que la nomination de Gabriel Attal ne lui a pas vraiment plu. Quant à Alexis Kohler, il est bien difficile de savoir ce que le secrétaire général de l’Élysée a réussi à imposer ou pas, mais, on s’est fait écho ici et là de tensions nouvelles avec le président de la République.

Est-ce ensuite plus Emmanuel Macron ou Gabriel Attal qui est vainqueur, la question peut être posée. On peut penser que le maintien de poids-lourds qui sont de potentiels concurrents médiatiques pour le Premier ministre n’a pas été le choix de ce dernier ou, inversement, qu’il a préféré avoir des fusibles nettement identifiés, qui, comme tels, seront déclarés responsables si besoin. Quant à Emmanuel Macron, il est ici forcé de faire évoluer son gouvernement vers la droite, n’ayant pas réussi avec Élisabeth Borne à attirer les Républicains pour élargir sa majorité. Si Gabriel Attal y parvient, notamment en s’attaquant à la question des classes moyennes, ou en répondant à certaines des inquiétudes des Français, et si ses paroles sont suivis d’effets, le nouveau Premier ministre pourrait bien prendre une tout autre dimension.

Tout ce petite monde jouant d'ores et déjà 2027 (y compris Macron puisqu'il joue aussi bien sa postérité que l'identité de celui ou celle qui lui succèdera), qui semble le mieux armé ? Et sur le "cadavre" politique de qui, puisque tous ces crocodiles pensent pouvoir être des héritiers et qu'il n'y en aura qu'un ? 

Christophe Bouillaud :  Il est possible que cela soit aucun. En effet, tout laisse à penser que le gouvernement Attal comme les précédents formés par Emmanuel Macron va mener la même politique. Or ce qu’il faut rappeler tout de même, c’est l’impopularité globale d’Emmanuel Macron. Sa politique ne satisfait qu’une part minoritaire des Français. Il faudrait désormais un retournement extraordinaire de situation pour que les Français changent leur jugement de fond sur tout ce qui a été fait depuis 2017. On verra déjà les résultats des élections européennes qui seront un bon indicateur de l’état de l’opinion publique à l’égard du camp macroniste.

De ce fait, toutes les personnes associées à cette époque du macronisme auront beaucoup de mal à émerger lors de la prochaine campagne électorale présidentielle. Elles seront désormais les sortants de deux mandats successifs, et les Français auront envie de sortir les sortants. Seul un candidat pouvant se démarquer nettement du macronisme réellement existant aura ses chances. Or, pour l’instant, Emmanuel Macron n’a toléré aucun début de commencement de dissidence au sein de son camp. Toutes les remarques qui iraient à l’encontre de sa haute pensée sont payées immédiatement d’un limogeage. Macron ne tolère pas le millième de ce qu’à une époque le Président Jacques Chirac avait toléré d’un Nicolas Sarkozy Ministre de l’Intérieur. Bruno Le Maire est certes Ministre depuis 2017, mais qu’a-t-il été de plus pour les Français ordinaires que le zélé serviteur du Château ? Gérald Darmanin est certes plus identifiable par les Français ordinaires, mais sa politique en matière de sécurité est-elle une réussite ? Je doute qu’elle passe la rampe de son examen lors d’une élection présidentielle.

Ce sont donc les personnes en dehors du gouvernement Attal qui peuvent se positionner pour la présidentielle de 2027. Il y a déjà Edouard Philippe, mais, pour l’instant, il n’a pas su se démarquer vraiment d’Emmanuel Macron sur des sujets importants et visibles pour les Français. Il y aurait François Bayrou s’il ne s’agissait pas désormais d’un vieux monsieur visiblement velléitaire, soutenu par un parti secondaire. En réalité le camp macroniste va se trouver fort dépourvu quand l’heure de la présidentielle de 2027 sera venu.  

Christophe Boutin : Tout le monde ne joue pas ici 2027 : Alexis Kohler, pour prendre ce seul exemple ne compte très certainement pas être candidat à la présidence de la République. Les véritables candidats potentiels sont ici Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et Gabriel Attal. Se pose peut-être aussi le cas de François Bayrou, qui veut toujours croire à son étoile, mais il semble confiné dans des rôles beaucoup trop secondaires pour pouvoir prendre la première place. Il faudrait que l’opposition frontale entre d’autres candidats lui permette de se glisser sur scène. 

Chacun joue sa partition, Bruno Le Maire celle du grand argentier, qui sauve les finances de la France… mais la dette se creuse et l’inflation ne disparaît pas. Gérald Darmanin joue le garant de la sécurité… mais les chiffres sont mauvais, et même de plus en plus mauvais malgré les biais statistiques, et rien ne dit que le déroulement des Jeux olympiques se fera dans la plus grande sérénité. Édouard Philippe joue la carte de la distanciation avec la macronie, puisqu’il n’est plus directement au pouvoir, tout en se maintenant dans la majorité présidentielle – une distanciation qui sera aussi nécessaire aux autres futurs candidats pour donner une impression de nouveauté et pas seulement de continuité en 2027

Par ailleurs, se pose la question des nécessaires « écuries politiques ». Édouard Philippe à la sienne, avec son parti Horizons, et François Bayrou bénéficie aussi du MoDem, peut-être moins dynamique. Mais Bruno Le Maire ou Gérald Darmanin n’ont rien, et seul Gabriel Attal peut aujourd’hui espérer prendre le contrôle de Renaissance au lieu d’avoir à créer sa propre écurie. On rappellera qu’Emmanuel Macron est un contre-exemple, puisqu’il a monté sa propre écurie présidentielle en une petite année, mais il bénéficiait de très importants soutiens extérieurs important. Quant aux cadavres, la guerre n’est pas encore déclarée.

Alexis Kohler n'est pas concerné mais lui joue le vrai pouvoir d'ici 2027. Il a la haute main sur toutes les grandes décisions depuis 2017. Un des crocodiles aura-t-il sa peau puisqu'il faudra forcément que celui qui gagne en 2027 (à minima qui gagne le ticket pour la qualification) se soit émancipé de Macron dont Alexis Kohler est le gardien du temple?

Christophe Bouillaud : Comme je l’ai dit, je ne crois guère que le premier cercle au service d’Emmanuel Macron soit capable de produire un candidat compétitif pour la prochaine élection présidentielle. Un candidat « officiel » adoubé clairement par Emmanuel Macron rassemblerait contre lui toutes les rancœurs, de droite comme de gauche, accumulées contre le président sortant.

La seule ruse possible pour le camp macroniste est de se créer une opposition interne qui donne l’impression d’une rupture nette avec les travers de plus en plus visibles de ce Président Macron. Le problème de cette ruse est qu’elle peut être facilement éventée. Les médias sociaux gardent la mémoire de tout ce qui a été dit et fait par une personne…

Christophe Boutin : Nous le disions, Alexis Kohler n’est pas concerné par 2027. Savoir s’il a la haute main sur les grandes décisions depuis 2017 est quelque chose de discutable. Effectivement, le Secrétaire général de l’Élysée est à un poste parfaitement indispensable, central, et le duo qu’il forme avec Emmanuel Macron est d’une redoutable efficacité. Pour autant, un autre personnage joue un rôle important, le Secrétaire général du gouvernement, placé auprès du Premier ministre et que Jean Castex, nommé Premier ministre, avait fait changer pour avoir les coudées franches – le poste est actuellement détenu par Claire Landais. Il faut peut-être se garder aussi du goût actuel pour aller rechercher dans l’entourage des ministres les sources des véritables décisions. Les conseillers ou le Secrétaire général de l’Élysée sont des rouages parfois importants, mais vouloir voir systématiquement des « dirigeants de l’ombre » est sans doute un peu excessif. 

Faudra-t-il s’émanciper pour gagner ? À un moment, il faut se poser la question de savoir si on doit représenter la seule continuité ou avoir un ton nouveau – et même parfois celle de savoir s’il faut démissionner du gouvernement pour reprendre sa liberté, une question que s’était posé Emmanuel Macron. Mais on rappellera, au contraire, que Nicolas Sarkozy, ministre de Jacques Chirac, avait réussi à faire croire à sa nouveauté, sans quitter le gouvernement. Dans tous les cas de figure, l’émancipation est une émancipation au moins partielle par rapport à la ligne suivie par Emmanuel Macron, et Alexis, Kohler a simplement pour tâche de vérifier les limites de cette émancipation du chef du gouvernement ou des ministres, qui ne sauraient aller à l’encontre de cette ligne. 

Le gouvernement accentue son virage à droite. Est-ce nécessairement une mauvaise nouvelle pour la droite? Ou une bonne pour la gauche qui pourrait y retrouver un territoire si le macronisme libère de l'espace sur son flanc gauche? Quid enfin de l'impact prévisible pour le RN?

Christophe Bouillaud : Pour la droite, en tant qu’elle est organisée autour d’un parti, les LR, c’est un peu inquiétant qu’il existe encore des « traitres », comme dirait une certaine Rachida Dati, en leur sein. En même temps, comme je viens de le dire, je ne crois guère à la compétitivité d’un candidat venu du macronisme. Du coup, cela laisse le champ libre à un autre candidat pour incarner la droite modérée. La patiente des LR qui seront restés au bercail peut finir par payer.

En ce qui concerne la gauche partisane, en particulier le centre-gauche, le PS en particulier, ce gouvernement constitue une très bonne nouvelle. L’ambiguïté qu’essayait d’entretenir Emmanuel Macron jusqu’à récemment a vécu. Il y a désormais un énorme espace au centre-gauche qui ne demande qu’à être réoccupé par une gauche modérée. Les européennes peuvent être le début d’une remontée électorale de cette gauche modérée.

Pour ce qui est du RN, il ne peut que se féliciter de la situation. Macron en liquidant tous ceux parmi ses ministres qui avaient émis des inquiétudes à propos de la loi immigration de Darmanin montre qu’il n’a pas lieu de son point de vue de s’inquiéter outre mesure de quelque racisme, xénophobie ou autre billevesée que ce soit. Il n’y a donc plus aucune raison morale, éthique, humanitaire pour un macroniste de s’opposer sur ce point au Rassemblement national. La majorité présidentielle est donc totalement désarmée de ce point de vue. Lors de la campagne des européennes, cela devrait déjà se faire sentir : le RN aura beau jeu de dire qu’il inspire sur le fond le gouvernement et qu’ils sont l’original et les autres la copie.

Christophe Boutin :  Le gouvernement de Gabriel Attal, semble prêt à réaliser la même tentative d’OPA que celle qui a été faite par Nicolas Sarkozy en 2007 sur l’électorat FN, mais prioritairement sur l’électorat LR. Dans la déclaration qu’il a faite sur le perron de Matignon, Gabriel Attal a clairement indiqué qu’il allait agir en faveur des « classes moyennes », notion vague mais cœur de cible des LR, et a donné pour cela une double ligne de conduite : reprendre en main son destin et libérer l’économie. Reprendre en main son destin, cela veut dire pour l’actuel Premier ministre, selon ses propres mots, rétablir l’autorité, la sécurité, la méritocratie républicaine à l’école, ou retrouver une souveraineté nationale et européenne en limitant l’immigration, autant d’éléments qui font partie du programme de la droite, du Rassemblement national, mais aussi et surtout des Républicains. Par ailleurs, dans l’aspect économique cette fois, Gabriel Attal a insisté sur le travail, retrouvant ou presque la célèbre formule de Nicolas Sarkozy « travailler plus pour gagner plus » en s’inquiétant de ces gens qui travaillent mais gagnent moins que ceux qui ne travaillent pas. 

On le comprend, c’est le programme des Républicains, contre lequel il sera bien difficile aux parlementaires de ce parti de s’opposer lorsque les textes qui le mettront en œuvre arriveront au Parlement. Par contre, par rapport au Rassemblement national, il y a des points de clivage qui persistent de manière claire, et notamment entre l’européisme du macronisme et le nationalisme du RN – quand les Républicains sont divisés entre les deux tendances depuis des décennies. Mais l’impact sur le RN n’existera qu’en tenant compte, non pas des éléments programmatiques, mais uniquement des résultats. L’électorat du RN n’a en effet plus aucune confiance dans les déclarations des partis politiques classiques, et c’est seulement si Gabriel Attal répond au quotidien aux inquiétudes de cet électorat, qu’il y aura un impact.

Enfin, vous avez raison, avec cette évolution à droite du macronisme, la gauche va effectivement retrouver un espace, et il est permis de se demander si les tentatives pour recréer un parti de gauche en dehors de la NUPES – avec ou sans certaines de ses composantes actuelles, les écologistes se ralliant par exemple à une nouvelle formation qui pourrait aussi accueillir les déçus de gauche du macronisme - ne vont pas bénéficier rapidement de cette évolution.

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