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Olivier Faure et les différents représentants des partis de gauche lors d'une conférence de presse pour l'officialisation du nouveau Front populaire.
Olivier Faure et les différents représentants des partis de gauche lors d'une conférence de presse pour l'officialisation du nouveau Front populaire.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Repoussoir

En feignant d’oublier qu’une majorité de Français considèrent que le parti à leurs yeux le plus dangereux pour la démocratie est LFI, la gauche a définitivement détruit son arme fatale du cordon sanitaire.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Stewart Chau

Stewart Chau

Stewart Chau est Directeur d’études chez Verian.

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Atlantico : Le nouveau Front Populaire rassemble la gauche, du Parti socialiste au NPA en passant par la France Insoumise, en vue des prochaines élections législatives organisées de façon anticipée après la dissolution de l’Assemblée nationale. Si la gauche peut peut-être espérer récupérer plus de voix de la sorte, ne faut-il pas aussi s’attendre à un véritable effet repoussoir susceptible de l’entraver dans sa tentative de conquête du Palais Bourbon ? Pourrait-elle, par exemple, mobiliser contre elle l’électorat de droite (y compris celui à tendance abstentionniste) ?

Virginie Martin : Il faut reconnaître, c’est indéniable, que l’union des gauches sous la bannière du Nouveau Front Populaire peut créer un effet de dynamique. C’est une certitude : la notion d’union des gauches a de quoi plaire auprès d’un certain public ; d’autant qu’elle s’inscrit dans une habitude de cette famille politique. Dans les années 70, François Mitterrand a fait le programme commun avec les communistes, par exemple. Puis, il y a eu la Nupes en 2022 et on pourrait également citer le Printemps marseillais. Aujourd’hui, nous assistons à la naissance d’une véritable dynamique médiatique autour du Nouveau Front Populaire, ce qui n’a rien d’étonnant : c’est tout neuf, ça vient de sortir. Il est difficile de nier, aujourd’hui, la réalité de cette dynamique qui tente d’ailleurs de re-diaboliser le Rassemblement national. D’aucuns s’interrogent d’ailleurs sur la capacité de celui-ci à triompher dans ce contexte. Dès lors, on peut sereinement affirmer que, pour certains, le Nouveau Front Populaire incarne une forme d’espoir. 

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Il faut bien comprendre, néanmoins, qu’il agit aussi comme un repoussoir auprès d’autres. Et pour cause ! On sent bien, en définitive, que l’épicentre et l’équilibre de cet attelage penche davantage du côté de la France Insoumise que du Parti Socialiste. Les promesses, les points programmatiques développés… tout tient davantage de la gauche qui dépense sans compter que de la social-démocratie. Naturellement, cela plaira à tous ceux qui attendent de la gauche qu’elle se montre plus radicale. Mais cela inquiète également l’ensemble de ceux, socio-démocrates ou non, aspirent à une gestion plus responsable de notre économie. Un SMIC à 1600 euros nets c’est évidemment séduisant, jusqu’à ce que l’on réalise qu’il y a des conséquences économiques réelles et la question du plafonnement des héritages ne peut qu’inquiéter dans un pays de propriétaires comme cela peut être le cas de la France. 

Il ne faut pas non plus perdre de vue la dimension repoussoir associée à certaines personnalités. Dès lors, le simple fait que cet équilibre soit favorable à la France Insoumise plus qu’à d’autres organisations, en matière de députés potentiels, de circonscriptions promises ou sur un plan programmatique, est lourd de conséquence. Il est difficile de ne pas deviner, çà ou là, la présence de figures fantomatiques comme Jean-Luc Mélenchon ou Louis Boyard, pour ne citer qu’eux. Ces personnalités restent discrètes mais pèsent sur les esprits de tous. La figure tutélaire, presque patriarcale, du fondateur de la France Insoumise, plane sur les débats quand bien même d’aucuns essaient de l’édulcorer, d’euphémiser ce phénomène. Il est assez amusant, par ailleurs, de constater que cette euphémisation s’observe aussi chez les autres formations : au Rassemblement National, on tente de faire oublier le fait que l’on est d’extrême droite tandis qu’en Macronie on tente de faire oublier le nom du président au profit de celui de Gabriel Attal. Cette tendance à cacher les figures qui cachent illustre bien leur caractère repoussoir.  

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Très clairement, cette union peut constituer, pour les électeurs de droite, un repoussoir particulièrement puissant. Et pour cause ! Prenons la seule question économique, sur laquelle un certain nombre d’économistes ont commencé à s’exprimer : la dissolution a provoqué un choc boursier conséquent, qui n’est pas sans engendrer un certain nombre d’inquiétudes. Les propositions du programme porté par cette alliance sont aussi de nature à engendrer de véritables angoisses. Fuite de capitaux, plafonnement de l’héritage, etc… Certains perdent déjà de l’argent et s’interrogent sur la nécessité d’investir dans l’or, par exemple. C’est révélateur. Ces propositions ont de quoi hérisser le poil de ceux qui, en France, ont su accumuler un petit pécule, de la droite patrimoniale et bourgeoise qui, dans un sursaut légitimiste, pourrait pour partie être tentée de préserver Macron quand bien même elle ne l’apprécie guère. Si elle ne préfère pas choisir l’autre chaos que ces élections semblent faire émerger. La question se pose : quel sera le chaos qui lui conviendra le mieux, s’il ne s’agit pas de reconduire Emmanuel Macron ? Est-ce que ce sera un chaos de gauche, qui porte des mesures qui lui sont défavorables, ou un saut vers le RN qui incarne, pour eux, un inconnu ? J’ai tendance à penser que le sursaut légitimiste en faveur de Macron est possible, car la continuité peut s’avérer rassurante, mais il est vrai qu’il constitue lui aussi un repoussoir important.  

La figure de Jean-Luc Mélenchon, que nous évoquions, a à elle seule, de quoi effrayer les électeurs de droite et pas seulement sur la question économique. La notion de désordre – particulièrement sur les bancs de l’Assemblée nationale – pourrait marquer les électeurs qui aspirent à davantage de stabilité. Cela relève de l’évidence. Il faut aussi parler des principes de laïcité ; avec d’un côté une gauche universaliste et de l’autre une gauche plus intersectionnelle, prête à accepter le voile, à travailler au corps les quartiers ou à jouer avec. Ce n’est pas nécessairement sans impact sur l’électorat de droite. 

Stewart Chau : Si vous le permettez, j’aimerais commencer par une petite remise en contexte. Le choix qui a conduit la gauche à s’unir, au lendemain de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, est clairement motivé par la volonté d’Emmanuel Macron de disloquer définitivement les partis traditionnels dits de gouvernement. Le chef de l’Etat, je pense, a voulu dissoudre en pariant sur le délai très court et sur les fractures politiques pour empêcher toute construction d’un programme commun. Force est de constater qu’il a échoué sur ce point. La gauche a montré sa volonté de s’unir, ce que l’on aurait jugé peu probable seulement quelques semaines auparavant. C’est un choix assez logique pour certaines des formations concernées, notamment les écologistes, qui auraient probablement eu beaucoup de mal à être présents dans un maximum de circonscriptions. C’est en tout cas ce que nous apprend la carte électorale ! L’observation de celle-ci et de ses évolutions illustre bien que, entre 2017 et 2022, la gauche obtient des scores comparables qu’elle parte unie ou séparée. Environ 26,5% des voix exprimées. Là où le bât blesse, c’est sur la question de la présence territoriale des candidats. Ils avaient, en 2017, une présence 4 fois moins importante sur le territoire puisqu’ils n’étaient pas 100 candidats pour 100 circonscriptions mais 400 candidats au total. Dès lors, même si le score apparaît comparable, ils sont en mesure d’envoyer un plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale. Cela s’explique par la mécanique même de l’élection législative, dans laquelle l’implantation territoriale compte plus que le seul score national. C’est un point fondamental qu’il faut bien garder en tête au moment de discuter des élections à venir. Cette union fait l’implantation des candidats de la gauche. 

Ceci étant dit, il va de soi qu’elle a aussi un fort effet repoussoir sur les électeurs et notamment ceux de droite. Les chiffres dont on dispose à l’heure actuelle doivent être maniés avec beaucoup de précaution, mais ils permettent néanmoins d’identifier une certaine tendance, notamment en matière de désirabilité. Force est de constater que, sur les deux hypothèses de travail que nous avions, l’une est caduque : il s’agit du scénario dans lequel la gauche ne s’unit pas. Unie, elle peut espérer récupérer entre 28 et 30% des intentions de vote au niveau national. C’est moins, il faut bien le dire, que la somme de toutes les listes de gauche ce qui traduit une déperdition des voix. Elle est très probablement due à l’hégémonie de la France Insoumise sur le bloc de la gauche-unie, qui pourrait faire office de trahison pour certains électeurs de gauche plus modérée. 

Naturellement, cette situation vient également renforcer le candidat final qui s’opposerait à celui choisi par le Nouveau Front Populaire. Son rival, particulièrement s’il est issu de l’ancienne majorité présidentielle, devrait bénéficier d’un important report de voix au second tour. Notons tout de même qu’il existe, à droite également, un vrai repoussoir produit par la potentielle alliance de certains élus LR avec le RN. Pour un électeur de centre-droit, il est souvent inconcevable de voter LR-RN autant qu’il serait inconcevable d’accorder sa voix au NFP. Je doute, néanmoins, qu’il reste beaucoup d’électeurs LR capables de voter pour une liste macroniste. Ceux qui l’étaient sont probablement déjà partis pour rejoindre l’ancienne majorité et ceux qui ne le veulent pas sont potentiellement plus ouverts à la perspective d’une alliance avec le Rassemblement national. Très concrètement, cela signifie qu’une majorité des électeurs LR a probablement déjà basculé, soit chez le RN (ce qui expliquerait pour partie sa dynamique aux précédentes élections), soit chez Emmanuel Macron. 

Il est essentiel de bien comprendre ce contexte de campagne, puisque celle-ci promet d’être très courte. Une campagne éclaire favorise nettement les mouvements de dynamique, ce qui pourrait faire le jeu du Nouveau Front Populaire, s’il génère plus d’espoir que de repoussoir. 

Faut-il penser que le calcul mené par la gauche est viable ? Quid des voix qu’elle risque de perdre après l’association de forces de gouvernement à un groupe anti-sémite comme la France Insoumise ?

Virginie Martin : Comprenons-nous bien : il existe plusieurs repoussoirs dont il faut prendre conscience : pour certains électeurs – particulièrement de la France Insoumise – la notion même d’alliance avec le PS de Glucksmann peut être perçue comme une vraie compromission.  Prenez la question du soutien à l’Ukraine, par exemple : elle n’allait pas de soi pour LFI. Les électeurs du mouvement de Mélenchon voient bien où est leur intérêt, cela ne veut pas dire qu’ils sont nécessairement à l’aise avec certains des points du programme proposé, notamment en matière de politique européenne et étrangère. Nombreux sont ceux qui, s’ils vont effectivement voter en juin et en juillet, le feront en se bouchant le nez. A cet égard, et particulièrement à gauche, tout le monde est le repoussoir de l’autre. Quid, par exemple, du PC et du PS pro-nucléaire quand les écologistes et la FI se dressent fermement contre cette politique énergétique ?

Stewart Chau : C’est un point que nous avons déjà commencé à aborder. Nous l’avons dit, en termes de score national, le Nouveau Front Populaire ne permettra pas nécessairement de remporter plus de voix qu’auparavant. Cependant, elle permet aux figures issues de la gauche de bénéficier d’une meilleure implantation territoriale, ce qui est extrêmement important. D’autant plus que, par rapport à 2022, on observe un différentiel important entre le nombre d’investitures LFI et le nombre d’investitures PS en faveur du PS cette fois. Ce rééquilibrage donnera lieu à davantage de duels PS-Majorité ou PS-LR/RN que de LFI-LR/RN. Souvent, c’est un choix qui peut s’avérer payant. 

Naturellement, la question de l’antisémitisme de LFI se pose. La campagne peut se traduire par une cristallisation de l’effet repoussoir dont nous avons parlé, particulièrement si on assiste à des sorties problématiques qui émailleraient celle-ci. De même, la figure tutélaire de Jean-Luc Mélenchon peut repousser si elle plâne trop ouvertement au-dessus de la campagne de la gauche. Son investissement sera mécaniquement scruté. D’aucuns pensent d’ailleurs que la diabolisation de l’extrême gauche par le président aura un effet amplificateur de cette réalité et qu’il sera susceptible de profiter au Rassemblement national. C’est une hypothèse sensée et probable, qu’il faut mettre en porte-à-faux avec la capacité du Nouveau Front Populaire à construire sa dynamique. L’accord réalisé sur la question du programme laisse à penser qu’il pourrait y arriver, quand bien même un certain nombre de clarifications pourraient s’avérer nécessaires. Sur certains points, comme la qualification des évènements du 7 octobre 2023, la gauche dans sa globalité a montré une volonté très claire de dépasser ses divergences. 

Je pense qu’il faut tenir compte également de la résignation de nos concitoyens, qui ont désormais l’habitude de voir des figures politiques s’entre-déchirer avant de se rabibocher quand l’occasion le rend légitime. C’était par exemple le cas de Rachida Dati, qui n’a pas manqué de mots très durs contre le gouvernement avant de finalement le rejoindre. Tout cela est de nature à prouver à l’opinion qu’il est possible de changer de ton et de position. La vraie question, dès lors, c’est celle de la capacité des uns et des autres à alimenter un narratif en sa faveur. 

D’un point de vue pragmatique, et pour les raisons que nous avons déjà évoquées, cette union m’apparaît être pertinente pour la gauche. La bannière commune ne signifie pas que, au national, le score sera meilleur. Elle assure la possibilité d’être qualifiée au second tour dans davantage de circonscriptions.   

Longtemps, la gauche a pu rassembler sur la base du “cordon sanitaire”, en se présentant alors comme tenancière de la morale politique. Que dire de la validité de cet argument aujourd’hui, compte tenu des alliances contre-nature dont nous avons pu parler ?

Virginie Martin : Ce n’est pas la première fois que l’on a vu la gauche de gouvernement s’allier avec des gauches plus radicales. A cet égard, le Nouveau Front Populaire n’a rien d’incroyablement neuf. Ceci étant dit, il est vrai que l’on aurait pu penser, à l’issue du 7 octobre, que la France Insoumise n’aurait plus nécessairement voix au chapitre dans les négociations avec le Parti Socialiste. Mais force est de constater que le PS, aujourd’hui, est extrêmement faible ; quand bien même son président demeure très malin.  

Je crois que l’argument reste recevable, pour une partie de la gauche au moins. Le discours est bien rodé : face au Rassemblement national, il faut tout faire… tout accepter. C’est d’ailleurs un sentiment qui peut s’entendre ! Mais force est de constater que le président de la République complique la tâche de la gauche, en renvoyant l’extrême-gauche (qui fait partie de cette union) dos-à-dos avec l’extrême-droite. Emmanuel Macron, pour sa part, à placé deux cordons sanitaires et, en tant que président de la République, il a un avis fort, au poids symbolique conséquent. Le Rassemblement national peut profiter de cette phrase pour ainsi renvoyer l’extrême-gauche à la même infréquentabilité. Naturellement, c’est argumentaire est très audible à droite. 

N’oublions pas, ainsi, le sentiment qu’exprimait une partie des Français il y a peu : certains disaient “plus jamais LFI” et “plus jamais la Nupes”. C’est un sentiment qu’il faudra mesurer, évaluer, mais qui résonne tout de même auprès de certains ; y compris à gauche parfois. 

Le choix des candidats du Nouveau Front Populaire, tels que répartis aujourd’hui, est-il optimal ? Opposer une nouvelle fois Noé Gauchard, de LFI, à Elisabeth Borne vous paraît-il pertinent ? Quid, peut-être de l’antifa Raphaël Arnaud parachuté par LFI à Avignon ?

Stewart Chau : Précisons tout d’abord que le choix des candidats à présenter a été largement dicté par la prévalence des figures politiques locales. Je ne dis pas que le Nouveau Front Populaire n’a envoyé que des candidats dont il a la certitude qu’ils peuvent réussir, mais bien que tout a été pensé au cas par cas. Pour ce qui est de la circonscription d’Elisabeth Borne, c’est-à-dire la circonscription de Vire (6è, Calvados), la question est légitime. Cependant, j’ai tendance à penser que le bilan de l’ancienne Première ministre fait aussi d’elle un repoussoir à part entière et que, dans ce cas de figure, il n’est pas sûr qu’un candidat moins radical (issu du PS, par exemple) fasse nécessairement mieux. Et pour cause, même les candidats de centre gauche très modérés auraient du mal à voter pour Elisabeth Borne. Il est certain, toutefois, qu’elle pourra peut-être bénéficier d’un report de voix plus important en provenance de l’électorat de la droite qui est plus hermétique encore à LFI qu’il ne l’est à l’ancienne majorité présidentielle.  

C’est également vrai dans d’autres circonscriptions, notamment du côté de Montpellier où l’on observe une très nette surreprésentation de candidats LFI. Je ne suis pas convaincu qu’il fallait se montrer aussi ambitieux de ce point de vue et sur ces circonscriptions, où l’électorat le plus naturel est généralement socialiste.  

La stratégie du NFP consiste à équilibrer davantage les candidatures LFIstes, écologistes et socialistes. Je ne suis pas certain que c’était toujours la stratégie la plus porteuse, quand bien même c’était parfois la plus attendue – dans le sud-ouest, notamment. N’oublions pas non plus l’Île-de-France, où LFI se taille uine part royale qui, à mon sens, suit les dynamiques électorales que l’on connaît depuis 2017 tant sur les présidentielles que sur les municipales. Dans un contexte tel que celui auquel nous faisons face, aurait-il fallu recentrer tout cela ? C’est difficile à dire. 

Indéniablement, un certain nombre de personnalités de cette union peuvent apparaître surprenantes et c’est effectivement le cas de Raphaël Arnault, que vous évoquiez. Je citerai également Gérard Filoche, que le PS avait tout de même exclu de ses rangs. Dans ces cas de figure, tout se joue au niveau local et il n’est pas assuré que, dans les circonscriptions, les électeurs de gauche fassent un procès en radicalité ou en anti-républicanisme à leurs candidats. Le vote ne sera pas nécessairement d’adhésion et sera peut-être motivé par un rejet d’autre chose perçu comme pire, mais c’est une mécanique connue. La question de la vertu politique s’est diluée au fur et à mesure des remaniements et autres basculements politiques permis notamment par le dépassement du clivage gauche-droite. 

Toujours est-il que, comme dans le cas d’Elisabeth Borne, la question de la surmobilisation de la droite face à un candidat jugé inacceptable à gauche ne semble pas nécessairement avoir été prise en compte. C’est une mécanique, je pense, qui profitera essentiellement à l’ancienne majorité présidentielle. Pas au Rassemblement national. 

La gauche de gouvernement pourra-t-elle crédible à l’avenir ?

Virginie Martin : Je le disais tout à l’heure, le Parti socialiste aujourd’hui est faible. Tout est affaire de rapport de force et le Parti socialiste ne parvient pas à le gagner. Il en est incapable et j’en veux pour preuve qu’il ne peut se prévaloir des presque 14% de Raphaël Glucksmann, celui-ci n’étant pas encarté au parti. Il est issu de Place Publique, rappelons-le. J’ai parfois l’impression qu’il n’y a pas de volonté de faire revivre ce parti. A certains égards, j’ai le sentiment que la vente de Solferino a pu constituer le début de la fin, pour la gauche traditionnelle. C’est un passage qui illustre bien le cas de conscience du Parti socialiste, sa tombée dans le masochisme, en plus d’avoir été une gabegie financière absolue. Ce parti ne croit plus en lui. 

Aujourd’hui, le PS ne se bat plus. Il négocie. Il faut bien dire qu’il y a un vrai problème de culture politique. La France Insoumise a la culture de la gagne, de la brutalité, du conflit, du trotskisme. Ce sont des gens qui savent militer. En face, au Parti socialiste, il n’y a que des cadres vieillissants, incapable de mobiliser ou de se faire entendre. Dès lors, il n'est pas étonnant de voir que la France Insoumise l’emporte.

Stewart Chau : Cela relève, en l’occurrence, de la politique fiction. Si l’on se projette sur une possible entrée au gouvernement d’une force de gauche, on assisterait nécessairement à des lignes de fractures inévitables ; notamment sur les questions internationales et géopolitiques. La Constitution, cependant, implique que ces sujets reviennent au président et cela signifie donc que le bloc de gauche n’aurait finalement que peu d’impact sur ce point. Cependant, le risque de fracturation de l’union est réel, d’autant qu’il existe un certain nombre de clivages qui apparaissent aujourd’hui proprement indépassables en dehors d’un simple contrat électoral. 

Si le bloc de gauche était ainsi amené à légiférer, j’ai du mal à penser qu’il parviendrait à rester soudé. La capacité de débat et de conflictualité dont il fait preuve est connue. Cependant, il faut aussi rappeler que si trois ans peuvent paraître particulièrement long, c’est un temps très court pour assurer le vote des lois. Les 100 premières proposées dans le cadre du Nouveau front populaire font consensus et on peut penser qu’en l’état, cela suffirait. 

Sur le temps long, cela étant dit, l’émergence de points de divergences et de fractures est garantie. Cela a toujours été le cas, à droite comme à gauche. Le cas des frondeurs socialistes, en 2014, n’en est qu’un récent exemple. 

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