Le match Tsipras/ Merkel : lequel est le plus gaullien ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le général de Gaulle.
Le général de Gaulle.
©DR

Qu’aurait fait le général

Gaullistes revendiqués, Dominique de Villepin et Henri Guaino ont salué l'indépendance d'Alexis Tsipras face à la ligne allemande. Quant à Angela Merkel, elle est souvent perçue comme une chancelière attachée à la défense des intérêts de son pays, notamment sur la scène européenne.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

Voir la bio »

Atlantico : Dans le contexte actuel, qui est le plus gaullien de Tsipras ou de Merkel ?

Roland Hureaux : Défendre les intérêts de son pays, est le devoir naturel des dirigeants de tout lieu et de toute époque. Nous sommes tombés dans une singulière déchéance s'il faut se réclamer d'une philosophie politique particulière, le gaullisme en l'occurrence, pour le faire.

Beaucoup de gens s'en réclament aujourd'hui. Villepin et Guaino pourquoi pas, même s'ils ont servi deux présidents, Chirac et Sarkozy qui avaient pris de singulières distances avec l'orthodoxie gaulliste. Et s'ils ne les avaient pas servis, personne ne les connaitrait !

Maxime Tandonnet : Les comparaisons avec le général de Gaulle me semblent franchement déplacées. En effet la politique du général de Gaulle était fondée sur l'indépendance de la France d'un point de vue militaire mais aussi économique et financier. Le général de Gaulle, on l'oublie souvent, attachait la plus haute importance à l'équilibre des comptes publics, à la lutte contre les déficits et l'inflation. En 1963, il s'était violemment heurté à son gouvernement qu'il jugeait trop laxiste en matière financière. En 1969, il s'était opposé à la dévaluation du franc, qu'il considérait comme une mesure de facilité. Pour lui, l'endettement de la France était inacceptable car il compromettait son indépendance nationale. Le général de Gaulle était un partisan acharné de l'amélioration de l'effort collectif et de la compétitivité de l'industrie française. Cela n'a rien strictement rien à voir avec M. Tsipras qui demande davantage d'aide à ses créanciers. Quant à Madame Merkel, son attitude dans la crise actuelle n'a pas grand chose de gaulliste ni de gaullien non plus. Le Général avait un profond respect pour l'indépendance des peuples, fondement de sa pensée politique. Jamais, en aucun cas, il ne serait permis de lancer des oukazes, des critiques ou des avertissements aux dirigeants et au peuple grec concernant leur politique intérieure, comme le fait la chancelière allemande.

Quels éléments du gaullisme retrouve-t-on dans la politique de ces deux chefs d'Etat ?

Roland Hureaux : Tsipras jouant le peuple grec qui s'est clairement exprimé par référendum, contre les innombrables contraintes internationales dans lesquelles on voudrait enfermer la Grèce, a, on peut le dire, une vraie posture gaullienne. Ce ne doit pas être facile aujourd'hui  quand on n'a que quarante ans, qu'on est le chef d'un tout petit pays, de tenir tête aux gouvernements de toute l'Europe et sans doute de l'Occident, sans compter les pressions qui s'exercent au sein de la Grèce de la part de tous ceux qui ont intérêt au maintien du pays dans l'euro et qui sont puissants.

Sans nul doute De Gaulle aurait apprécié l'attitude de Tsipras même s'il n'en partageait pas la sensibilité d'extrême gauche.

Mais Tsipras ira-t-il jusqu'au bout, jusqu'a l'abandon de l'euro qui est manifestement dans l'intérêt de la Grèce, quoi qu'on dise, ou s'arrêtera-il à un compromis, la maintenant dans l'euro ? Les prochains jours nous le diront.

Je suis plus réservé sur Angela Merkel. Sans doute s'inscrit-elle assez bien dans la vieille tradition allemande de la finasserie, l'art de défendre sournoisement l'intérêt national allemand en campant sur les grands idéaux,  la paix avec Stresemann ou Brandt, l'Europe avec les autres. Mais est-elle libre, vis à vis notamment des Etats-Unis ? Je me contente de poser la question. En outre le passé de l'Allemagne limite sa marge de manoeuvre: elle ne peut se permettre aucun acte de rupture.

Et le maintien de l'euro est-il vraiment dans l'intérêt national allemand? Beaucoup d'Allemands et non des moindres, comme Wilhelm Hankel, ancien président du patronat en doutent. Mme Merkel n'est pas perçue Outre-Rhin comme un grand homme d'Etat, plutôt comme une politicienne habile dans l'art de se maintenir en place. Entre une opinion très hostile à la Grèce et une idéologie dominante favorable, comme partout, au maintien de l'euro et donc au maintien de la Grèce dans l'euro, on a l'impression qu'elle a du mal à choisir. Elle serait sans doute ravie que les circonstances choisissent à sa place.

Maxime Tandonnet : Le recours au référendum de M. Tsipras me semble principalement à l'origine de la comparaison qui est faite avec le général de Gaulle. Cependant, les référendums du fondateur de la Ve République se présentaient de manière différente. Ils consistaient à demander au peuple de trancher sur des sujets fondamentaux pour son avenir, tenant à l'essence même de la Nation: l'adoption de la Constitution de la Ve République, l'indépendance de l'Algérie, l'élection du président au suffarge universel, la régionalisation. Ils étaient préparés longtemps à l'avance, répondaient à de grandes questions de fond sur les bases de la communauté nationale. Le référendum de M Tsipras est certes parfaitement légitime et son souhait de soumettre au peuple un projet d'accord lui imposant de nouveau sacrifices est incontestablement démocratique. Cependant, ce référendum a aussi un côté opportuniste, intervenant sur un sujet ponctuel et conjoncturel. En cela, il diffère de l'esprit de la démocratie directe selon le Général de Gaulle. Une autre analogie avec de Gaulle tient à la posture de celui qui tient tête au reste du monde, notamment à l'Allemagne, à l'image de du Général face aux Etats-Unis, vendant massivement des dollars contre de l'or ou clamant "vive le Québec Libre". Là aussi, la comparaison trouve vite ses limites. De Gaulle était un géant de l'histoire, l'auteur de l'Appel du 18 juin et le chef de la France libre sous la deuxième guerre mondiale. Il pouvait se permettre certaines choses. Qu'est-ce que M. Tsipras, dont personne n'avait entendu parler il y a un an, à côté de cet immense personnage du niveau de Churchill ou de Roosevelt?

"Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : 'Je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp !'" Dans quelle mesure les propos du Général de Gaulle font-ils écho à la situation que connaissent l'Union européenne, et la Grèce, aujourd'hui ?

Roland Hureaux : Ces paroles vigoureuses s'appliquent sans nul doute à l'Europe d'aujourd'hui dont beaucoup ont le sentiment qu'elle ne défend véritablement les intérêts d'aucun des pays qui la composent.

De Gaulle parlait d'un grand pays comme la France. Sans nul doute, quelle que soit la lettre des traités, le jour où un gouvernement français vaudra se retirer de l'euro ou même de l'Europe de Bruxelles, rien ne l'en empêchera et il n'encourra, contrairement à ce qu'on imagine, aucune sanction. Mais il faut de vrais hommes d'Etat, capables de gestes forts, pour prendre ce genre de décision. Ils ne courent pas les rues.

Il est d'autant plus remarquable de voir que la Grèce qui n'est pas un grand pays, se comporte avec la même assurance ou presque, car Tsipras reste prudent et évite les provocations. 

Maxime Tandonnet : Je ne connaissais pas cette déclaration... Le général de Gaulle était un partisan de l'unification politique de l'Europe. Il ne s'est pas opposé au traité de Rome. Il fut l'auteur de la réconciliation franco-allemande et du traité d'amitié de 1963, fondement de cette Europe. Il avait une conscience marquée de l'unité historique, géographique, culturelle de l'ensemble du continent qu'il voulait de l'Atlantique à l'Oural. Certain discours montre que ce visionnaire envisageait une unification poussée de l'Europe. En même temps, il rejetait catégoriquement une certaine conception de l'Europe qu'il qualifiait de "supranationale". Il n'avait pas hésité en 1965 a pratiquer la "politique de la chaise vide" pour marquer son rejet d'une entité Européenne supranationale dont les décisions prévaudraient sur la volonté des peuples, des parlements et des gouvernements nationaux. Il ne fait aucun doute que l'Europe telle qu'elle se présente aujourd'hui, avec ses jurisprudences, avec ses règlements et directives, préparés par la Commission et susceptibles de s'imposer aux démocraties nationale, est à bien des égards contraire aux principes fondamentaux du Général de Gaulle. Cependant, "foutre le camp" n'est pas non plus une solution. L'isolement, la solitude, l'éloignement des centres de décisions n'est pas dans l'intérêt de la France ni d'aucun pays, pas même de la Grande-Bretagne. Il est plus réaliste et plus digne de lutter pour transformer cette Europe de l'intérieur.

Une "Europe des patries" comme le souhaitait De Gaulle est-elle encore réalisable ?

Roland Hureaux : C'est la seule qui soit possible et on finira bien par s'en apercevoir. L'Europe de Bruxelles est un vaisseau qui fait eau de toute part. Voyez l'euro ; voyez aussi l'incapacité à contrôler l'arrivée des migrants au travers de la Méditerranée. Les contradictions de cette construction parfaitement idéologique éclatent.

En 1956, la France et l'Angleterre sont allé faire la guerre au Proche-Orient (la guerre de Suez) sans l'avis des Etats-Unis. Qui oserait aujourd'hui ? Il est clair que plus l'intégration européenne avance, mois l'Europe est indépendante et moins elle défend ses intérêts.

Quand il y a le feu à la maison, ce sont les face à face entre les grands pays, en particulier la France et l'Allemagne qui sont décisifs. Voyez les accords de Minsk.

Mais pour qu'il y ait une Europe des patries, encore faut il qu'il existe encore quelque chose comme un sentiment patriotique : le sentiment patriotique européen n'existe pas et au niveau des Etats, on s'attache à l'affaiblir depuis quarante ans. Qu'en reste-t-il ?

Il reste que seule un politique concertée des grands Etats peut permettre à l'Europe d'avoir, quand ils sont d'accord, un vrai poids sur la scène internationale.

Maxime Tandonnet : "Rien de ce qui est humain n'est immuable" a dit André Tardieu. Lorsqu'on observe le fonctionnement de l'Union européenne, avec son carcan juridique gravé dans le marbre, la lourdeur des processus de décision, le poids des procédures, un changement profond de son organisation et de son fonctionnement peut apparaître comme parfaitement utopique. Mais le plus grave tient à la mentalité des classes politiques et des élites européennes, totalement figées dans les dogmes et les certitudes obtuses. L'idée de changer l'Europe – non pas de la casser mais de la réformer – est comprise et vécue en permanence comme une monstrueuse hérésie sinon un blasphème. Pourtant, oui, une autre Europe, beaucoup plus forte, unie et cohérente qu'aujourd'hui, mais respectueuse des démocraties nationales, est possible. Elle passe par une clarification des compétences nationales et européennes, un renouveau radical du Parlement européen, qui du fait de son mode de désignation par cooptation de la classe politique au scrutin de liste, n'est pas ressenti comme représentatif des peuples; le renforcement du Conseil des chefs d'Etat et de Gouvernement auquel les bureaux de la Commission doivent être clairement soumis; la généralisation des coopérations renforcées impliquant les Etats volontaires, etc.  Mais cette grande réforme de l'Europe suppose une révolution intellectuelle dans les classes politiques et les élites européennes. Aujourd'hui, il est évident qu'elles n'y sont pas prêtes.   

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !