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Le long chemin de croix arpenté par la gériatrie avant d'être prise au sérieux par les politiques
©MIGUEL MEDINA / AFP

Bonnes feuilles

Bien plus qu'une réalité médicale, la maladie d'Alzheimer est en réalité une construction sociale pour décrire la vieillesse. Olivier Saint-Jean et Éric Favereau revisitent les quarante dernières années, avec ses errances, ses mensonges, mais aussi ses avancées, et montrent que la vieillesse n'est surtout pas une maladie ; que le déclin cognitif fait partie de la vie. Extrait de "Alzheimer, le grand leurre" du Pr Olivier Saint-Jean et Éric Favereau, publié aux éditions Michalon. 1/2

Olivier Saint-Jean

Olivier Saint-Jean

Le Pr Olivier Saint-Jean dirige le service de gériatrie de l'hôpital européen Georges-Pompidou. Il est membre de la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de Santé et enseigne à l'université Paris-Descartes.

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Eric Favereau

Eric Favereau

Éric Favereau est grand reporter santé à "Libération".

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Et pendant ce temps-là... les politiques publiques ont pris leur temps. En termes de santé publique, dans les années 1980-1990 la vieillesse n’est pas franchement à l’ordre du jour. A-t-on vu François Mitterrand ou Jacques Chirac visiter un service de gériatrie? Certes, à l’occasion des campagnes électorales, le détour s’impose à tous les candidats de visiter les maisons de retraite qui ne s’appellent pas encore Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). C’est d’ailleurs en 2001 que l’ensemble des maisons de retraite médicalisées sera regroupé sous ce terme unique. La génération 68 occupant peu à peu tous les postes de pouvoir, il a fallu attendre peut-être qu’elle voie ses parents vieillir, puis diminuer, puis perdre leur autonomie? Faut-il remarquer que ce n’est que dans ces années-là que l’espérance de vie au-delà de 80 ans se met à augmenter?

Les politiques publiques Alzheimer vont peu à peu se détacher des politiques de la vieillesse, et quelque-fois se trouver en contradiction. Pour autant, elles sont, parfois, plus convergentes qu’on veut bien le dire. D’autant qu’elles participent de la même logique et qu’elles ne sont que les 2 facettes d’une même logique: celle d’une médicalisation de la vieillesse dont l’effet pervers principal est l’exclusion.

Pourtant, tout semble avoir bien commencé avec l’initiation de la mise à l’agenda politique de la vieillesse en 1962. Commandé à Pierre Laroque, père de la Sécurité sociale, un rapport jette les grands axes d’une politique dirigée vers cette catégorie émergente de Français. Ce que Pierre Laroque met au cœur d’une politique de la vieillesse, c’est l’intégration des vieux dans la société. Il ne construit pas de catégorie « vieux », source d’exclusion. Il veut juste l’égalité entre tous les citoyens au sein de la nation.

Période gaullienne, esprit du Conseil national de la Résistance... Vont se mettre en place des aides à la vie quotidienne pour les retraités, sans autre distinction ou subdivision.

Une rupture politique s’observe au début des années 1970 quand, sous l’influence de nombreux facteurs (entre autres l’invention du troisième âge et sa revendication de jeunesse-loisir et l’émergence de la crise économique qui annonce celle de l’État Providence), s’invente une politique ciblée dont il faut inventer l’identité de ses bénéficiaires. Ainsi s’installe le concept de « dépendance », qui va structurer toutes les actions de l’État en direction des vieux.

Alors que l’on aurait pu considérer que certains vieux souffraient d'un handicap comme il en existe chez les jeunes, s’est créé ce concept de dépendance qui s’installe progressivement dans le domaine des politiques publiques. À partir des années 1980, les politiques de la vieillesse ne parlent plus de rien d’autre que de vieillards dépendants pour lesquels vont se juxtaposer rapports officiels, plans d’action et dispositifs de prise en charge. Leur multiplication va d’ailleurs générer une fragmentation de l’offre sociale. Tout le monde trouve son intérêt dans l’affaire – comme on l’a vu précédemment –, notamment les gériatres qui vont multiplier grilles d’évaluation et outils pseudo-scientifiques. Le Syndicat des gériatres va jouer un rôle clé dans la mise en œuvre de cette politique, y gagnant une reconnaissance étatique surprenante à travers l’adoption de la grille AGGIR comme outil d’allocation budgétaire.

La médiocrité méthodologique de cet outil est une insulte à l’égalité des Français devant la loi, mais qu’importe! La logique perdure dans la récente loi d’adaptation de la société au vieillissement qui modernise le concept sous le nom de fragilité, source de multiples publications pseudo-scientifiques. Mais qui sous-tend la proposition d’un dépistage national chez tous les vieux. Quel marché pour une certaine gériatrie qui rêve de médicaliser toute la vieillesse!

Les perdants dans tout cela sont les vieux car, dépendants ou risquant de l’être, ils se trouvent progressivement dépossédés de leur autonomie. En effet, la dépendance, c’est d’abord la perte d’autonomie, mais ensuite au nom de cette perte d’autonomie ou de la fragilité, les vieux deviennent suspects d’incompétence citoyenne. Leur autonomie va donc se réduire au fur et à mesure de l’ampleur de leur handicap, qui maintenant s’inscrit dans un espace différent de celui d’un handicapé jeune.

Extrait de "Alzheimer, le grand leurre" du Pr Olivier Saint-Jean et Éric Favereau, publié aux éditions Michalon. 

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