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Le jour où Jean-Claude Killy a grillé la politesse à Clint Eastwood
©AFP

Bonnes feuilles

Ce livre raconte l'histoire de ces champions de l'après-guerre qui ont su hisser le sport français au plus haut et, à leur manière, participé du roman national. Extrait du livre "Le temps des légendes" d'Olivier Margot, aux éditions JC Lattès (2/2).

Olivier Margot

Olivier Margot

Olivier Margot a été rédacteur en chef à L'Équipe et à L'Équipe Magazine durant 25 ans.  

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Jean-Claude Killy est l’un des plus grands athlètes de l’histoire du sport. Ils sont très peu, ceux qui ne pouvaient faire mieux que ce qu’ils ont fait. En 1967, Killy totalise 225 points, le maximum prévu par le règlement de la Coupe du Monde de ski, soit trois victoires en descente, trois en géant, trois en slalom. En 1968, il récidive en remportant les trois médailles d’or des Jeux olympiques de Grenoble, auxquelles il faut ajouter celle du combiné. Je ne vois guère, en son temps, que l’Australien Herbert Elliott, champion olympique du 1 500 mètres à Rome, en 1960, quarante-trois victoires en quarante-trois courses sur 1 500 mètres et sur le mile, le nageur américain Mark Spitz, sept médailles d’or et sept records du monde en sept épreuves aux Jeux de Munich, en 1972, ainsi que la gymnaste roumaine Nadia Comaneci, créditée pour la première fois de la note 10 aux Jeux de Montréal en 1976, à avoir atteint ce Nirvaña. 1967 est l’année charnière, celle de tous les possibles, jusqu’à l’improbable. Le colonel Marceau Crespin, ministre des Sports et ancien coureur automobile, ayant appris que Killy veut courir la Targa Florio sur Porsche, téléphone à Honoré Bonnet : — Bonnet, la Targa, c’est interdit à Killy. Et s’il se tue? — Eh bien, vous pleurerez sa disparition. S’il n’est plus là, il y en aura d’autres derrière. Et en plus, je vous parie que la Targa, il va la gagner! Killy gagne en effet, en catégorie Grand Tourisme, associé à Bernard Cahier, sur Porsche 911 S. L’année suivante, il terminera deuxième aux 1 000 kilomètres de Monza, troisième aux 1000 kilomètres du Nürburgring et, en 1969, abandonnera dans la vingtième heure des 24 Heures du Mans. « Les gars du risque, il faut qu’ils cultivent le risque », répétait Honoré Bonnet à Marceau Crespin. Genève, 1967. Jean-Claude Killy rencontre pour la première fois un agent de sportifs professionnels, l’avocat américain de trente-quatre ans Mark McCormack. « Il était si jeune, se souvient Killy, avec son costume en fibre synthétique trop court aux manches et aux jambes... Un agent m’avait proposé deux mille dollars par mois, à vie. C’était de l’argent, à ce moment-là ! En fait, j’avais tous les requins de la terre autour de moi. »

 — McCormack : Moi, je ne vous garantis rien.

— Killy : Vous ne croyez pas que ce serait mieux que j’arrête avant les Jeux ?

 — McCormack : Non. L’olympisme est tellement magique que, victoire ou défaite, ce sera encore plus médiatique.

— Killy : Très bien, je ne veux pas vous revoir avant les Jeux. Après on discutera.

 Après avoir sollicité quelques conseils, notamment ceux d’Antoine Riboud, il conclut l’affaire avec McCormack, « parce que c’était un homme d’idées, avec une solide renommée d’honnêteté, de rigueur et d’avant-gardisme ». Avec IMG (International Management Group) sa deuxième vie commence. Il découvre l’Amérique et fait fortune. Son anglais est approximatif et il a pour tout bagage son certificat d’études. Récit amusé de Jean-Claude Killy : « J’avais chanté “À Saint-Malo, beau port de pêche (bis), trois gros navires sont arrivés...” Reçu soixante-quatorzième sur cent quatre! » En Amérique, il se lance à corps perdu. « Ce fut une période fantastique et violente, affirme-t-il, l’apprentissage de territoires inconnus et piégeux. » Il apprend avec humilité quand, pour les Américains, il est déjà « King Killy », quand ses initiales, JCK, sont si proches de JFK, celles du président assassiné, quand les deux syllabes de son nom claquent et s’imposent au public. « J’ai travaillé avec cent compagnies, précise-t-il, avec des marques comme Head, Lange ou la chaîne d’hôtels Westin. J’avais ma photo dans chaque avion de United Airlines, c’était incroyable! » Il gagne vite son premier million de dollars, tout aussi rapide‑ ment son deuxième. À vingt-huit ans, il est riche. « Je partais de chez moi sept semaines d’affilée, en représentation. Lors de ma plus longue tournée, j’ai parlé dans vingt-trois universités américaines en vingt-sept jours. Moi, à Harvard et ses vieilles boiseries, ce temple de l’instruction... » Killy travaille énormément, notamment pour Chevrolet, le plus grand fabricant de voitures du monde, présentant tous les Automobiles Shows des États-Unis, voyageant souvent avec O.J Simpson, le footballeur américain, qui a signé le même contrat que lui. Dans son chalet de Cologny, lieu idéal pour des confidences, il évoque Charlotte Ford, la fille de d’Henry Ford II, une amoureuse. « Elle était tellement francophile! » Elle le présente à son père, mais il signe avec le concurrent General Motors. Là, il faut imaginer une scène surréaliste, cinématographique. Une bande dessinée dont les premières planches mettraient en scène un JCK de vingt-cinq ans jouant au train électrique avec le grand patron de General Motors, à genoux dans son immense cave aménagée. Lui, Jean-Claude Killy, ex-agent de constatation des douanes de la brigade spéciale de Chamonix, qui gagnait 760 francs de l’époque, avec quand même des primes de chaussures et d’entretien...

Il retrouve la neige, son domaine. Il anime les Times Ski Outings, les week-ends de ski de Time Magazine, recevant les plus gros annonceurs d’un groupe de presse qui, alors, possède en propre vingt-trois avions. Il se crée en ces occasions le plus extraordinaire des carnets d’adresses et fait cette découverte : « C’étaient les plus grands patrons américains et ils étaient tranquilles. J’ai fini par en comprendre la raison : ils étaient tout en haut. » Il tourne sans arrêt des publicités pour la télévision. « J’ai accumulé les films commerciaux de vingt ou trente secondes. Quand ils atteignaient une minute, c’étaient quatre jours de tournage avec une équipe de cinquante personnes! » Il ne peut marcher dans New York sans qu’on lui demande des autographes à l’infini. Il est jeune, beau, célèbre, il est surnommé le « James Dean du ski ».

 Il s’offre une récréation à Hollywood. Il sourit : « Ce n’était pas un rêve de gosse, j’étais bien trop timide pour imaginer ça. Il est vrai que la timidité peut être une force. En revanche, à quinze ans je savais déjà qu’il faut s’engouffrer dans de telles ouvertures. Chaque jour qui passe ne revient pas. » Une jeunesse à Hollywood. Il se crée des souvenirs et du rêve. « J’ai quand même passé plusieurs soirées avec Fred Astaire... » Et une fête magnifique à Bear Valley avec Liza Minelli. Il montre, pudique, une photographie d’Audrey Hepburn, son regard de ciel tourné vers lui. Et il y a cette réception où Jean Seberg, l’héroïne d’À bout de souffle de Godard, arrive au bras de Romain Gary, son mari, ambassadeur et écrivain. Clint Eastwood la courtise, mais c’est avec Killy qu’elle repart. « Avec le grand Clint, nous n’avons jamais été fâchés, précise-t-il. Quand nous nous croisons, il me salue d’un traditionnel Hello Champ’. »

Extrait du livre "Le temps des légendes" d'Olivier Margot, aux éditions JC Lattès 

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