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Le jour où Howard Carter et Lord Carnarvon ont découvert les trésors cachés et les vestiges du tombeau de Toutankhamon
©KHALED DESOUKI / AFP

Bonnes feuilles

Robert Solé publie "La grande aventure de l’Egyptologie" chez Perrin. De 1798 à 1801, les savants et artistes emmenés par Bonaparte passent la vallée du Nil au peigne fin. La publication de leur monumentale Description de l'Égypte relancera l'égyptomanie dans toute l'Europe. Extrait 1/1.

Robert Solé

Robert Solé

Né au Caire, longtemps journaliste au Monde, chroniqueur à l'hebdomadaire Le 1, Robert Solé a consacré de nombreux essais à son pays d'origine. Unanimement salué par la critique, son Sadate a reçu le prix de la biographie de la ville d'Hossegor. Robert Solé est également l'auteur de sept romans au Seuil, dont Le Tarbouche et Les Méandres du Nil.

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1922 est une année exceptionnelle. C’est le centième anniversaire du fameux « eurêka » de Champollion. C’est aussi le moment où les nationalistes égyptiens obtiennent l’indépendance, au moins formelle, de leur pays, qui devient un royaume. Mais 1922 est également l’année de la découverte la plus spectaculaire de l’égyptologie, qui va provoquer le conflit le plus vif depuis que cette discipline existe. 

L’acteur principal de ce drame en plusieurs actes s’appelle Howard Carter. Britannique, né en 1874 à Londres, il est le fils d’un peintre animalier qui l’a initié au dessin et à l’aquarelle. Doué, le jeune homme n’a que 17 ans lorsque l’Egypt Exploration Fund l’envoie dans la vallée du Nil pour copier les fresques des tombes de Beni Hassan. Une tâche dont il s’acquitte avec application, mais c’est la fouille qui l’attire. Sa deuxième mission, sur le site de Tell el-Amarna, la capitale d’Akhenaton, se passe moins bien : William Flinders Petrie n’aime guère ce compatriote qui a aussi mauvais caractère que lui. Et il se trompe sur son compte, ou cherche à s’en débarrasser, déclarant : « M. Carter est un garçon de bonne composition qui s’intéresse uniquement à la peinture et à l’histoire naturelle ; je ne vois pas l’utilité pour moi d’en faire un fouilleur. » 

Le jeune homme sera mieux apprécié par le Suisse Édouard Naville, aux côtés duquel il travaille de 1894 à 1899 sur la rive ouest de Louqsor. Il fait preuve de telles qualités que Gaston Maspero, redevenu directeur du service des Antiquités, le nomme inspecteur général des monuments de Haute-Égypte. Cela n’empêche pas Howard Carter de fouiller parallèlement pour le compte du mécène américain Theodore Davis. Avec succès, puisqu’il découvre les tombes de Thoutmosis IV et de la reine Hatchepsout. Nommé en 1899 inspecteur général des monuments de BasseÉgypte, Carter, qui s’est formé sur le terrain, peut se dire désormais égyptologue. Mais un manque de chance, ajouté à son manque de souplesse, va mettre un brutal coup d’arrêt à sa carrière. Le 8 janvier 1905, à Saqqarah, il en vient aux mains avec d’insupportables touristes français qui réclament le remboursement de leur ticket d’entrée sous prétexte que le tombeau des taureaux Apis est mal éclairé… Relevé de son poste après cet incident, l’Anglais est contraint, pour vivre, de vendre des aquarelles et de faire un petit commerce d’antiquités. 

Une traversée du désert, si l’on peut dire, à laquelle Gaston Maspero va mettre un terme deux ans plus tard en recommandant Howard Carter à son compatriote lord Carnarvon. Celui-ci s’est pris de passion pour l’archéologie et recherche un fouilleur compétent dont il financerait les travaux. Remis en selle, Carter se dépense sans compter sur la rive occidentale de Louqsor, à la recherche d’autres tombes royales. En 1914, estimant que la vallée des Rois a livré tous ses secrets, l’Américain Theodore Davis plie bagage, et c’est lord Carnarvon qui reprend la concession de ce secteur.

Une saison de plus

« Vous ne trouverez plus rien », dit-on de divers côtés à Carter. Mais il s’entête, s’accrochant à quelques fragments (une tasse en faïence, une boîte brisée, des jarres…) qui portent le nom de Toutankhamon, fils présumé de l’hérétique Akhenaton, dont le règne a été marqué par le retour à la tradition. L’égyptologue et ses ouvriers continuent donc de remuer des tonnes de terre et de gravats. Dans cette vallée si vaste, il concentre désormais ses recherches sur un triangle formé par les tombes de Ramsès II, Ramsès VI et Mérenptah. Mais les saisons de fouilles se succèdent, sans rien donner. Lord Carnarvon s’impatiente. Il est las de financer cette entreprise et, en juin 1922, fait part de son intention d’en rester là. Carter le supplie de le laisser fouiller une saison de plus. 

Et soudain, le 4 novembre, c’est le miracle. « Lorsque j’arrivai sur le chantier, raconte-t-il, un silence inhabituel me fit comprendre que quelque chose venait de se passer. (…) On venait de mettre au jour une marche taillée dans le roc. C’était trop beau pour être vrai. Pourtant, nous étions bel et bien devant l’entrée d’un escalier creusé dans la pierre à quelque quatre mètres en contrebas de la tombe de Ramsès VI, et à la même profondeur du niveau actuel du lit de la Vallée.

Indubitablement, nous nous trouvions là à l’entrée d’une tombe. Le travail se poursuivit fiévreusement. » Le lendemain après-midi, on voit apparaître une à une les marches d’un escalier. « Ce dernier s’enfonçait dans le roc pour former un couloir de trois mètres de haut sur un mètre quatre-vingts de large. À présent, nous progressions plus rapidement et, au crépuscule, alors que nous atteignions la douzième marche, nous aperçûmes la partie supérieure d’une porte scellée, bloquée par des pierres plâtrées. » 

Le fouilleur fait arrêter les travaux et télégraphie à son mécène : « Merveilleuse découverte dans la vallée. Tombe superbe avec sceaux intacts. Attends votre arrivée pour ouvrir. Félicitations. » Lord Carnarvon et sa fille, lady Evelyn Herbert, se précipitent dans le premier bateau en partance pour l’Égypte. 

Le 24 novembre, les seize marches de l’escalier sont totalement dégagées. Le lendemain, l’égyptologue peut déchiffrer avec émotion, sur la partie inférieure de la porte, le nom de Toutankhamon. Il est quasiment persuadé maintenant d’approcher du but. 

Le surlendemain, en présence de lord Carnarvon, le déblaiement se poursuit avec précaution, des objets délicats étant mêlés aux débris. Au milieu de l’après-midi, une deuxième porte, scellée elle aussi, est dégagée à 10 mètres de la première. « L’instant décisif était arrivé, raconte Carter. Les mains tremblantes, je pratiquai une petite ouverture dans le coin supérieur gauche. J’y introduisis une tige de fer qui ne rencontra que le vide. Puis je plaçai une bougie devant l’ouverture, pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’émanations dangereuses, élargis le trou – et regardai. Anxieux, lord Carnarvon, lady Evelyn et Callender se tenaient près de moi. D’abord, je ne vis rien ; l’air chaud qui s’échappait de la chambre faisait clignoter la flamme de la bougie. Puis, à mesure que mes yeux s’accoutumaient à l’obscurité, des formes se dessinèrent lentement : d’étranges animaux, des statues, et partout, le scintillement de l’or. Pendant quelques secondes – qui durent sembler une éternité à mes compagnons – je restai muet de stupeur. Et lorsque lord Carnarvon demanda enfin : “Vous voyez quelque chose ?”, je ne pus que répondre : “Oui, des merveilles !” Alors, j’élargis encore l’ouverture pour que nous puissions voir tous les deux. » 

Jamais, même dans ses songes les plus fous, Carter n’avait imaginé un tel spectacle. Sous ses yeux, toute une salle est remplie d’objets, empilés les uns sur les autres. Son regard est d’abord attiré par trois grands lits funéraires dorés dont les montants sculptés figurent des animaux monstrueux. Puis, sur la droite, deux statues en bois du pharaon grandeur nature. Habillées d’un pagne et chaussées de sandales d’or, armées d’une massue et d’une longue canne, elles ont l’air de monter la garde. C’est la première fois depuis trois mille deux cents ans que quelqu’un croise leur regard. Mais, dans ce capharnaüm, l’égyptologue ne voit ni sarcophage ni momie. Et une porte scellée qu’il aperçoit entre les deux sentinelles le convainc qu’il ne s’agit encore que de l’antichambre d’une tombe. Avant d’aller plus loin, il faudra la vider.

Une tombe bien modeste

L’ouverture officielle a lieu le 29 novembre 1922 en présence des autorités. Une première polémique survient quand on apprend que lord Carnarvon a accordé l’exclusivité de la couverture médiatique au Times de Londres. Le correspondant de ce quotidien est en effet le seul journaliste admis sur le chantier. Les autres organes de presse protestent vivement, à commencer par ceux d’Égypte : chaque jour, c’est de Londres qu’il faudra attendre des nouvelles de la fouille ! Finalement, on décide d’envoyer les informations au Times le soir et à la presse du Caire le lendemain matin pour faire coïncider les parutions. 

Vider l’antichambre n’est guère facile. Il faut patiemment répertorier, numéroter, dessiner, photographier, emballer, et parfois réparer au préalable chacun des innombrables objets qui s’entassent dans cette pièce de 8 mètres sur 3,6. Carter obtient le renfort d’un photographe et de deux dessinateurs du Metropolitan Museum of Art de New York qui possède une concession voisine dans la montagne thébaine. 

Travailler dans un espace aussi réduit est un cauchemar. Certaines pièces sont inextricablement emmêlées, et un mauvais geste risquerait de les abîmer. Retirés un à un avec d’extrêmes précautions, les tabourets, coffrets, vases, bijoux, statuettes, armes ou habits de cérémonie seront provisoirement entreposés dans la tombe de Séthi II. Quant aux objets les plus volumineux, comme les lits et les chars, il faudra les démonter pour qu’ils puissent passer par le couloir. Sept semaines seront nécessaires pour vider l’antichambre, sous haute surveillance. Trois équipes différentes montent la garde jour et nuit. 

Comment expliquer un tel désordre dans la tombe du pharaon ? Howard Carter et plusieurs autres égyptologues venus examiner les lieux sont persuadés que des pillards avaient réussi à s’y introduire en creusant un tunnel, mais qu’ils avaient été surpris ou arrêtés ensuite avec leur butin. Les autorités se seraient alors empressées de sceller la tombe et d’en masquer l’entrée après y avoir entassé tout l’équipement funéraire, sans prendre le temps de le ranger.

C’est une petite tombe, sans commune mesure avec celles d’autres souverains du Nouvel Empire. Tout laisse à penser qu’elle était destinée à un autre membre de la famille royale et que la mort prématurée de Toutankhamon, à l’âge de 19 ans, en a fait la sépulture du pharaon. Un pharaon qu’on s’est d’ailleurs employé à effacer de l’histoire, comme on l’avait fait pour son père, même si son règne a marqué le retour à la religion traditionnelle. Cette modeste tombe, sur laquelle étaient édifiées des cabanes pour les artisans de la métropole, avait ensuite échappé aux pillages survenus à la fin du Nouvel Empire. 

L’antichambre ayant été vidée, Howard Carter peut maintenant éclaircir le mystère de la porte scellée. Le 17 février 1923 en début d’après-midi, en présence du directeur du service des Antiquités, le Français Pierre Lacau, des autorités égyptiennes et britanniques, le découvreur de la tombe perce un trou dans le mur, y introduit une lampe et aperçoit une grande chapelle couverte de feuilles d’or, probablement destinée à protéger le sarcophage. Après deux heures de travail, il peut pénétrer enfin dans cette pièce, suivi de Pierre Lacau et de lord Carnarvon. D’autres portes non scellées les conduisent à une chambre qui renferme les véritables trésors de la tombe. Le plus grand des coffres est entièrement recouvert d’or et surmonté par une frise de cobras sacrés. « Lorsque, trois heures plus tard, nous sortîmes à la lumière du jour, transpirants, poussiéreux, échevelés, la vallée n’était plus la même, écrit Carter. Jamais nous ne l’avions autant aimée ; elle venait de nous faire vivre un rêve. »

Howard Carter vs Pierre Lacau

Il a fallu trois années de travaux avant d’accéder au saint des saints. Le 10 octobre 1925, en début de matinée, commence enfin le dégagement de l’entrée du tombeau. Un treuil est utilisé pour soulever le couvercle du sarcophage en quartzite. Apparaît un premier cercueil en bois doré. Deux autres y sont enchâssés. Au bout de plusieurs heures, on atteint le troisième cercueil. Il est en or massif ! À l’intérieur gît la momie noircie du jeune pharaon. Contrastant avec la couleur sombre de son corps, un magnifique masque d’or couvre sa tête et ses épaules.

À qui appartiennent les quelque 2 100 pièces qui ont été découvertes dans la tombe de Toutankhamon ? Lord Carnarvon et Howard Carter en réclament une partie. Le directeur des Antiquités y est absolument opposé : pour lui, ces trésors sont la propriété de l’Égypte.

Pas question de les disperser, leur place est au musée du Caire. Aux deux Anglais, il ne propose que la publication de la fouille. 

Pierre Lacau a succédé en 1914 à Maspero. Contrairement à Carter, c’est un égyptologue érudit dont les travaux sur la phonétique et l’étymologie égyptiennes font autorité. Il a été le premier Français à adopter un système de transcription des hiéroglyphes proche de celui de l’école de Berlin, mettant fin à un conflit qui n’avait plus lieu d’être. À la différence de Maspero, Lacau n’est pas favorable au partage des fouilles. Avant la découverte de la tombe de Toutankhamon, il avait fait savoir à l’ensemble des archéologues qu’on ne diviserait plus les trouvailles en deux lots de valeur égale, l’un pour les découvreurs, l’autre pour l’État égyptien. Ce savant intransigeant, d’une honnêteté scrupuleuse, a déjà eu maille à partir avec des Anglo-Saxons qui ont essayé d’obtenir son remplacement, sans succès. En 1918, lord Carnarvon suggérait à son gouvernement de donner aux Français la gestion des antiquités de la Syrie en échange des antiquités égyptiennes qui reviendraient aux Britanniques. Avec cet argument : « Archaeology should everywhere follow the flag » (« l’archéologie devrait partout suivre le drapeau »). 

Pierre Lacau défend une règle nouvelle, en avance sur les législations européennes et qu’il définit ainsi : « Toute antiquité mobilière ou immobilière appartient à l’État. Le document archéologique est regardé, de par sa nature même, comme étant d’intérêt public. » Les autorisations de fouilles sont données exclusivement à des institutions scientifiques et doivent aboutir à une publication. « L’État égyptien est propriétaire de tous les objets qui sont trouvés dans une fouille autorisée. Il garde librement ceux dont il a besoin pour constituer dans ses collections des séries complètes représentant l’ensemble de la civilisation égyptienne », mais donne le reste pour encourager les fouilleurs et faire connaître l’art égyptien à travers le monde. 

Howard Carter se retrouve seul face au directeur des Antiquités, car lord Carnarvon est décédé le 5 avril 1923. Piqué par un insecte dans la vallée des Rois, le mécène a été transporté au Caire où les médecins ont diagnostiqué un érysipèle contracté à la suite d’une coupure au visage et compliqué d’une pneumopathie aiguë, sans réussir à le sauver. Au moment où il expire, son chien, qui se trouve en Angleterre, hurle à la mort et décède sur-le-champ. La capitale égyptienne, elle, est victime d’une panne de courant… Il n’en faudra pas davantage pour que naisse la légende de « la malédiction de Toutankhamon ».

Désormais, tout décès –  à commencer par celui du… canari jaune de Carter, dévoré par un cobra – donnera l’impression de la confirmer. Les anciens Égyptiens n’auraient-ils pas inventé un poison qui agirait encore pour punir les violeurs de sépultures ? Des Anglais affolés se débarrassent des objets qu’ils possèdent en les envoyant au British Museum. À Washington, des hommes politiques demandent l’ouverture d’une enquête pour déterminer si les momies exposées dans les musées présentent la même dangerosité que celle de Toutankhamon… Une légende est née et ne cessera d’être ranimée par les médias chaque fois qu’il sera question du pharaon. 

Lord Carnarvon n’est donc plus de ce monde. Howard Carter se retrouve seul pour réclamer une partie de « son » trésor. Pierre Lacau ne veut rien entendre. Il réagit en conservateur du patrimoine, mais aussi en fonctionnaire d’un État égyptien en pleine transformation. Devant un mouvement nationaliste de plus en plus déterminé, les Britanniques ont mis fin à leur protectorat, tout en maintenant leurs troupes dans la vallée du Nil. Le 1er mars 1922, l’Égypte a été proclamée royaume indépendant. Dans son conflit avec les fouilleurs britanniques, le directeur des Antiquités est soutenu par les Égyptiens, qui sont en train de découvrir la valeur de leur patrimoine pharaonique. 

Howard Carter est furieux. Il finit même par suspendre son travail – la première « grève » d’un égyptologue ! – et quitter provisoirement le pays. Rien n’y fait : les quelque 2 100 pièces découvertes dans la tombe sont toutes acheminées au musée du Caire. Carter est désormais célèbre dans le monde entier, mais c’est Lacau, connu des seuls égyptologues, qui l’a emporté. Si cette découverte avait eu lieu quelques années plus tôt, si Lacau n’avait pas modifié la règle du partage des fouilles et tenu bon avec le soutien des autorités et de l’opinion publique égyptiennes, la moitié du trésor aurait probablement été dispersée entre le British Museum, le Metropolitan de New York et la collection privée de lord Carnarvon.

Extrait du livre de Robert Solé, "La grande aventure de l’Egyptologie", publié chez Perrin. 

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