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Le jour où Ben Gourion devint le chef du gouvernement de l’Etat d’Israël
©AFP

Bonnes feuilles

Geroges Ayache publie "Les douze piliers d'Israël" aux éditions Perrin. Israël n'est pas un État comme les autres. Sa naissance et son développement, son épanouissement – sa survie, aussi – reposent sur la condition et la volonté d'hommes et de femmes dont Georges Ayache brosse le portrait avec talent. Extrait 2/2.

Georges Ayache

Georges Ayache

Ancien diplomate, aujourd'hui écrivain et avocat, Georges Ayache est docteur en science politique et ancien élève de l'ENA.

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Il n’y eut pas de discussion, bien sûr, pour désigner le chef du gouvernement du nouvel État. Ben Gourion en était le candidat naturel. Il en avait la légitimité, de même que l’autorité et le charisme. De tous les chefs sionistes, il était un des rares, avec Haïm Weizmann, à avoir la stature d’un homme d’État, nourrissant une vision authentique et réunissant les aptitudes pour conduire un pays dont il était par ailleurs l’architecte. Pour les Juifs du désormais ex-Yishouv, il était déjà le père d’Israël. 

Après avoir longtemps réfléchi sur la façon de créer un État juif, Ben Gourion se demandait à présent comment ne pas perdre cet État. Deux dimensions étaient indissociables dans son esprit : le peuplement et la défense d’Israël. Le peuplement pour donner de la chair à cet État qui en manquait cruellement et la défense pour qu’il puisse survivre. 

Depuis longtemps, Ben Gourion songeait à une immigration de masse avec un objectif de long terme de 2 millions de Juifs sur une période de dix ans. À plus court terme, il envisageait un doublement de la population en quatre ans. Inconcevable avant la guerre, l’immigration massive des Juifs de la diaspora était devenue crédible au fil des bouleversements et des drames survenus entre-temps. Les experts objectèrent à Ben Gourion qu’une communauté de 700 000 personnes ne pouvait absorber plus de 400 000 nouveaux arrivants. Il réussit néanmoins à faire venir, en moins de trois ans, plus d’1 million d’immigrants. 

L’appui bienveillant de l’Union soviétique ne fut pas étranger à une telle réussite : à l’heure où le bloc communiste européen se repliait derrière un « rideau de fer » entravant notamment les mouvements de population, 300 000 Juifs purent quitter les pays d’Europe centrale et orientale entre mai 1948 et décembre 1949. Ben Gourion organisa aussi le rapatriement de Juifs menacés dans leurs pays respectifs : il en fut ainsi pour les 49 000 Juifs yéménites qui furent conduits en Israël entre juin 1949 et septembre 1950. Il eut moins de succès avec les Juifs d’Occident, qu’il était impatient de voir rallier Israël par centaines de milliers et que, par dépit, il se mit à qualifier d’« amis de Sion ». 

Toutefois, la loi du retour votée par la Knesset (le parlement israélien) en juillet 1950 ne fit qu’entériner le caractère juif du peuplement d’Israël. En revanche, Ben Gourion exclut toute perspective de retour des Palestiniens, qui eût été proprement suicidaire pour l’État juif. Comment accueillir des Palestiniens qui rejetaient viscéralement le sionisme et eussent formé une « cinquième colonne », acteurs ou complices potentiels de la destruction pure et simple d’Israël ? Si telle n’était pas leur intention, pourquoi rejetaient-ils alors l’éventualité d’un État arabe palestinien à côté de l’État juif ? Du reste, plus de 150 000 Arabes étaient restés en Palestine, infirmant ainsi de facto l’existence d’un nettoyage ethnique. 

Au soir du 14 mai, Ben Gourion nota dans son journal : « Nous avons déclaré la naissance de l’État. Notre sort est entre les mains des forces de sécurité. » Huit heures seulement après la proclamation d’indépendance, les armées régulières syrienne, libanaise, irakienne, transjordanienne et égyptienne commencèrent l’invasion du nouvel État. Dans la nuit, tandis que Ben Gourion était tiré du lit pour s’adresser par radio aux Américains, Tel-Aviv subit ses premiers bombardements. 

Aux premiers jours de son existence, l’État d’Israël semblait voué à un destin tragique. Jérusalem, notamment le quartier juif de la ville, était assiégé par la Légion arabe. Les kibboutzim de la vallée du Jourdain étaient sous la menace du corps expéditionnaire irakien. Déjà les premiers blindés égyptiens faisaient leur entrée dans Be’er Sheva. Les spécialistes militaires ne donnaient pas cher de la résistance sioniste : deux ou trois jours à tenir, une semaine tout au plus. 

Il était vital de gagner du temps en attendant la venue de renforts et des équipements militaires espérés. Ceux-ci arrivèrent in extremis. Chef de guerre désormais, Ben Gourion augmenta les effectifs de la Haganah en les faisant passer de 7 000 à 53 000 hommes entre décembre 1947 et mai 1948. Ces effectifs devaient atteindre 90 000 hommes en décembre de la même année. Dès le 26 mai 1948, il créa Tsahal (acronyme signifiant « armée de défense d’Israël ») en remplacement de la Haganah. 

Avant tous les autres, Ben Gourion avait compris que la confrontation militaire érigeait la sécurité en dimension identitaire du nouvel État au même titre que la judéité ou que la démocratie politique et sociale. L’armée fut d’emblée non seulement le garant de la défense d’Israël, mais aussi la colonne vertébrale de l’État, voire le noyau dur de son unité. Tsahal devint ainsi le creuset où des générations de migrants et de sabras formeraient une communauté d’action et de pensée. Ben Gourion n’en était pas moins inflexible avec ses officiers, les accueillant le plus souvent en réunion par des refroidissants : « Que faites-vous ici ? », ce qui, selon Shimon Peres, était sa façon de leur demander comment ils allaient. 

Profitant de la désorganisation des forces arabes, Ben Gourion reprit l’offensive fin mai. Chez lui, le politique ne s’effaçait jamais vraiment derrière le militaire, car il s’agissait aussi de remonter le moral des Juifs alors au plus bas. Une trêve de quatre semaines intervint à la mi-juin. Ce n’en fut pas vraiment une pour Ben Gourion, intransigeant sur l’exclusivité et la légitimité de la force exercée par Tsahal au nom de l’État. Il exigea que les milices politiques de l’Irgoun et du Lehi, au même titre que la Haganah, se fondent dans la nouvelle armée nationale israélienne. Ces milices rechignant à abandonner leurs vieilles habitudes, il engagea l’épreuve de force avec elles en faisant tirer sur leurs militants et incendier au large de Tel-Aviv l’Altalena, un bateau utilisé pour importer clandestinement des armes. Il n’hésita pas à brusquer ses propres ministres qui eussent préféré négocier. Mais pour Ben Gourion, traité de « dictateur fou » par ses détracteurs, on ne badinait pas avec l’autorité publique : « Il n’y aura pas deux États et il n’y aura pas deux armées ! » 

De cet épisode dramatique, Ben Gourion conserva une inimitié tenace envers Menahem Begin, le chef de l’Irgoun puis de la droite israélienne, qu’il ignora dès lors ostensiblement au point de refuser de l’appeler par son nom. Cette inimitié se renforça encore, en septembre 1948 à Jérusalem, lors de l’assassinat du médiateur de l’ONU, le comte Folke Bernadotte, perpétré par des activistes du Lehi, mais dont Ben Gourion tint aussi l’Irgoun pour responsable. Face à l’indignation internationale, il annonça la dissolution des mouvements dissidents à Jérusalem comme dans le reste du pays. 

Mais il y avait surtout une guerre à mener et celle-ci restait indécise, à une certitude près : la résolution 181 de l’ONU sur le plan de partage avait vécu et, avec elle, les frontières qu’elle avait tracées. Ce conflit imposé à Israël rendait nécessairement caduques les configurations territoriales antérieures. Si les Arabes persistaient dans leur intention de détruire l’État des Juifs, pourquoi ceux-ci devraient-ils renoncer à rendre à Israël ses frontières historiques ?

Extrait du livre de Georges Ayache, "Les douze piliers d'Israël", publié aux éditions Perrin 

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