Le Hold-Up des mots : Sécurité, séparatisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti et le ministre de l'Intérieur Gerald Darmanin lors d'un déplacement officiel à Saint-Denis, le 28 mai 2021.
Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti et le ministre de l'Intérieur Gerald Darmanin lors d'un déplacement officiel à Saint-Denis, le 28 mai 2021.
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

Geoffroy de Vries publie « Le hold-up des mots » aux éditions de l’Archipel. Nos sociétés abusent d'une novlangue qui détourne le sens premier des mots. Geoffroy de Vries nous propose de redéfinir, de façon simple, vulgarisée et synthétique, les principaux termes du langage culturel et politique courant, trop souvent dévoyés pour des raisons idéologiques. Extrait 2/2.

Geoffroy de Vries

Geoffroy de Vries

Geoffroy de Vries est avocat au Barreau de Paris et avocat des maires du Collectif des maires pour l'enfance.

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Sécurité

Peu employé avant le XVIIIe siècle, le mot vient du latin securitas qui désignait l’absence de soucis, la tranquillité et la sûreté.

La sécurité se positionne en seconde position sur la pyramide de Maslow qui hiérarchise les besoins d’un individu, après les besoins physiologiques de base.

Répondant à une forte attente et à un réel souci, l’exigence de sécurité est plus que largement prise en compte dans les différentes branches du droit français. En droit constitutionnel, cette exigence a pour objectif la sauvegarde de l’ordre public entendu comme « la sécurité des biens et des personnes », formant ainsi la première composante de l’ordre public dans le cadre de la police générale. Le Conseil d’État précise dans son rapport public de 2005 qu’elle « engendre la conviction que tout risque doit être couvert, que la société doit, à cet effet, pourvoir des dommages qu’elle a elle-même provoqués, mais encore de ceux qu’elle n’a pas été en mesure d’empêcher, ou dont elle n’a pas su prévoir l’occurrence ». Dans cette logique, le droit civil connaît de multiples régimes de réparations des dommages aux personnes, parmi lesquels le dommage corporel tient la première place, visant à indemniser toute atteinte à la personne : terrorisme, accidents de la circulation, victimes de l’amiante, etc. Dans le droit du travail, la sécurité des salariés a suscité un cadre législatif très dense et une jurisprudence nourrie. De même dans le droit pénal qui sanctionne les multiples infractions ou atteintes à l’intégrité physique des personnes. Bien que l’exigence de protection de la sécurité des personnes soit ainsi très largement prise en compte, elle est rarement formulée à travers l’affirmation d’un droit fondamental à la sécurité, du moins dans les limites du droit français. Le législateur exprime des principes qui légitiment et justifient la mise en place de dispositions législatives plutôt que de formuler un énoncé normatif ayant une évidente portée contraignante. Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme, si elle ne garantit pas le « droit à la sécurité », stipule que « l’exigence de la protection de la sécurité des personnes est prise en compte à travers le développement d’obligations positives déduites du droit à la vie et du droit de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants ».

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La tentation de vouloir « inscrire » la sécurité comme un « droit fondamental » ou, plus précisément, un principe constitutionnel, fait plus que jamais écho à l’exacerbation d’une demande de sécurité toujours plus forte au sein du champ politique et social. Elle est aussi le signe d’une mutation de l’approche : jadis l’exigence de protection de la sécurité s’exprimait sur‑ tout par la mise en place de dispositifs de sanctions (droit pénal) et de réparation (responsabilité civile), alors qu’aujourd’hui elle repose de plus en plus sur des mécanismes préventifs. Ainsi, aujourd’hui, la législation pénale comprend toute une série d’infractions pénales dites de « prévention » permettant de réprimer des comportements dont on soupçonne qu’ils pourraient déboucher par exemple sur un acte terroriste. Même logique pour le maintien en détention dans un centre de sûreté spécialisé de personnes ayant accompli leur peine, mais qui, selon le Code de procédure pénale, « présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un grave trouble de la personnalité », ou l’autorisation de mesures individuelles de contrôle et de surveillance (interdiction de circuler, obligation de pointage, placement sous surveillance électronique mobile) « aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme ».

Soulignons également que le concept de « sentiment d’insécurité » ne repose sur rien de concret. Un sentiment ne saurait être une réalité. Un sentiment est subjectif ; les chiffres de la délinquance, par exemple, sont objectifs. Ce « sentiment » d’insécurité, tarte à la crème des discours politiques de gauche, parfois très éloigné de la réalité de cette insécurité, est amplifié par la réalité du terrain (diminution des moyens humains et matériels de la force publique), par les médias qui bien souvent montent en épingle la moindre bavure policière, ne retenant que les images de violence dans un seul sens, ou ces reportages complaisants au cœur de cités où la police n’interviendrait plus, par l’incivilité grandissante, et autres comportements déviants.

La rhétorique sur l’insécurité, devenue un argument de campagne, ne repose pas sur des lacunes du droit qui, déjà, propose de nombreuses solutions et orientations. Mais selon que la sensibilité est plutôt de gauche ou de droite, l’approche n’est pas la même : la droite dite traditionnelle sera davantage sécuritaire (et sévère dans la sanction) que la gauche dite progressiste qui préfère travailler en amont à ce que le pire soit évité. Pour la gauche, il n’y a pas de coupables, juste des parcours chaotiques et malchanceux… Paradoxe : les individus réclament plus de sécurité, mais le moindre discours « sécuritaire » de droite, extrême ou modéré, déclenche des réactions en chaîne vis-à-vis d’une politique accusée alors d’être inhumaine, inégalitaire, voire fascisante… Et combien il est difficile, voire impossible, dans ce contexte, d’analyser, par exemple, le lien qui pourrait exister entre immigration, insécurité et terrorisme.

L’insécurité, qu’elle soit des personnes, des biens ou de la culture, et la parole politique qui l’accapare sont devenues un instrument de clivage au sein d’une société déjà fracturée…

Séparatisme

Voilà un mot qui, depuis quelque temps, crée des vagues, des emportements, des réactions parfois radicales, plus par ce qu’il suscite comme peur que pour des raisons strictement rationnelles. Initialement, le terme était employé dans un sens religieux ; il est utilisé au milieu du XVIIe siècle pour désigner et stigmatiser les opposants à l’Église anglicane. Il faut l’entendre dans le sens où l’Église catholique appela longtemps « frères séparés » les Églises protestantes : comme ces courants qui s’étaient volontairement séparés de l’unité première, du « corps », comme un membre amputé. L’idée maîtresse est au fond la scission et la mise en péril d’une unité pensée comme nécessaire.

Aujourd’hui, le terme est plus spécifiquement appliqué à la problématique de l’identité politique et à la nécessaire cohésion de la nation autour de principes fondateurs. En France, il a été utilisé de manière précise dans Le Figaro, en mars 2018, lors de l’appel de cent intellectuels contre le « séparatisme islamique », et ensuite repris par Emmanuel Macron en janvier puis octobre 2020, pour désigner une communauté qui ne respecte pas les lois de la République ; en quelque sorte une actualisation de « communautarisme », dans une occurrence plus précise. Une désignation qui cible et circonscrit un problème particulier lié aux vagues successives de terrorisme islamique. Le séparatisme est donc compris comme un sectarisme, comme la tendance d’opinions et surtout d’idéologies religieuses principalement issues de l’islam – soyons clair – à vouloir rompre et se séparer de l’unité nécessaire, en imposant des actes nuisibles et, dans la forme extrême, des actes terroristes comme nous en avons récemment subis en France.

Le terme, enfin, est accolé au projet de loi no 3649 « confortant le respect des principes de la République » discuté au Parlement au début de l’année 2021. Ce projet de loi entend rappeler les fondamentaux : dire et redire ce que sont ces fameux « principes » inhérents à l’identité de la République française, et tout d’abord affirmer qu’ils reposent tous sur ce socle fondateur qu’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, promulguée le 26 août 1789 puis placée en tête de la Constitution de 1791, puis dans le Préambule de celle de 1958, acte fondateur de la Ve République : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale. » Cet attachement profond, pour ne pas dire viscéral, suppose un double mouvement : chaque citoyen en reconnaît la légitimité, manifeste son attachement à ces principes, et la République reconnaît le fait que chaque citoyen appartient au corps de la souveraineté nationale. De même, l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme affirme : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » L’article premier de la Constitution proclame que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». C’est cette indivisibilité et cette unité comprises comme consubstantielles que la loi dite sur le « séparatisme » est censée préserver ou renforcer.

S’agissant de la liberté de religion, il faut avoir à l’esprit l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme (« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »), ainsi que l’article premier de la loi de 1905 sur la laïcité : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

Ainsi posé, il faut comprendre l’enjeu de cette loi, d’abord baptisée de « lutte contre le séparatisme » puis, dans un second temps, de loi « confortant le respect des principes de la République », à savoir : garantir le respect des principes républicains et le libre exercice du culte.

Par peur d’être une fois de plus accusé de stigmatiser une religion plus qu’une autre, en l’occurrence l’islam, le gouvernement a modifié l’intitulé de la loi, réaction assez hypocrite puisque les dispositions ciblent notamment certaines pratiques propres à un islam jugé dangereux ou attiré par l’extrémisme, à savoir par exemple la polygamie, les certificats de virginité, les mariages forcés, pour ne citer qu’eux, et qui sont le propre de certaines « coutumes » d’un islam qui place ses principes religieux au-dessus des lois de la République.

Les principes de la République étaient-ils à ce point devenus faibles ou mis à mal pour avoir besoin d’être « confortés » ? Certainement pas. En revanche, ils avaient besoin d’être proclamés encore et encore afin de prévenir ceux qui voudraient s’en éloigner, s’en séparer, qu’ils se condamnaient eux-mêmes à ne pas faire partie du corps de la nation, ce qui est fort différent. Ils avaient besoin aussi d’être rigoureusement appliqués par les services de l’État (surveillance et fermeture de mosquées, interdiction d’associations, expulsion des imams et autres individus dangereux dans leurs actes et paroles…), mais l’action n’a pas réellement suivi les beaux discours et engagements gouvernementaux.

Yves de Kerdrel écrivait en août 2020 dans Valeurs actuelles : « Le séparatisme est le résultat de notre pusillanimité et de nos lâchetés. » On aurait du mal à le contredire.

A lire aussi : Le hold-up des mots : Nation, politique

Extrait du livre de Geoffroy de Vries, « Le hold-up des mots, redonner aux mots leur vrai sens », publié aux éditions de l’Archipel.

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