Le grand renversement : la Russie s’allie avec le Pakistan, les États-Unis avec l'Inde<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les États-Unis s'allient avec l'Inde.
Les États-Unis s'allient avec l'Inde.
©Reuters

Petites infidélités

Les évolutions géopolitiques globales, et les nouvelles nécessités des puissances émergentes sur les fournitures en armements, font bouger les lignes dans le sous-continent indien.

Jean-Luc Racine

Jean-Luc Racine

Jean-Luc Racine est directeur de recherche émérite au CNRS (CESAH-EHESS) et chercheur senior au think tank Asia Centre.

Voir la bio »

Atlantico :  La Russie cherche à nouer des liens avec le Pakistan, pendant que les Etats-Unis commencent à vendre des armes à l'Inde. Cette double situation est assez inédite, ces dernières décennies voyant Islamabad être le meilleur allié de Washington, et l'Inde être plus proche du géant eurasiatique. Qu'indiquent ces rapprochements nouveaux ? 

Jean-Luc Racine : Restons réservés, et mettons ces rapprochements en perspective. Il y a incontestablement une évolution dans les relations russo-pakistanaies mais on part de très bas. Dans les années 50, le Pakistan a choisi, contrairement à l'Inde, de rejoindre les pays de l'Occident, avant de devenir un "Etat du front" lors de l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques. A l'inverse, en 1971, l'Inde et l'URSS avait signé un accord d'amitié. Tout cela explique que les relations entre Moscou et Islamabad étaient au point mort. Mais depuis un an ou deux les relations commencent à se réchauffer, et l'annonce d'un contrat de livraison d'hélicoptères de combat russes au Pakistan marque le début d'un tournant en matière de défense. Mais cela reste encore limité. Et la visite de Vladimir Poutine en Inde le 11 décembre rappelle que les relations bilatérales entre Moscou et New Delhi restent très fortes. Les relations russo-pakistanaises en sont encore loin. 

Ces nouveaux échanges peuvent-ils assombrir les relations diplomatiques traditionnelles Etats-Unis/Pakistan et Russie/Inde qui structurent encore largement la situation géopolitique de cette région ? 

ll y a certes des critiques, mais nous sommes dans un monde où tout le monde discute quasiment avec tout le monde. Les relations russo-indiennes viennent d'être réaffirmés, et ce projet de livraison d'armements au Pakistan est certes nouveau, mais il doit être mis en relation avec le projet indien de construire 400 hélicoptères de combat à partir de matériel russe. Le rapprochement russo-pakistanais s'inscrit plutôt dans le cadre du départ d'Afghanistan des soldats de l'OTAN d'une part, et d'autre part la réaffirmation des relations indo-américaines et l'impact de la crise ukrainienne qui redéfinit les relation entre la Russie et l'Asie.

La Russie traverse une situation économique très difficile. Sa volonté de se rapprocher avec de nouveaux acteurs est-elle la conséquence de la période trouble qu'elle traverse ? Moscou va-t-elle devenir plus volontariste et coopérative pour trouver de nouveaux appuis ?

Absolument. Sur la question de la vente d'hélicoptères de combat, les analystes font remarquer que les seules armes aériennes des forces afghanes, qui vont bientôt lutter seules contre les Talibans, viennent de Russie. Il y a donc déjà des ventes. Mais pour Moscou, face à la crise, les sanctions, la baisse rapide du rouble sont autant de raisons de chercher de nouveaux marchés. Et ils vont développer un discours vis-à-vis de l'Inde expiquant que les hélicoptères de combat livrés aux Pakistanais serviront à mener la lutte dans les zones tribales contre les Talibans. Je ne suis pas si sûr que les observateurs indiens accepteront ce point de vue...

La force des Etats-Unis dans l'environnement diplomatique repose sur le potentiel d'armement qu'elle propose à la vente à des pays qui cherchent de plus en plus à s'assurer une sécurité militaire. Quelles peuvent être les évolutions de cette "diplomatie de la vente d'armes" ? 

La question du moment, c'est ce que sera la stratégie américaine de "pivot vers l'Asie", et le reéquilibrage des forces américaines sur le continent, tel que cela avait été exprimé par Hillary Clinton lors du premier mandat de Barack Obama. Cela a encore été reformulé par le Pentagone en 2012. Cette volonté s'explique bien sûr par la poussée chinoise dans la mer de Chine. Il y a une interrogation, à la fois au Japon, en Corée du Sud, et dans l'Asie du Sud-est sur la solidité du bouclier américain. Les Etats-Unis doivent donc renforcer leur présence dans la défense de la région. Mais ça, c'était avant la crise ukrainienne, avant l'Etat islamique... Les Américains veulent cependant rassurer leurs alliés en manifestant leur présence, et ils entendent vendre des armes (ce qui inclut aussi des transferts de technologies), et l'Inde est devenue depuis 2009-2010 le premier importateur d'armes au monde. Et pas seulement pour les Etats-Unis d'ailleurs. 

Le fait que l'Inde et le Pakistan partagent maintenant des relations plus poussées avec des partenaires communs peut-il faire évoluer leur relation très conflictuelle ?

Pas vraiment. Les relations bilatérales entre ces Etats sont toujours prises dans cet entre-deux où l'on alterne entre phases de négociations et de dialogues, et incidents sur des points chauds au Cachemire ou un attentat terroriste, qui suspend le dialogue. Les choses vont rester ce qu'elles sont tant que la question du Cachemire ne sera pas réglée, ce qui va prendre du temps. Et l'institution qui est incontournable dans le pouvoir pakistanais, c'est l'armée, ce qui ne va pas faciliter l'évolution pacifique de la situation. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !