Le grand malentendu : le gouvernement a-t-il compris qu’en réalité les Français étaient pour le contrat d’union civile, pas pour le mariage homosexuel ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Les Français pas favorables au mariage gay mais au contrat d'union civile
Les Français pas favorables au mariage gay mais au contrat d'union civile
©REUTERS/Christian Hartmann

Sous un tunnel

Juste avant que le projet de loi ne passe devant le Sénat, 53% des Français se disaient favorables au mariage homosexuel tandis que 56% s’opposaient à l’adoption par les couples de même sexe (sondage SCA/BFMTV, 2-3 avril). Quelles leçons le gouvernement doit-il retirer de ce qui ressemble à une incohérence ? Mariage et adoption peuvent-ils être dissociés ?

Jean-René Binet - Bertrand Vergely - Chantal Delsol

Jean-René Binet - Bertrand Vergely - Chantal Delsol

Jean-René Binet est professeur de droit privé à l’université de Franche-Comté. Spécialiste réputé des questions de bioéthique, il est auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles relatifs au droit des personnes et de la famille, à la bioéthique et au droit médical, il a dernièrement publié, aux éditions Lextenso Montchrestien un cours de Droit médical en octobre 2010 et La réforme de la loi bioéthique, aux éditions LexisNexis en mars 2012.

Bertrand Vergely est philosophe et théologien. Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010).

Chantal Delsol, née à Paris en 1947, est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

Voir la bio »

Atlantico : 53% des Français se disent favorables au mariage homosexuel tandis que 56% s’opposent à l’adoption par les couples de même sexe. Pourtant la loi dispose que le mariage consiste en la création d’une famille. Comment expliquer que les Français semblent ignorer qu'il n'est pas possible de distinguer le fait de se marier de celui de pouvoir adopter ? Peut-on parler d'un déficit de pédagogie sur le sujet ?

Jean-René Binet : Un déficit de pédagogie ou une confusion entretenue. En réalité, la question du sens du mariage est une question qui fait débat. Certains affirment  que le mariage n’est ni plus ni moins qu’un contrat destiné à organiser la vie entre deux adultes qui y consentent. Si on envisage les choses sous cet angle-là, on peut tout à fait distinguer d’une part le mariage, d’autre part la filiation.

Mais le mariage tel qu’il figure dans le Code civil est une institution fondatrice de filiation, de sorte qu’il n’est pas du tout possible de distinguer l’une de l’autre. Le fait est que le projet de loi a été présenté depuis déjà bien longtemps comme un projet de loi sur le mariage pour tous, et l’objectif poursuivi par cet intitulé est de faire en sorte qu’en effet les gens pensent qu’il ne s’agit que du mariage. Peut-être eût-il fallu que le projet s’appelle « mariage et adoption pour tous », pour que les gens comprennent qu’en réalité la question de l’adoption était indéfectiblement liée à celle du mariage ?

Bertrand Vergely : Ce n'est pas un déficit de pédagogie. Les Français essaient de marquer deux réalités contradictoires qui se trouvent à l'intérieur du débat sur le mariage. Il y a un problème de réalité et un problème de tolérance : les Français veulent à la fois être tolérants et être dans la réalité. Tolérants, en acceptant que les homosexuels aient le droit de s'aimer, car le mariage est vu ici sous le simple aspect du sentiment. Mais de l'autre côté, le mariage qui entraîne la filiation pose un problème pour l'enfant qui n'aura pas un père et une mère. Cela posera un problème éducatif.

Les Français se disent qu'il faut couper la poire en deux : leur permettre de se marier mais pas d'avoir d'enfants. Mais il ne faut pas se leurrer, si on leur permet de se marier, on leur permettra à terme d'avoir des enfants.

Il y a un déficit de pédagogie car on ne sait plus ce qu'est une famille : elle ne repose plus sur une réalité, mais sur des sentiments et des droits. Pour l'instant, la diffusion de la vie passe par un homme et une femme. Depuis toujours, le mode de reproduction de l'humanité passe par la différence sexuée, un homme, une femme et un enfant. L'histoire est ensuite venue donner des droits à cette structure naturelle.

Là où nous sommes très embarrassés, c'est que nous sommes passés du mariage-procréation au mariage-sentiment, lié au bien-être des individus. Le problème auquel on a affaire est une crise totale de la culture, puisque que notre culture est devenue une culture de la subjectivité, de l'individualisme, du bien-être, qui ne repose absolument plus sur des données réelles. On essaye de réaliser un bricolage qui ne peut pas tenir : à court terme, si on permet aux homosexuels de se marier, le pouvoir politique finira par céder sur la question des enfants.

Chantal Delsol : Je ne crois pas. Le projet de loi lui-même brouille tous les repères, puisque par définition un couple homosexuel ne peut pas créer une famille ! C’est le gouvernement qui aurait besoin d’une pédagogie ! Les Français sont écartelés entre la crainte de cette accusation d’homophobie qu’on leur jette à la figure, et la honte d’être cette génération qui aura jeté des enfants dans des « familles » si inquiétantes. Alors ils demandent que l’on protège au moins les enfants. Ils doivent vouloir aussi que les adoptions d’enfants étrangers restent possibles en France, et on sait bien que la plupart des pays du monde ne suivront pas.

A partir des résultats du sondage, peut-on déduire qu’en réalité une majorité de Français prône le contrat d’union civile plutôt que le mariage homosexuel ?

Jean-René Binet : Si l’on demande aux Français s’ils sont pour le mariage et qu’ils répondent par l’affirmative, c’est qu’ils le sont. Est-ce qu’on pourrait imaginer un mariage sans ouverture vers l’adoption ? Ce serait compliqué parce que les règles qui régissent l’adoption aujourd’hui prévoient que celle-ci est possible pour les couples mariés. Il faudrait donc à ce stade-là faire une distinction pour les couples mariés formés d’un homme et d’une femme, si l’on voulait en exclure les couples mariés  formés de deux hommes ou de deux femmes. Et là il y aurait un risque d’avoir un traitement possiblement discriminatoire. On ne peut pas distinguer la filiation du mariage. Dans ce sens-là on peut dire que ce que souhaiteraient les Français, c’est plutôt un contrat d’union civile que le mariage.

Bertrand Vergely :Les Français sont revenus sur la création d'une nouvelle famille et sur l'extension de celle-ci aux homosexuels. Ce sondage montre que les opinions sont partagées. Le mariage n'a plus tout à fait la même fonction, parce que si on l’associe à la possibilité d'avoir des enfants, cela signifie que, de fait, on ne permet pas aux homosexuels de fonder une famille. Pour les partisans du mariage pour tous, c'est un échec. Les Français auraient préféré que ce soit un contrat d'union civile : cela aurait arrangé tout le monde.

Chantal Delsol : Sans doute, ce serait logique, en tout cas un moindre mal. Même ceux qui ont récusé auparavant le PACS (j’en suis) parce que le PACS ne s’occupe pas de la responsabilité envers les enfants, préfèreraient le PACS au mariage gay. On sait que le gouvernement rigole parce que nous finissons toujours par accepter ce que nous refusions il y a quelques années. C’est qu’on nous propose des projets de plus en plus aberrants, et nous sommes bien contraints de préférer le mauvais au pire – mais il y a sûrement un pire encore qui arrivera demain… sur la voie de Frankenstein, on ne sait pas où cela s’arrête.

Le gouvernement l'a-t-il sciemment ignoré ? La Ministre chargée de la famille Dominique Bertinotti a récemment déclaré que la question de la procréation médicalement assistée (PMA) « sera abordée » en fin d’année. Peut-on dire que le gouvernement a cherché tout au long des débats à noyer le poisson sur la question de l’enfant ? Pour quelles raisons ?

Jean-René Binet : Je ne sais pas si on peut dire que le gouvernement a essayé de noyer le poisson. Une chose est certaine au sujet de la PMA, c’est qu’il y a plusieurs sons de cloche. Il n’est pas exclu que la PMA soit dans le projet de loi relatif à la famille, il n’est pas obligatoire non plus qu’elle y soit. On verra bien. Le Comité consultatif national d’éthique  a été saisi, et doit émettre son avis. Comme toujours en la matière, le président et le Parlement entendront l’avis du Comité et ensuite prendront leurs responsabilités. Je ne sais pas s’il y a une volonté de masquer les choses, je crois qu’il y a plutôt une hésitation.

Bertrand Vergely : Le gouvernement pour l'instant est très ennuyé, mais ne désarme pas. La raison est bien évidemment idéologique : il s'agit pour la gauche de conserver des valeurs d'utopie et d'affirmer qu'ils sont les partisans d'un progrès, d'un changement radical. Christiane Taubira a d'ailleurs déclaré être "pour une nouvelle humanité". 

Il y a les Français d'un côté qui, d'après les sondages, ne sont pas d'accord avec le gouvernement sur les questions familiales, et de l'autre le pouvoir politique qui veut, avec le marqueur idéologique que représente le mariage pour tous, montrer qu'il est ouvert, progressiste, en prenant exemple sur les pays étrangers.

Chantal Delsol : Bien sûr. C’est pour cette raison que le gouvernement est persuadé que nous sommes des passéistes ringards qu’il faut mener contre eux-mêmes sur la voie du progrès. Tout est bon pour nous tromper, parce que nous sommes des crétins ! Nous n’avons rien compris à la véritable égalité. Il faut donc penser pour nous.

Le pourcentage de Français opposés à l’adoption par les couples homosexuels est passé de 48% en décembre 2012 à 56% aujourd’hui. Quelle pourrait être demain leur réaction quand ils seront mis devant le fait accompli que la loi Taubira autorise et le mariage, et l’adoption pour les couples homosexuels ?

Jean-René Binet : Pour revenir à une question précédente, il y a très vraisemblablement un manque de quelque chose dans tout cela : de pédagogie peut-être, de débat sûrement. Les Français - et c’est ce que traduisent certainement ces sondages - prennent progressivement conscience de ce que va effectivement être la loi, parce qu’un débat s’est instauré dans la société. Pas à l’initiative du gouvernement, malheureusement.

Il eût été beaucoup plus sage pour le gouvernement de faire comme pour les grandes réformes du Droit de la famille des années 70 : une vaste enquête ; et comme on avait fait pour la loi de bioéthique : des États généraux. De façon à bien expliquer aux gens de quoi il s’agissait et être sûr que les Français étaient favorables à ce que la Ministre de la Justice a qualifié de changement ou de révolution de civilisation. Les Français sont-ils vraiment favorables à cela ? Voilà ce qu’un vaste débat aurait permis de déterminer.

Bertrand Vergely : Personne ne peut le prévoir. Mais il faudrait être une force politiquement organisée pour pouvoir agir, alors que celle que l'on connaît actuellement est organisée soit autour de l’Église catholique, soit de l'UMP. Le but du gouvernement est de faire passer les choses en force quoiqu'il se passe, leur unique préoccupation étant de paraître moderne.

Chantal Delsol : Ils seront plus furieux encore… le nombre de gens en colère augmentera. Mais cela peut durer assez longtemps puisque, vous l’avez vu récemment dans Télérama, les sondages qui expriment cette colère sont considérés comme faux : on nous dit que nous avons le tort, en les citant, de « confondre les Français et les sondés »… Il me semble que pour la première fois peut-être, un grand nombre de citoyens a décidé de se mobiliser contre des lois qui leur semblent scélérates.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !