Le grand hold-up : comment l’Allemagne a capté 89% de la croissance européenne sur les 5 dernières années (et pas seulement grâce à ses mérites)<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Allemagne a capté 89% de la croissance européenne sur les 5 dernières années
L’Allemagne a capté 89% de la croissance européenne sur les 5 dernières années
©REUTERS/Leonhard Foeger

Super cagnotte

Au cours des 5 années qui ont suivi le premier trimestre 2008, l'économie allemande a capté la majeure partie de la croissance européenne. Une situation qui doit plus à l’iniquité des conditions macroéconomiques de la zone euro qu'à une prétendue supériorité du modèle allemand.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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  • L’Allemagne a capté 89% de la croissance européenne depuis 2008
  • La mise en place des réformes de flexibilisation du marché du travail et le modèle économique allemand en sont la cause : le pays surfe sur la croissance hors zone euro.
  • Le marché intérieur européen est dévasté par les erreurs commises par la BCE, qui ne voit pas le problème. L’Allemagne non plus, puisqu’elle n’en a pas besoin.
  • Pour les pays qui ont un modèle tourné vers le marché intérieur européen, la crise perdure.

Lire aussi : Et après avoir détourné la croissance européenne ces dernières années, l’Allemagne bien partie pour entraîner la zone euro vers le fond

Le lundi 4 août 2014, le journal Le Monde rapportait les propos de François Hollande "Nous ne sollicitons pas de l'Allemagne une quelconque indulgence, mais nous lui demandons un soutien plus ferme à la croissance" (lire ici, édition abonnée).La porte-parole du gouvernement d’Angela Merkel ; Christiane Wirtz, s’était alors empressée de répondre au Président Français :

"Les déclarations très générales en provenance de Parisne fournissent aucune raison pour de quelconques corrections dans la politique économique"(…)"L'Allemagne est déjà une locomotive importante, la plus importante même, pour la conjoncture de la zone euro". Le fait est que depuis l’entrée en crise, l’Allemagne n’en finit plus de provoquer soit un sentiment de crispation soit un sentiment d’admiration. Deux visions s’opposent, l’Allemagne est-elle une locomotive ou un frein à la croissance européenne?

Cette question est légitime. Car l’Allemagne est bel et bien devenue l’aspirateur de la croissance européenne. Sur les 5 dernières années, 89.15% de la croissance de la zone euro a été captée par ce seul pays. Et ce, alors même que son économie ne représente que 28.5% du poids économique de l’ensemble. Le déséquilibre est à ce point massif qu’il en est évidemment insoutenable. Ainsi, lorsque l’Allemagne se refuse à "un soutien plus ferme à la croissance" il y a bien une raison : elle n’en a tout simplement pas besoin. En termes de croissance, elle a déjà ce qu’il faut.

% de la croissance de la zone euro (prix courants) captée par l’économie Allemande. Lissée sur 5 ans.

Alors que l’économie d’outre-Rhin bénéficiait d’environ 20% de la croissance européenne avant crise, ce qui est en fait plutôt faible en considération de son poids économique (28%), elle est aujourd’hui en situation de quasi-monopole. Alors comment l’Allemagne a-t-elle fait pour en arriver là ?

D’abord ce qu’elle a bien fait : la flexibilisation du marché du travail. Lorsque la crise frappe le plus durement entre 2008 et 2009, les employeurs allemands ne licencient pas car ils ont la possibilité de réduire le nombre d’heures travaillées de leurs salariés. Ces derniers gardent leur emploi et devront adapter leurs heures de travail en fonction de la demande. Le résultat est que le taux de chômage n’est pas touché et les dépenses d’assurance chômage sont contenues. A l’inverse, privés d’une telle flexibilité les autres pays européens vont se retrouver dans des processus de forte hausse du taux de chômage venant impacter négativement les dépenses de consommation, et positivement les dépenses publiques. Celles-ci devront alors être compensées par des hausses d’impôts ou des réductions de dépenses des administrations ayant également un effet récessif.

Puis, le coup de bol. L’Allemagne est une économie puissamment tournée vers l’exportation (50% du du PIB). Et entre le creux de la crise (2009) et 2013, celles-ci vont progresser de 37% sous l’effet des plans de relance chinois, américains, britanniques qui vont tous participer au rétablissement des ventes du pays. Sans la mise en place de tels plans, le modèle mercantiliste allemand avait du souci à se faire.

Une réforme salvatrice, un modèle adapté au contexte économique du moment, l’économie allemande passe à travers les gouttes de la crise. Face à une telle réussite, il devient improbable de contester quoi que ce soit. Si près de 90% de la croissance va à l’Allemagne, c’est qu’elle a fait les efforts nécessaires pour y parvenir et qu’il est légitime qu’elle en perçoive les fruits. La débâcle des autres pays ne serait alors que la conséquence de leur propre médiocrité économique, et politique.

Mais une telle affirmation cache une autre réalité. Si l’Allemagne a pu redresser rapidement son économie, c’est qu’elle ne dépendait pas du marché intérieur européen. En effet, alors que les exportations allemandes hors zone euro ont progressé de 28% entre 2008 et 2013, les exportations intra zone euro ont parfaitement stagné (elles ont baissé de 0.006% pour être précis). A l’inverse, pour un pays comme la France qui repose principalement sur son marché intérieur (ce qui correspond au modèle américain), un tel contexte est une promesse de stagnation. Car le marché intérieur européen a été brisé. Afin de constater cet état de fait, il suffit de mesurer le taux de croissance nominale de la zone euro sur 5 ans (pour garder une cohérence avec la graphique précédent).

Croissance nominale de la zone euro sur 5 ans. En %.

Avant la crise, 5 années passées correspondaient à 20-25% de croissance nominale (la croissance additionnée de l’inflation) pour l’ensemble de la zone euro. Mais pour les 5 dernières années (2008-2013) le total n’est que de 3%.

Et ce qui est essentiel ici c’est que la "croissance nominale" (croissance + inflation) est sous contrôle total de la BCE. C’est-à-dire que l’effondrement de cette variable au cours des cinq dernières années ne peut être interprété que comme un choix délibéré ou comme le résultat d’une formidable incompétence de l’autorité monétaire (Il est probable que ce soit les deux). Car précisément, le rôle d’une banque centrale est de stabiliser cette variable. Mais le résultat est le même ; le marché intérieur européen est martyrisé.

Pour résumer, la situation de la zone euro est simple : L’économie allemande n’a pas eu besoin du marché intérieur européen pour sortir de la crise. Tant mieux pour elle. Tant pis pour les autres. Ainsi lorsque l’Allemagne se cabre face à la volonté de relancer la demande intérieure européenne par la voie de la BCE, elle prive les autres pays de toute capacité de rebond.

Cette situation économique rappelle les propos de Milton Friedman, dans une interview donnée à la Hoover Institution en 1999 :

Epstein : Pensez-vous que l’union monétaire européenne sera un succès ?

Friedman : Je l’espère, mais je suis sceptique.

Epstein : Pourquoi ?

Friedman : Parce que l’Union européenne n’est pas une zone appropriée pour une monnaie unique. Il peut y avoir des situations où une monnaie unique est désirable et des situations ou ce n’est pas le cas. Cela est désirable lorsque vous avez des pays qui parlent la même langue, lorsque des mouvements de population ont lieu entre les pays, lorsque des systèmes d’ajustement existent pour contrer des effets asymétriques sur les différents pays. Les Etats-Unis sont une bonne zone pour une monnaie unique, pour toutes ces raisons.

Mais l’Europe est à l’opposé de tout cela. Ses habitants ne parlent pas la même langue et ont différentes coutumes. La mobilité est réduite entre les pays. Le taux de change de ces différents pays était un mécanisme par lequel ils pouvaient s’ajuster face à des chocs qui les touchaient de façon asymétrique. En fait, les Européens ont fait le pari de jeter ce mécanisme d’ajustement par la fenêtre. Mais au final, je pense que cela sera une grande source de problèmes.

Epstein : Quels genres de problèmes ?

Friedman : Les problèmes ne se poseront pas pour tout le monde. Certains seront affectés par des situations qui étaient réglées auparavant par des dévaluations. Mais en raison du fait qu’ils sont bloqués dans un système de monnaie unique, l’alternative sera une récession. 

Il n’est pas nécessaire d’en rajouter beaucoup plus. La survenance du choc asymétrique a eu lieu. La répartition des niveaux de croissance au sein de la zone en atteste :

Part de croissance par pays. Zone Euro. Lissée sur 5 ans.

Et lorsque le partage de la croissance européenne ressemble à un poireau, faute de pouvoir contrer ce choc "asymétrique", il est peut-être temps de réagir. Lorsque l’Allemagne soutient la BCE dans son orthodoxie alors qu’elle capte 90% de la croissance depuis les 5 dernières années, il est peut-être temps de réagir. Car pour réagir il suffit d’imposer à la Banque centrale européenne de suivre l’intérêt général européen en stimulant son marché intérieur, c’est-à-dire de rétablir les niveaux de croissance nominale d’avant crise. Puisqu’il s’agit bien là de sa fonction et surtout de son pouvoir.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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