Le FN devrait-il changer de marque et Marine Le Pen de nom ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour aller jusqu'au bout de la dédiabolisation, le FN doit-il changer de nom ?
Pour aller jusqu'au bout de la dédiabolisation, le FN doit-il changer de nom ?
©Reuters

L'habit ne fait pas le moine

Jeudi soir, Marine Le Pen sera l'invitée de l'émission politique "Des Paroles et des Actes". Pour aller jusqu'au bout de la dédiabolisation, le FN doit-il changer de nom ?

Sylvain  Crépon et François Belley

Sylvain Crépon et François Belley

Sylvain Crépon, docteur en sociologie et chercheur au laboratoire Sophiapol de l'université Paris-Ouest-Nanterre, étudie le Front national depuis le milieu des années 1990.

Auteur de plusieurs travaux de référence sur l'extrême droite, ses recherches portent également sur les minorités religieuses en France et en Europe. Son dernier livre : Enquête au coeur du nouveau Front national (Nouveau Monde Editions, mars 2012).

François Belley est publicitaire et planneur stratégique à l’Agence MelvillePassionné de communication politique, il a publié l’essai Ségolène®, la femme marque et est l’auteur du blog « la politique spectacle décryptée par un publicitaire ».

 

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Atlantico : Marine Le Pen, présidente du Front national sera l’invitée ce jeudi de l’émission politique Des Paroles et des Actes. Mercredi, alors qu’elle était invitée à prononcer un discours par une association de l’université de Cambridge, elle a été accueillie par des manifestants aux cris de "Pas de nazi ici". Sur leurs pancartes, on pouvait également lire "F comme fascisme et N comme Nazi". La question de l’image ambivalente du parti se pose. Le FN devrait-il changer de marque et de nom comme cela a été notamment évoqué par Gilbert Collard ?

François Belley : Le sujet du changement du "nom de marque" revient régulièrement dans la sphère politique. Il est d’ailleurs à noter qu’il est bien souvent porté médiatiquement par des personnalités en quête de notoriété, voire de légitimité politique. Souvenons-nous, à titre d’exemple, de Manuel Valls qui, en 2009 voulait changer le nom du PS, ou même d’Hervé Morin (la même année) intéressé pour racheter la vieille estampe "UDF" jugée vraisemblablement plus porteur dans l’esprit du "conso électeur". Concernant la marque "FN", celle-ci s’est, de toute évidence, engagée depuis 2007 dans un long processus de modernisation d’image où le produit "Marine" doit maintenant l’emporter sur la marque "FN". Il y a même chez l’actuelle présidente du FN une volonté de s'affranchir de la marque "Le Pen". Souvenons de la dernière élection présidentielle, plus spécifiquement de son affiche officielle de campagne : aucune mention de son nom ni de son parti. Continuant la stratégie pour l’heure gagnante de dédiabolisation, Marine Le Pen marque une vraie rupture de style préférant le sourire féminin aux provocations viriles et inutiles de son père. Elle présente ainsi, à l’appui d’un "packaging produit" résolument plus moderne, l’image d’une offre dans l’air du temps, susceptible d'être intéressante donc à terme plus acceptable.

Sylvain Crépon : Gilbert Collard n'est pas au Front national et son avis est assez minoritaire au sein du parti. La question se pose néanmoins pour Marine Le Pen. Dans les partis d'extrême droite, le parti est souvent associé à son leader. On parle d'ailleurs de "lepénisation" des esprits et non de "frontisation". Beaucoup au Front national, peut-être à commencer par sa fille, veulent tourner la page de Jean-Marie Le Pen qui pâtit toujours d'une réputation sulfureuse liée à ses provocations antisémites. Les anciens "Mégretistes" appuient également dans le sens de la "normalisation"car ils ont conscience, a l'instar de leur ancien mentor, que la logique de parti "anti-système" est stérile politiquement. Un changement de nom serait synonyme d'un nouveau départ. Mais beaucoup de frontistes sont hostiles à un changement de nom, y compris dans l'entourage de Marine Le Pen. Ces derniers sont "marinistes", mais restent avant tout "lepénistes" et sont reconnaissants à Jean-Marie Le Pen d'avoir fait du Front national ce qu'il est.

Cela dit, le FN qui existe depuis 1974 est un "produit politique clairement identifié". Quels pourraient-être les effets négatifs d’un tel changement ?

François Belley : Comme le patronyme "Le Pen", le "FN" est aujourd’hui en effet une marque bien ancrée dans le paysage politique français, clairement identifiée sur le plan idéologique et même référente sur son marché à l’extrême droite. Historiquement, le "FN" constitue donc, derrière le PC puis le PS, l’une des plus anciennes marques politiques du marché avec ses attributs. Dès lors, elle bénéficie d’une identité (construite au fil du temps) et d’une force d’évocations naturelles liées à son histoire. Surtout, le "FN" constitue un repère voire une certaine garantie à l’extrême droite pour le "conso électeur". Autrement dit, s’affranchir d’une telle "marque" serait en d’autres termes se priver d’un gage de caution et de sécurité au moment du passage dans l’isoloir. Enfin, en termes d’image, l’erreur serait de tomber dans la personnification à outrance du parti si d’aventure les instances dirigeantes venaient à intégrer le nom de "Marine" dans le wording, traduisant en effet l’ego trip et le culte du chef politique trop souvent dénoncés par les Français. 

Sylvain Crépon : A mon avis, le débat au sein du FN porte davantage sur la stratégie et les idées que sur le "nom". Le changement de nom est une manifestation secondaire qui pourrait entériner un changement de cap. S'il s'agissait seulement de changer de nom, les électeurs ne seraient pas vraiment dupes.Cela n'aurait pas forcément l'impact attendu.

Une nouvelle scission au sein du parti pourrait-elle avoir lieu comme en 1998, avec l’affrontement Mégret/Le Pen ? Le risque n’est-il pas de perdre les militants historiques du FN ?

Sylvain Crépon : Beaucoup de militants historiques n'appuient pas "la normalisation" du FN. Si le Front national changeait de nom ou allait trop loin dans la "dédiabolisation", ces militants pourraient se désolidariser du parti. Je ne sais pas si cela nuirait vraiment au Front national qui avait survécu à la scission avec les "mégretistes". On a vu d'anciens cadres frontistes importants tenter de fonder des structures concurrentes à l'instar de Carl Lang avec le Parti de la France. Mais ces structures sont restées marginales précisément parce que le FN avait pour lui son appellation historique contrôlée qui tenait précisément à son nom ainsi qu'à la personnalité de son leader qui l'incarnait. Marine Le Pen a beau prendre quelques distances avec son père, elle continue d'incarner le nom du père et donc le parti. Plusieurs cadres qui était idéologiquement plus proches de son rival Gollnisch lors de la compétition interne pour la présidence du parti ont soutenu sa candidature, sentant bien qu'avec une telle continuité patronymique le FN pouvait espérer de plus grands succès électoraux. 

Ce type de changement a déjà eu lieu dans d’autres partis : RPR/UMP, UDF/Modem, Parti radical/UDI. Quels changements cela a-t-il entraîné ?

François Belley :Pour une marque installée, le changement radical de nom est toujours un pari risqué, l’enjeu étant en effet de ne pas perdre au passage le consommateur. Autrement dit, l’électeur dans notre cadre. Ainsi, une évolution est toujours plus intelligente. C’est justement ce qui est en train d’être stratégiquement  opéré au FN depuis plusieurs années. Car au fond, ce n’est pas la marque FN qui est en train de muter mais bien celle de Le Pen (plus importante et plus forte que la première) qui, à l’instar des marques commerciales, a manifestement évolué, changé d’identité, de style, même de packaging tout en ayant conservé un territoire propre et une histoire renvoyant à des figures omniprésentes telles que son père évidemment. Ainsi, il ne faut pas confondre les partis politiques et les personnalités de premier plan qui les incarnent. L’enjeu est à mon sens davantage sur le nom Le Pen plus que sur le FN se souvenant que dans une présidentielle,  on vote plus pour 1 homme (ou 1 femme) que pour 1 parti. A l’appui des dernières élections, l’étiquette "Bayrou" a toujours été plus intéressante que celle du Modem, la griffe "Sarko" plus attractive que l’UMP et Ségolène, "la femme marque" (dans sa version 2007), plus désirable que le PS.

Depuis janvier, le parti organise des conférences afin de former de futurs cadres en vue des municipales de 2014. Cette initiative semble traduire un désir de modernisation. Jusqu’où le changement d’image du FN peut-il être poussé ? Celui-ci peut-il aller de pair avec un changement idéologique ?

François Belley :Marine Le Pen est face à un double enjeu : d’abord, dépasser  le "vote contre", le  "vote de la colère" et donc aller au-delà du fonds de commerce et du positionnement historiques de son père. Ensuite, crédibiliser la possibilité future d’une gouvernance "Le Pen" et donc transformer le vote FN en "vote pour". Ce qui exige au préalable de gagner en crédibilité  en mettant en avant ses capacités personnelles mais surtout  les compétences de son équipe, avec forcément l’émergence médiatique de  figures dites neuves pour l’opinion publique. C’est, entre autres, avec cette grille de lecture qu’il convient d’analyser l’existence stratégique de personnalités "nouvelles" (sur le plan politique) comme Gilbert Collard ou encore Florian Philippon.

Sylvain Crépon : Le problème est clairement idéologique et stratégique. A travers le débat sur le changement de "nom", on se rend compte des limites de l'action du Front national. La dédiabolisation a pu laisser croire que la stratégie serait désormais de mettre à bas le cordon sanitaire qui a été constitué autour du Front nationalpour s'engager dans des alliances avec la droite. De nombreux cadres ont en effet conscience que le Front national ne pourra jamais arriver au pouvoir seul. Cela passera forcément par des alliances avec la droite, ou du moins une partie d'entre elle. Et pour nouer ces alliances, Marine Le Pen devra renoncer à certains fondamentaux du Front national, à commencer par la préférence nationale qui est anticonstitutionnelle comme l'avait déjà démontré voilà quinze ans le constitutionnaliste Louis Favoreu. Jamais l'UMP ne pourra s'allier à un parti dont la pierre angulaire idéologique est anticonstitutionnelle et en contradiction avec les valeurs fondatrices universaliste de la République. Ce serait politiquement suicidaire. Le Front national devra donc renoncer à sa spécificité idéologique, à ce qui fait qu'il est le Front national. Il perdrait alors sa radicalité, qui constitue sa marque de fabrique dans le champ politique et donc une partie de son attrait, pour devenir une UMP bis ou du moins un nouveau parti souverainiste de droite désormais moins original et donc moins attrayant. Le risque serait alors d'être absorbé par la droite de l'UMP comme le parti communiste en son temps avec le parti socialiste. A l'inverse, en sombrant dans la surenchère à l'instar de Jean-Marie Le Pen, il s'enfermerait dans un rôle purement contestataire politiquement stérile. En dépit de ses succès, le FN se trouve actuellement dans une impasse et c'est justement ce que traduit le débat sur le changement de "nom".

Propos recueillis par Mathilde Cambour et Alexandre Devecchio

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