Le droit du sol est-il l’instrument d’intégration qu’affirment ses défenseurs intransigeants ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants agitent des drapeaux français et de l'Union européenne lors d'un rassemblement en soutien à l'opération Wuambushu à Mamoudzou, sur l'île de Mayotte, en avril 2023.
Des manifestants agitent des drapeaux français et de l'Union européenne lors d'un rassemblement en soutien à l'opération Wuambushu à Mamoudzou, sur l'île de Mayotte, en avril 2023.
©PATRICK MEINHARDT / AFP

Accès à la nationalité

Alors que Gérald Darmanin a annoncé une remise en cause du droit du sol à Mayotte, une partie de la gauche hurle à l’extrême-droitisation des esprits.

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini est un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État et ancien directeur général des services de la région Île-de-France. Sa carrière se situe entre l'administration et la politique. Diplômé de l'ENA en 1979, il soutient Chirac avant de devenir un proche conseiller d'Alain Juppé lorsque ce dernier est entré à Matignon en 1995. Il s'est démarqué notamment lors de batailles électorales réputées difficiles ; il fut ainsi l'artisan de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995, de celle de Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015, avant donc de conduire François Fillon à la victoire de la primaire, fin 2016. En mars 2017, il renonce à ses fonctions de directeur de campagne de François Fillon. Patrick Stefanini est directeur de campagne de Valérie Pécresse dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022.

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Pierre Vermeren

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, historien, est président du Laboratoire d’analyse des ideologies contemporaines (LAIC), et a récemment publié, On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation, Tallandier, Paris, 2020.

 

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Atlantico : Une partie de la gauche met en avant le fait qu’il serait incohérent de vouloir favoriser l’intégration de populations immigrées en rendant l'accession à la nationalité française plus compliquée. Mais que nous dit finalement la réalité ? Les populations se sont-elles plus ou moins intégrées selon leur facilité à accéder à la nationalité, en France comme ailleurs en Europe ou aux États-Unis ?

Patrick Stefanini : L’idée selon laquelle il faudrait faciliter l'accès à la nationalité pour favoriser l’intégration est saugrenue. Au contraire, l’accès à la nationalité française doit venir couronner un processus d’intégration et même un processus d’assimilation. Je dis bien couronner et en aucun cas servir de levier vers cette assimilation. L’intégration suppose que les intéressés puissent trouver en France un emploi, un logement, mais également faire vivre leur famille dans des conditions satisfaisantes. L’intégration suppose aussi qu'ils adhèrent aux valeurs de la République française et qu'au fond, ils soient séduits par le modèle culturel qui est celui de la France. On sait que, malheureusement, ces deux séries de conditions aujourd'hui ne sont plus réunies. La situation économique et sociale de la France est beaucoup plus difficile qu'elle ne l'était dans les années 60. Le chômage est plus important. Et l'adhésion au modèle culturel français est beaucoup moins forte que ce n'était le cas précédemment.

Toutefois, si on supprime le droit du sol pour l’ensemble du territoire français, on aura mécaniquement une augmentation du pourcentage des étrangers dans la société française et on pourra donner le sentiment aux étrangers qui cherchent à s'intégrer qu’ils sont pénalisés dans l’accès à la nationalité française. Avant d’envisager une mesure aussi générale, prenons d’abord la mesure du problème qui se pose à Mayotte, voire en Guyane. Des femmes de nationalités étrangères s’y rendent en ayant pour perspective que les enfants qu’elles portent puissent y naître et devenir français de manière automatique à leur majorité, voire même dès l’âge de 13 ans, en application de l'article 21-11 du Code civil. Par la suite, les parents de ces enfants pourront obtenir facilement un titre de séjour puisqu’ils auront la qualité de parents d'enfants français. La question de la suppression du droit du sol à Mayotte a été posée il y a fort longtemps, dès 2007 par François Baroin, alors ministre de l'Intérieur. Malheureusement aucune suite n’a été réservée à l’interrogation décisive portée par François Baroin. La réforme qui est intervenue en 2018 et qui faisait suite à un amendement parlementaire allait dans la bonne direction, mais elle était tout à fait insuffisante et n’a produit aucun effet sur les flux migratoires en direction de l’île.

Pierre Vermeren : Il faut revenir à l'origine. La Révolution française a aboli le droit du sol parce que, justement, elle a créé la citoyenneté française. La IIIe République l'a rétabli, en Algérie d'abord, puis ensuite sur le modèle algérien en métropole en 1889. Il s’agissait en Algérie de fabriquer des citoyens français face à des musulmans très majoritaires ; cela revenait à transformer une partie des habitants, notamment les Espagnols et les Italiens, en Français, d’autant plus que les Français risquaient d’être en minorité parmi les Européens. Quelques années plus tard, cette idée a traversé la Méditerranée, parce que la France traversait déjà dans une crise démographique, et qu’elle avait besoin de naturaliser les enfants des Italiens et des Belges pour accroître ses effectifs militaires face à l'Allemagne. A l'origine, il s'agissait d'avoir des soldats pour faire nombre, dans un contexte colonial, puis en métropole face à l'Allemagne. Au bout de 150 ans, les choses ont considérablement évolué. Le droit du sol a permis l'intégration des jeunes enfants d'étrangers en France pendant un siècle.

Mais depuis l'abandon de la politique d'intégration, dans les années 1980, il y a aujourd'hui une dissociation croissante entre le droit du sol et l'intégration, souvent refusée en tant que telle. Les enfants originaires par leurs parents ou leurs grands-parents du Maghreb ou de Turquie sont soumis à un double système, à une double injonction contradictoire. Ils sont soumis à la fois au droit du sol en France, et au droit du sang par leur pays de provenance. Ils ont une binationalité qui est fondée sur deux principes juridiques antinomiques, ce qui de ce fait est difficile à vivre, à construire et à assumer. Ils ne choisissent aucune des deux nationalités : ni celle qu'ils ont par le sol, ni celle qu'ils ont par le sang. Leur personnalité, leur intégration, leur vie est souvent complexe à gérer pour ceux qui circulent entre les deux pays.

Quelle importance a aujourd'hui le droit du sol en matière d’immigration ? 

Patrick Stefanini : Il faut savoir de qui l’on parle, en l’espèce des enfants qui sont nés en France de parents étrangers qui eux-mêmes n'y sont pas nés. Dans ce cas, l’enfant peut devenir automatiquement Français à l'âge de 18 ans mais aussi dès l'âge de treize ans dans le cadre des déclarations anticipées. Les seules déclarations anticipées représentent 25 % de l’ensemble des acquisitions de la nationalité française chaque année. Cela est loin d’être négligeable.

Or ces déclarations anticipées ne sont soumises à aucune condition sérieuse d’intégration. Lors de la discussion de la loi Immigration fin 2023, le Sénat a voulu modifier le texte pour y insérer une condition sur l'absence de condamnation pénale. Comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a retoqué cet amendement en considérant qu’il n’avait aucun lien avec les articles du projet présenté par Gérald Darmanin. En réalité, on ne sait pas ce que le Conseil constitutionnel en pense sur le fond.

Pierre Vermeren : Chaque année, plusieurs dizaines de milliers d'enfants ou d'adolescents, du fait de leur naissance en France, deviennent Français. La citoyenneté acquise, beaucoup de ces jeunes sont dans un dilemme complexe car ils ont souvent une autre nationalité et donc une forme de double allégeance, d'autant plus que certains gouvernements étrangers le leur font clairement comprendre. Ce phénomène rend l'identité et l'intégration complexes. Beaucoup de ces jeunes ne vont pas chercher leur carte électorale en France et ne votent pas, alors que l'élection démocratique est l’attribut principal de la citoyenneté. Cela est un indice d'une non-intégration de fait, et même d'une appartenance à la citoyenneté davantage subie que voulue, pour certains bien sûr. Certains États du Maghreb et la Turquie s'intéressent peu à la citoyenneté française. Et la France ne s'intéresse absolument pas à cette question de la binationalité ni du droit du sang, dont ces jeunes gens sont aussi les héritiers, sans parler de la dimension islamique inaliénable (sauf peut-être pour les Tunisiens) ; au Maroc, en Algérie ou en Turquie, la religion est consubstantielle à la nationalité.

L'adhésion aux valeurs se fait-elle par la carte d'identité, le passeport ? Peut-on dire que la remise en cause du droit du sol est-elle vraiment d’extrême droite ?

Patrick Stefanini : Non, c’est un débat qui n’a aucun sens, certains cherchent absolument à catégoriser sur l'échiquier politique des réflexions ou des propositions. L’essentiel, c’est qu’à Mayotte, la proposition de révision constitutionnelle puisse aboutir rapidement parce qu'elle est indispensable. Je la crois également nécessaire en Guyane, même si la situation est moins grave qu'à Mayotte.

Pierre Vermeren : Ce sont deux choses différentes. Depuis plusieurs décennies, la question des cultures est un impensé en France. On s'interdit de penser les cultures comme des systèmes de valeurs et des systèmes symboliques complexes. Des références culturelles s'entrechoquent. Les valeurs de la République sont fondées sur une histoire, sur un système juridique, sur un système philosophique.

Un jeune Français qui va à l'école bénéficie reçoit en principe ces valeurs, cette culture et ce système symbolique. Mais la réalité est bien plus complexe, dès lors que deux systèmes culturels et symboliques sont en concurrence. Dans un pays libéral comme le nôtre, chacun peut fabriquer sa propre identité, en fonction des pressions qu'il subit, de sa famille, de ses rencontres ou d’opportunités diverses. Le fait de ne pas choisir positivement ou par engagement une citoyenneté fait que beaucoup d’individus restent dans une ambivalence, ou dans un non-choix ; si les papiers d'identité donnent incontestablement des droits, ils ne définissent pas une philosophie politique, ni même un héritage culturel.

L'adhésion à un système culturel, symbolique, politique et philosophique suppose a priori une volonté, ou une manifestation de volonté. Le jeune Français qui naît en France a hérité de ce bagage, il ne l'a pas choisi, il lui est imposé. Peut-être que lui aussi n'y adhère pas, mais disons qu’il n'est pas soumis à des pressions externes et il n'est pas sollicité par un système de valeur concurrentiel. Il peut se replier sur sa sphère privée ou familiale. Il est possible en France de refuser d’assumer sa citoyenneté française et de vivre comme un passager clandestin. Mais quand on appartient à une famille qui se perçoit comme étrangère -et qui l’est a fortiori-, qui revendique un autre système culturel, la question se pose différemment : là, il y a une tension symbolique et politique. Dans ce cas, l’imposition de la citoyenneté par le droit du sol est une violence politique que certains considèrent comme néo-coloniale.

La gauche abuse en opposant mécaniquement le droit du sol au droit du sang alors qu’il existe de nombreuses étapes entre les deux. Quelles sont les solutions à adopter à Mayotte et en métropole ? 

Patrick Stefanini : A Mayotte, il faut remettre en cause le droit du sol et faire en sorte que des étrangers qui viennent des Comores ou d'autres pays d'Afrique soient dissuadés de le faire. Or jusqu’à présent, elles sont conscientes que Mayotte est un point faible dans le dispositif de maîtrise de l’immigration puisqu’il est très facile de rejoindre en bateau Mayotte à partir des Comores. 

On peut souhaiter l'émergence en France d'un débat plus large sur le droit de la nationalité. Ce débat n'est pas fondamentalement constitutionnel puisque c’est le Code civil, c’est-à-dire la loi ordinaire qui fixe les règles d'accès à la nationalité française. On a besoin d’une révision constitutionnelle pour supprimer le droit du sol à Mayotte parce que le régime général sur le reste du territoire français resterait celui du droit du sol et que Mayotte ferait exception. J'ajoute aussi que sur le droit du sol et sur le droit du sang, les choses ont beaucoup varié dans le temps, tout au long de l'histoire de France, qu'il s'agisse de l'histoire de la monarchie française ou de l'histoire de la République. Dire que le droit du sol est un élément intangible des valeurs républicaines n’est pas vrai. Au milieu du XIX siècle, la principale modification qui a consisté à réintroduire le double droit du sol, c'est-à-dire l'idée qu’un enfant étranger qui naît ici en France, d’un parent lui-même né en France, est français, a été mise en avant et adoptée pour des raisons liées à la nécessité de favoriser la conscription et d'avoir des effectifs militaires suffisants en face de l'Allemagne. Cela a assez peu de choses à voir avec les valeurs de la République.

Pierre Vermeren : Le droit du sang était le droit de l'Ancien Régime. La monarchie française fonctionnait sur le principe du droit du sang. La Révolution l'a rejeté au nom de la citoyenneté et de la souveraineté du peuple français. Elle considérait que seuls les Français, par la manifestation de leur volonté (et ce même s’ils étaient d’origine étrangère), avaient le droit d'exercer la citoyenneté.

La République française est fondée sur le principe de la citoyenneté et de l'égalité entre tous ses citoyens. Il est possible que le Conseil constitutionnel ne valide pas la décision concernant Mayotte sur l’abolition locale du droit du sol ; mais la République (les trois premières Républiques en tout cas) n’a-t-elle pas été fondée initialement sur ce même principe du droit du sang. La Révolution française a proclamé la souveraineté du peuple français sur son sol, et a créé à cette fin la citoyenneté. Nationalité et citoyenneté ont longtemps été consubstantielles en métropole, et le fait de ne pas accorder le droit du sol à des étrangers entrés par effraction sur le territoire français, comme il est envisagé par le Ministre de l’Intérieur pour Mayotte, interroge. D’une part, cette mesure risque d’être invalidé au nom du principe d’égalité.

Or justement, la Constitution est faite uniquement pour les citoyens français : elle établit l'égalité et le principe de non-discrimination entre les citoyens français, entre les régions françaises… L’indivisibilité est la contrepartie de la souveraineté pleine et entière du peuple français. Certes, des exceptions juridiques sont prévues pour les départements d'Outre-mer, par souci de prendre en compte les spécificités locales : c’est bien le cas à Mayotte, du fait de ce débordement migratoire, dont il ne faut pas oublier qu’il résulte d’une opération hostile déclenchée par un gouvernement malintentionné, soutenu par des parrains islamistes qui veulent tester et déstabiliser la République pour récupérer une terre qu’ils jugent comorienne et islamique.

Mais on ne voit pas très bien ce qui pourrait contredire, dans les principes fondamentaux de la République, et dans l'application concrète du droit de la nationalité, la mesure proposée par le ministre de l'Intérieur.

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