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Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse.
Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse.
©GRIGORY DUKOR / POOL / AFP

Racines de la crise

Vladimir Poutine est l’émanation d’un système, celui du KGB (aujourd’hui FSB, le Service fédéral de sécurité), qui exerce un contrôle sans limite sur la société russe.

André Grjebine

André Grjebine

André Grjebine est économiste et essayiste, ancien directeur de recherche à SciencesPo Paris.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages économiques et philosophiques. Il collabore à plusieurs journaux français, dont Le Monde. Ses travaux actuels portent sur les facteurs de vulnérabilité des démocraties libérales, en France et dans les pays scandinaves.

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L’attention du monde est centrée sur Poutine, son action, ses motivations, ses pulsions. Imaginer le système russe sous la forme d’une pyramide dont Poutine serait le sommet est sans doute trompeur. Malgré les apparences, Poutine n’est pas un autocrate dans la lignée d’Ivan le Terrible, Staline ou Hitler. Il est avant tout l’émanation d’un système, celui du KGB (aujourd’hui FSB, le Service fédéral de sécurité) qui exerce un contrôle sans limite sur la société russe. Ce qui ne veut pas dire que les membres du FSB ne le craignent pas, mais plutôt que le système repose sur une peur réciproque. Comme le dit l’écrivain Iegor Gran, fils du célèbre dissident Siniavski, « Poutine est un trouillard ».[i] Il n’y a qu’à observer l’immense table autour de laquelle le président reçoit ses interlocuteurs le plus loin possible de lui-même. Mais, dans cette toile qui l’enserre, du haut en bas de la hiérarchie sociale, fut-il haut dignitaire ou simple particulier, chaque Russe vit dans la crainte. Poutine peut choisir ses proches ou les répudier. Il peut faire emprisonner, voire exécuter quiconque ne lui convient pas sans que sa victime ose résister.  Mais, peut-il sortir de ce système qui repose à la fois sur la police secrète et la délation. Les deux sont intimement liées, la délation donnant sa force à la police qui, en retour, permet à chacun de régler ses comptes.  

Au moment de sa première investiture comme Président (2000), Poutine a évoqué un « Etat russe restauré dans lequel toute l’histoire du pays - aussi brutale soit-elle - devait être honorée et préservée. » Il se voulait déjà le successeur des tsars et de Staline. Mais surtout, son expérience lui a enseigné que le KGB, auquel il a longtemps appartenu, constituait un formidable levier de pouvoir et une non moins formidable source d’enrichissement de ses membres, mais qu’il avait tout intérêt à reconnaître de qui il tenait son pouvoir et qui pouvait le lui enlever.

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En ce sens, Poutine s’est effectivement inscrit dans l’histoire de la Russie qui, à de rares exceptions près (essentiellement la courte période Gorbatchev-Eltsine), n’a jamais connu la liberté et s’est toujours caractérisée par un pouvoir fort, largement fondé sur l’omniprésence et la brutalité d’une police politique toute-puissante et sur la délation, soutenu par une religion ou une idéologie ne supportant pas la contestation.

 Avant même d’accéder à la présidence, Poutine a tout fait pour remettre à sa place – la première – son corps d’origine, dépassé, au milieu des années 1990 par les oligarques. En même temps, il n’a jamais hésité à s’allier avec le crime organisé, notamment en le chargeant d’opérations particulièrement tordues. C’est encore le cas aujourd’hui, avec le groupe Wagner qui intervient aussi bien en Afrique qu’en Ukraine. Catherine Belton observe qu’à l’époque de ses débuts, à Léningrad, son alliance avec le KGB et la mafia locale « a permis de créer une caisse noire stratégique qui devait préserver leurs réseaux et sécuriser leur position pour les années à venir ». [ii]  Ses alliances ont favorisé son accession au pouvoir en même temps qu’il favorisait lui-même l’enrichissement de ses protégés. Malheur à ceux qui, comme Boris Berezowsky, ont prétendu échappé au système après avoir participé à sa formation ! Les uns se sont soi-disant suicidés, les autres ont été empoisonnés.

A contrario, les rares dirigeants qui ont tenté de mettre sur la touche le KGB ont rapidement déchanté. Lors de sa présidence, Boris Eltsine a ainsi envisagé d’interdire les postes officiels à tous ceux qui avaient travaillé avec le KGB. Les hauts fonctionnaires de son administration lui ont expliqué que ce serait impossible, 90 % de l’élite dirigeante aurait été touchée ! Eltsine a dû s’incliner.

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Jusqu’à présent, Poutine est parvenu à accroître toujours plus son pouvoir et sa richesse, en éliminant ses rivaux politiques ou simplement ceux qui tentaient de s’opposer à lui. La contrepartie de cette concentration du pouvoir est qu’il attire sur sa personne toutes les critiques, en premier lieu du FSB, de l’armée et sans doute de plus en plus de ses concitoyens. Qu’ils soient des dignitaires ou de simples personnes, a fortiori des gens qui ont perdu leur fils en Ukraine, lequel d’entre eux ne se dit pas aujourd’hui : « On lui a fait confiance, et voilà où nous en sommes… », même s’il hésite encore à exprimer publiquement son mécontentement.

En lisant l’ouvrage de Catherine Belton, on en vient à se demander s’il faut parler des hommes de Poutine ou des hommes du KGB qui lui ont fait confiance pour manœuvrer entre les écueils afin de gérer l’Etat en fonction de leurs intérêts.

On peut aussi émettre l’hypothèse que le système joue dans les deux sens. Poutine s’est imposé au sein du KGB, à l’étonnement de la plupart des observateurs, mais il doit sans cesse agir de manière à ne pas présenter le moindre signe de fragilité qui pourrait donner à penser qu’il n’est plus l’homme de la situation. L’invasion de l’Ukraine est peut-être cette décision que l’appareil du FSB jugera un jour prochain insupportable compte tenu de ses conséquences dramatiques sur la Russie : recul de l’armée dans la région stratégique de Kherson et dans le  Donbass, sanctions occidentales qui portent gravement atteinte à l’économie russe déjà amoindrie par sa bureaucratie et les pillages auxquels elle est soumise par les l’appareil policier et ses alliés ; mobilisation partielle qui a rompu le pacte tacite entre la population et ses dirigeants : « vous vous enrichissez autant que vous voulez, mais vous nous laissez tranquille » ; empêchement des séjours à l’étranger des élites et de leurs enfants, etc.

Certes, il faut être singulièrement optimiste pour espérer qu’un peuple anesthésié et apeuré depuis plus d’un siècle, sinon bien davantage, se réveille et prenne tous les risques pour renvoyer Poutine et son entourage. Il est déjà surprenant que, dans un tel système, tant de gens font preuve d’une « résistance passive ». L’écrivain russe de science fiction, Dmitri Gloukhovski, observe que l’armée ne parvient pas à attirer des volontaires même en leur offrant un salaire de 5000 euros soit près de vingt fois le salaire moyen dans les provinces russes. En même temps, un nombre croissant de Russes s’enfuit à l’étranger (ils étaient déjà 700.000 début octobre selon la version russe du magazine Forbes). L’administration poutinienne peut certes empêcher les sorties du territoire, mais elle prendra alors le risque d’une forte montée du mécontentement populaire. Mais, que peuvent penser les élites politico-policières d’un homme qui leur promettait une marche triomphante vers une reconstitution de l’empire russe et qui voient la Russie et son armée ridiculisées aux yeux du monde ? La perspective d’une défaite peut-elle susciter des troubles publics inquiétants, conduisant à un coup d’Etat au sein même du FSB ? Mais qu’en résultera-t-il ?


[i] Entretien avec L’Express, 10/10/2022.

[ii] L’ouvrage de Catherine Belton, Les hommes de Poutine, récemment paru en France (Talent éditions) propose une description détaillée, fondée sur de nombreuses sources, « comment le KGB s’est emparé de la Russie avant de s’attaquer à l’Ouest » (sous-titre). Les oligarques Roman Abramovitch, Mikhael Fridman, Petr Aven et d’autres l’ont déjà attaqué en diffamation.

André Grjebine est un économiste et un essayiste, ancien directeur de recherche à Sciences Po Paris.

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