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Le dangereux marathon diplomatique de Donald Trump
©AFP

Sensible

Le président américain a téléphoné successivement à Shinzo Abe, Angela Merkel, Vladimir Poutine et François Hollande.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Le Président Trump s'est adonné à un vrai marathon diplomatique téléphonique aujourd'hui. Shinzo Abe, Angela Merkel, François Hollande, Vladimir Poutine... Le tout sur fond de tension avec le Mexique et dans la foulée de la venue de Theresa May. Est-ce qu'il n'y a pas un risque diplomatique à enchaîner autant de dossiers dans la même journée? Ses prédécesseurs préparaient longuement chaque entretien pour éviter les surprises. Là aussi Donald Trump semble bouleverser les règles du jeu mais est-ce bien raisonnable et est-ce qu'il n'y a pas là un risque de froisser ses interlocuteurs ?

Florent Parmentier : Appeler ses homologues étrangers est une tradition diplomatique établie, et suivie de près : il s'agit de montrer une forme de familiarité à la fois avec la fonction présidentielle, mais également d'établir un contact direct avec les chefs d'État étrangers. Une autre de ces pratiques diplomatiques établies consiste à faire remarquer ses alliances privilégiées à l'occasion du premier voyage en tant que chef d'État : il n’est pas neutre qu’un chef d’Etat français opère son premier voyage à l’étranger à Berlin. Le fait que Theresa May soit la première dirigeante à rencontrer Donald Trump à domicile n’est pas anodin, à l’heure où la Grande-Bretagne essaie de montrer que le Brexit lui ouvre de nouvelles marges de manœuvre. Le premier chef d’Etat rencontré à l’étranger a de fortes chances d’être Vladimir Poutine, peut-être en Islande à l’occasion d’un sommet international, selon certaines indiscrétions. 

Il ne faut pas prêter une importance exagérée à ces entretiens téléphoniques, qui font partie de la diplomatie publique. Il s'agit là pour l'essentiel d'établir un contact direct avec les différents chefs d'État Toutefois, s’il paraît évident que les équipes travaillent à la fois à travers des canaux établis et connus, elles s’activent également à envoyer un certain nombre de signaux qui passent par des canaux plus ou moins secrets et parallèle. La presse américaine et la russe aiment par exemple à souligner que des conseillers  américains sont très présents à Moscou ces derniers temps. Ce genre de contact téléphonique, en marge d’une diplomatie plus discrète, ne paraît donc pas exposer le Président à de grandes déconvenues.

Par ailleurs, il est également normal et attendu qu'un nouveau Président puisse affirmer un style diplomatique qui lui soit propre, et qui peut éventuellement trancher avec les us et coutumes de ses prédécesseurs. Le risque de froisser ses interlocuteurs pourrait venir du faible temps accordé à l'un ou l'autre d'entre eux, ou à des remarques malencontreuses, et non du fait que plusieurs appels ait été passés au cours de la même journée. 

Guillaume LaganeCet enchaînement d'entretiens souligne l'originalité de Donald Trump qui souhaite une approche de businessman, fidèle à son livre "l'art de de la négociation" et qui consiste à multiplier les contacts avec les grands de ce monde. Ce tour diplomatique répond à sa manière d'être, à son côté instinctif. Ce n'est pas un homme de dossiers. Il est très doué et pourrait vite apprendre.

En attendant, son entrée en matière dans le monde diplomatique est compliquée. Surtout que cela coïncide avec un décret polémique sur la politique de migration aux Etats- Unis, qui renvoie à la politique des quotas dans les années 1920. Trump fait de plus en plus penser aux présidents de l'époque, Coolidge et Harding, pour qui " le business de l'Amérique est le business", une approche limitée et isolationniste.  

L'appel le plus attendu était celui avec Vladimir Poutine, à l'issu de l'entretien seul un communiqué de la part du Président Russe a filtré où il explique que : "Des deux côtés a été exprimée une volonté de travailler activement en commun pour stabiliser et développer la coopération russo-américaine sur une base constructive, d'égal à égal et mutuellement avantageuse" en ajoutant qu'une priorité a été donnée à la "lutte contre l'Etat Islamique". Quels seraient, s'ils se concrétisent, les enjeux d'un réchauffement des relations entre la Russie et les Etats-Unis ?

Florent ParmentierL'appel le plus attendu était effectivement celui qui était destiné à  Vladimir Poutine, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, du côté américain, comme le souligne le chercheur russe Dimitri Trenin, Il existe un consensus grandissant selon lequel si le Président Donald Trump est un Président légitime, il y a bien eu selon les élites américaines une incursion russe dans le déroulement de la campagne électorale et du vote. Du côté de la Russie,  les autorités ont eu une préférence marquée pour le candidat Trump par rapport à Hillary Clinton : maintenant que la période de transition est achevée, il n'est toutefois pas certain que la coopération aille aussi loin que voulu dans le sens ce qui est annoncé.

Sans connaître le détail des échanges téléphoniques, au-delà du compte-rendu officiel, il semblerait toutefois qu’une volonté de coopération existe des deux côtés. Plusieurs dossiers paraissent prioritaires pour les deux bords : il existe une volonté d'améliorer les relations bilatérales entre les deux pays,  puisqu'elles sont au plus bas depuis un quart de siècle. Dans cette perspective,  l'idée selon laquelle une levée des sanctions est possible semble gagner du terrain. Cette levée des sanctions peut être au moins partielle, concernant celle que Barack Obama avait décidées en décembre, ou plus large si elle incorpore même la levée des sanctions lié au sort de la Crimée. 

Un autre dossier particulièrement important est celui de la lutte contre le terrorisme, à un moment où le président Trump a lui-même décidé d'interdire l'accès au territoire des ressortissants de sept pays. La question de la lutte contre l'État islamique fait bien partie des priorités pour les deux Etats. Suite à l’appel, le président Trump devra d'ailleurs faire face à une opposition interne qui existe notamment en la personne du sénateur McCain pour lequel on ne saurait coopérer avec la Russie de Vladimir Poutine en raison de la solidarité américaine avec l'Ukraine, de l'importance des alliés dans le cadre de l'OTAN et de la question syrienne. D’autres sujets – l’Ukraine, le Moyen-Orient ou le désarmement nucléaire – ont également pu être abordés de manière plus ou moins longue. Reste un enjeu pour le Président Trump : faire en sorte que la Russie se rapproche des Etats-Unis pour s’éloigner de la Chine, pays dont il se méfie de l’essor. Le rapprochement russo-américain doit également se comprendre à l’aune de cet enjeu.

Guillaume Lagane : Comme tous les présidents américains depuis George W. Bush, Donald Trump commence son mandat avec l'idée de réchauffer les relations entre les Etats-Unis et la Russie. On se souvient, par exemple, que Bush fils pensait 'voir l'âme de Vladimir Poutine dans ses yeux'. Obama parlait d'un redémarrage (reset). Donald Trump a fait de sa relation avec Poutine un axe majeur de sa politique étrangère.
On ignore ce qu'ils se sont dit mais force est de constater qu'il  peut y avoir des points de convergences entre lui et le président russe. Trump semble vouloir laisser Moscou régler les questions politiques de sa zone d'influence, notamment le conflit en Syrie. Du côté ruse, on a observé une modération de la politique étrangère de Vladimir Poutine sur ce dossier, au sommet d'Astana, le 23 janvier dernier. Pour la premier fois, Moscou a semblé appuyer les demandes de l'opposition syrienne face au régime d'Assad et à l'Iran.
Mais il faudra encore attendre pour vraiment  réchauffer les relations entre les deux pays. D'ailleurs, le nouveau secrétaire à la Défense américain James Mattis et le nouveau secrétaire d'Etat Rex Tillerson n'ont pas caché leurs inquiétudes vis-à-vis de la Russie…

Pensez-vous que les sanctions économiques pourraient être levées contre la Russie sous l'impulsion de Trump ? Joh Mc Cain s'inquiétait d'une telle démarche hier, quels pourraient être les risques et est-ce que cela ne risque pas de froisser encore plus Angela Merkel ? 

Guillaume Lagane : La question des sanctions, Vladimir Poutine a dû l'aborder dès ce premier entretien. Elles frappent assez durement l'économie du pays donc les lever est un enjeu majeur pour le président russe. Pendant sa campagne, Donald Trump était favorable à la fin de ses sanctions mais il a depuis indiqué qu'il faudrait un peu plus de temps pour y arriver. La question de leur maintien va néanmoins se poser dans les semaines qui viennent et cela est évidemment une préoccupation majeure pour l'Europe et notamment pour l'Europe de l'est. Des pays comme la Pologne, qui est un allié traditionnel des Etats-Unis, ou les pays baltes vont forcément s'inquiéter de cette possibilité. De la même façon, lever les sanctions sans régler la question du conflit en Ukraine serait aussi un motif de préoccupation majeure pour le gouvernement d'Angela Merkel. 

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