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Le Coronavirus, occasion forcée de se "débarrasser" de la mondialisation ?  Petits contre-arguments pour ne pas jeter le bébé (de notre prospérité) avec l’eau du virus
©LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP

Conclusions hâtives

L’épidémie de Coronavirus et son impact sur l’économie mondiale ont vite inspiré des réflexions sur les méfaits du libre-échange et de l’intégration des chaînes de production mondiale. Voici une radioscopie des questions que nous avons effectivement intérêt à nous poser…

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : Le coronavirus est perçu par certains comme une preuve des limites de la mondialisation, notamment sur la question des frontières. Qu’en est-il réellement ? Quelles conclusions seront tirées de cette crise majeure et de son impact planétaire ?

Mathieu Mucherie : Il y des bonnes façons d’attaquer la mondialisation, ou du moins de la questionner, mais là c’est la façon la plus atrocement stupide. Nous sommes dans une affaire que je le crois est multiséculaire et qui précède très largement ce qu'on a appelé la mondialisation, il y a 40 ans. Ou alors on ne parle pas de mondialisation, on parle de  l'internationalisation des échanges qui existe depuis la période romaine ! Depuis la nuit des temps il y a toujours eu des échanges commerciaux : le long de la route de la soie, sur toutes les voies romaines il y avait des épidémies et même des pandémies, on va pas refaire de toute l'histoire de la peste ! C'est complètement idiot de lier ça à la mondialisation, par rapport à l'époque pré mondialisée, c'est à dire, par exemple, le 14e siècle. Je pense qu'on peut dire qu'aujourd'hui, des épidémies frappent à hauteur de quelques milliers de morts et non plus quelques millions, alors que la population, par ailleurs, entre temps, a été multipliée par dix où par vingt.

C'est complètement idiot de faire un lien entre la mondialisation « libérale », ce qu'on observe depuis quarante ans c’est-à-dire la massification des échanges internationaux, l'interpénétration sans cesse croissante, etc… Et les grands mouvements de santé et les choses liées au virus, ça n'a pas de sens. Évidemment, le transport aérien, qui est l'un des vecteurs de cette mondialisation, est vecteur de transmission. Mais puisque l’on peut dire ça d'à peu près tout ce qui permet de voler, d'échanger, de conduire en France…on va accuser la voiture parce qu'il y a des gens qui se pulvérisent sur les platanes? Quand on invente la voiture, on invente que l'accident de voiture.

Effectivement, la mondialisation a favorisé le développement de la logique épidémique mais développe aussi la richesse de ces peuples-là qui lui permet de mieux lutter contre les épidémies ! Par exemple, quand le président chinois a déclaré que c'est la plus grave épidémie depuis 1949 en Chine, je suis persuadé que non. C'est la plus grave épidémie, reconnue, depuis 1949, la mieux traitée etc… Mais dans un pays où il y a eu 15 millions de morts au moment du Grand Bond en avant et 25 millions de morts au moment de la révolution culturelle, ça m'étonnerait qu'on ait à faire à la plus grave épidémie en Chine depuis 1949. Simplement le fait que ce soit mondialisé, le fait que ce soit aussi au passage médiatisé, le fait que ce soit quelque part internationalisé oblige les chinois, à intervenir tout de suite massivement, à faire des quarantaines, etc. Ça permet de limiter le nombre de morts, chiffre finalement qui sera limité à 10000. Et alors que n'importe quelle autre épidémie de cette nature là, il y a 50 ans, il y a 500 ans, fait 10 fois plus de morts. 

Le fait d'avoir des économies spécialisées ne peut pas favoriser les difficultés liées aux blocages provoqués par l’épidémie ? 

Vous êtes un peu dans l’idée du flux tendu, ce qu'on appelle le toyotisme. C'est une économie tout à fait réticulaire. S'il y a un maillon de la chaîne qui saute, est neutralisé ou mis en quarantaine, tous les maillons de la chaîne vont être perturbés. C'est parce que les grandes chaînes de valeur mondiales se sont organisées comme ça depuis 40 ans, ce qu’on appelle la défragmentation des chaînes de valeur, c'est à dire leur fragmentation extrême. On a trouvé que c'était une façon résiliante d'organiser les échanges de faire en sorte que dans un objet il y ait 800 fournisseurs ou sous traitants. Ils sont en interaction complexe les uns avec les autres. Et ce genre de virus nous expose effectivement à des perturbations de valeurs globales et donc une petite affaire comme par exemple le manque de tel ou tel matériau comme le palladium ou le thorium peut éventuellement avoir des conséquences en cascade sur tout un tas d'objets, sur la fabrication de tout un tas de choses. 

Mais là nous parlons de la Chine. Elle n’est pas particulièrement spécialisée, elle fait de tout. La province de Hubei, qui doit avoir 50 millions d’habitants est vaguement spécialisée. Il y a un petit peu plus de construction automobile qu’ailleurs. 

On ne peut donc pas dire qu'on est dans une crise de l'hyper spécialisation. Je ne pense pas. Là, on a plutôt affaire à une province plutôt généraliste. Il n’y a pas un secteur qui est particulièrement embêté. Tous les secteurs sont touchés et en réalité, les secteurs qui sont le plus perturbés sont les secteurs plutôt globaux, par exemple, le tourisme. Les Chinois ne viennent plus à Venise ou aux Galeries Lafayette, mais se ne sont pas des éléments d'hyper spécialisation. C'est plutôt la Chine prise comme un bloc finalement. 

Depuis quelques années, il y a une logique qui s'est développée, encore embryonnaire, celle du retour dans l'intégration, de retour de l'intégration verticale, de l'intégration extrême. Le meilleur exemple étant Tesla ou encore mieux, SpaceX. Ce sont des boites qui désormais decident de faire elle même quatre vingt pour cent de leurs objets, de leurs fusées, de leurs automobiles… Ce sont des mouvements qui commencent à apparaître. Et effectivement, des logiques du type virus peuvent être un argument supplémentaire pour pousser à une intégration plus verticale, plus radicale. Le contre exemple qui en a d’ailleurs souffert c'est Apple. Apple qui dépend de Foxconn, Foxconn qui dépend de quelques usines en Chine. Et du coup, de fil en aiguille, on peut se retrouver à ne plus avoir actuellement de téléphone portable dans quelques mois…. Malgré tout, les sous traitants font ce qu'ils peuvent, les chaînes de valeur sont relativement globalement résiliente et ont fini par y arriver.

Je ne pense pas que l'intégration verticale soit la grande réponse, c’est une parmi d'autres pour un certain type d’entreprises, notamment les entreprises sur le segment de la très haute qualité qui veulent absolument tout contrôler. C'est à surveiller, par contre, ce que ça serait intéressant de voir dans 10 ans, dans 20 ans, si des boites SpaceX ou Tesla font des émules, ça sera intéressant. Mais je ne pense pas que les histoires de virus soient dans le top 3 ou top 4 des raisons pour lesquelles cette logique de retour de l'intégration passe.

Même pour ce qui concerne les productions importantes mais souvent délocalisées comme celles des médicaments ? On peut donc se passer de certaines régions du monde ? 

Je ne suis pas un spécialiste, mais j'ai l'impression que dans le domaine de la pharma, ce qui compte vraiment, c'est les cerveaux. C'est toute la partie recherche. Ça, c'est vraiment très important. Et c'est plutôt défragmenté sur des gens qui travaillent à partir de publications à comité de lecture. Ça se passe un petit peu entre la Corée du Sud, la Californie et l'Europe, si vous voulez. Et je pense pas que ça soit hyper hyper concentré en un point.

Par contre, si la production est touchée, en Inde par exemple… Mais le grand avantage de la production c'est que ça prend quelques mois, mais ça se substitue plus vite, ça se remplace. Produire des vaccins, c'est toute une affaire en matière de logistique. C'est une affaire en termes de recherche et développement. Je ne pense pas, par contre, que ce soit très, très compliqué pour une boite américaine ou européenne de reprendre la main sur la partie production de vaccins.

Ce qu'on a mis le plus souvent un peu loin, au milieu de la chaine de valeur au niveau de la production. C'est probablement là où il y a le plus de candidats possibles. Donc, s'il y a un moment, il y a un Chinois qui ne peut plus produire, on peut être à peu près certain qu’un Vietnamien va pouvoir se substituer. Mais cela c’est à l'échelle locale, de secteur. Si cela se produit à l’échelle macro, c'est à dire que toute la Chine ne peut plus produire. Là, c'est très embêtant. Parce qu'on ne peut pas remplacer la Chine comme ça au pied levé. Si c'est une province chinoise ou un sous segment chinois ou un secteur chinois, ça, par contre, on peut trouver des Thaïlandais ou des Mexicains qui feront le job.

Si ça prend des proportions énormes je suis premier à dire qu'on ne peut pas remplacer la Chine. On pourrait pas facilement remplacer Taïwan non plus. C'est dire qu'il y a trop de production de semi-conducteurs. Regardez vos objets sans Taïwan c’est très compliqué. Vous avez quelques pays ou quelques quelques sites, par exemple, qui sont cruciaux. Il ne faut pas qu'il arrive, par exemple, un énorme tremblement de terre du côté de la Silicon Valley, parce que ça serait embêtant.

Aujourd'hui, vous avez 60 des actifs financiers mondiaux, quels qu'ils soient, qui sont localisés à New York. Si jamais New York est engloutie par un raz de marée, c'est embêtant, c'est génant. Souvenez vous que ce qui faisait vraiment flipper les financiers le 11 septembre 2001 ce n'était pas les deux tours qui n’avaient pas un immense intérêt, ni le nombre de morts parce qu'ils s'en foutaient complètement. Ce qui était très embêtant, c'est qu'on avait peur que le bâtiment de la Fed de New York soit atteint, car en dessous il y a les réserves d'or mondiales.

Il y a quelques endroits qui sont très particuliers. Il y a quelques sous secteurs où quelques pays qui sont plus névralgiques que d'autres, mais tant que ça reste à une certaine échelle, tant qu'on est pas dans un scénario Walking Dead, c'est perturbant mais les chaînes de valeur sont plus résiliente qu'on le croit. Les sous traitants, on arrive vraiment à les mettre en concurrence avec les autres. Et puis, je serais très cynique. Je serais tenté de dire qu’en Asie on revient à l’usine assez vite, on arrive à trouver le moyen de forcer les gens à revenir. En Chine, elles ont rouvertes dès la semaine dernière. Evidemment, en France, ça serait trop tôt. Elles ne rouvriraient pas. C'est clair.

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