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Le Conseil d’Etat vide l’Etat d’urgence de sa substance
©Reuters

Jusqu'ici, tout va bien…

L’état d’urgence doit-il devenir le mode normal de gouvernement? L’argumentation, au Conseil d’Etat, du rapporteur public Xavier Domino dans l’affaire Domenjoud a un mérite : elle annonce la réduction massive de ses effets en cas de prorogation et rend donc celle-ci parfaitement vaine.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’état d’urgence à géométrie variable

Rappelons rapidement les faits : Cédric Domenjoud est un militant écologiste qui, comme six autres de ses amis, a fait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence dans le cadre de l’état d’urgence. Il se présentait devant le Conseil d’Etat en appel contre une décision en première instance du tribunal administratif de Melun qui avait rejeté son reféré liberté, en considérant que la décision du ministre ne constituait pas une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale. Dans son appel contre cette décision qui protégeait le ministère de l’Intérieur, Cédric Domenjoud a par ailleurs soulevé une question prioritaire de constitutionnalité sur la loi instaurant l’état d’urgence.

Dans les six autres dossiers, les tribunaux administratifs respectifs ont eu l’audace de ne pas rejeter les recours des militants écologistes également assignés à résidence non sur des raisons de fond, mais de forme. Comme Cédric Domenjoud, ils avaient lancé un référé-liberté, c’est-à-dire une procédure d’urgence pour atteinte à la liberté. Les juges ont considéré que l’urgence ne se justifiait pas!

Ainsi, lorsque l’état d’urgence est instauré, et que, à ce titre, des citoyens libres sont assignés à résidence, il existe en France des juges qui considèrent qu’il ne s’agit pas d’une situation d’urgence! S’il fallait trouver un nouveau motif pour dénoncer le manque d’indépendance de la justice administrative à l’égard du pouvoir exécutif, celui-là seul mérite d’être conservé dans les annales.

L’état d’urgence et la restriction de liberté

Je ne reviendrai pas ici en détail sur les 23 pages intéressantes rédigées par le rapporteur public, qui préconise le renvoi de la QPC devant le Conseil Constitutionnel. Je me contenterai de la résumer en disant qu’il s’agit d’un coup de semonce envoyé par le Conseil d’Etat, comme celui-ci en a le secret. Pour ne pas déjuger Bernard Cazeneuve, le Conseil d’Etat n’a pas annulé l’assignation en résidence, mais il a rédigé un petit manuel de sa bonne utilisation qui intime à la police l’ordre de revenir au bon sens avant de futures annulations en bonne et due forme.

De ce point de vue, Xavier Domino insiste sur le fait que l’assignation à résidence n’est pas une mesure de privation de liberté, mais de restriction de liberté. Si, à ce titre, elle exclut le référé liberté (qui est réservé aux mesures de privation), elle est néanmoins placée sous le coup d’une « présomption d’urgence » qui légitime ce référé.

L’état d’urgence et la proportionnalité

Xavier Domino pose de façon claire les limites dans lesquelles une mesure restrictive de liberté telle qu’une assignation à résidence doit être prise dans le cadre de l’état d’urgence: il lui faut être nécessaire, adaptée et proportionnée à la menace sérieuse (et non seulement plausible) que la personne représente pour l’ordre public, mais aussi limitée dans le temps.

Domino a considéré que l’assignation à résidence décidée à l’occasion de la COP 21 se justifiait car, selon les notes blanches des services de renseignement, l’intéressé aurait pu troubler l’ordre public et donc faciliter une menace terroriste contre laquelle l’état d’urgence a été instauré. Le gouvernement n’a donc pas, selon le Conseil d’Etat, profité d’un effet d’aubaine pour restreindre toutes les libertés du fait de la terreur. Néanmoins, on sent poindre ici la mise en garde contre le gouvernement.

Domino a en outre eu l’intelligence de préciser que, saisi en première instance dans le cadre d’un référé-liberté, le juge administratif a la faculté de valider l’assignation à résidence, mais en supprimant certaines modalités qui ne paraissent ni proportionnées ni nécessaires à l’objectif poursuivi…

L’état d’urgence bientôt inutile?

Dans la foulée de cette décision, le ministre de l’Intérieur a donc annulé son arrêté d’assignation à résidence de l’imam de Montpellier, qui avait également intenté un recours devant le Conseil d’Etat. Heureusement que le Conseil d’Etat est là pour protéger le gouvernement! en faisant le choix de prévenir le ministère de l’Intérieur par une décision portant sur des écologistes avant d’examiner le recours d’un imam, il a évité un désastre à Bernard Cazeneuve. On voit en effet mal comment le ministre pourrait se relever d’une annulation systématique, par la justice administrative, des décisions « chocs » prises par la police pour faire croire aux Français que le gouvernement agit contre le terrorisme.

On peut donc prendre les paris: sauf événement majeur, l’état d’urgence ne sera pas renouvelé.

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