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Le clivage droite gauche n’est pas mort, il se porte même très bien, merci
©Reuters

Phoenix

Dans un billet publié par BVA, Bruno Cautrès explique pourquoi il est illusoire de penser que la séquence ouverte avec l’élection d’Emmanuel Macron a refermé la page des clivages politiques et des conflits de valeurs et d’intérêts économiques.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Plusieurs événements très récents de la vie politique permettent de revenir sur la question des dimensions de notre espace politique et certaines de ses évolutions en cours : la fragmentation et l’éparpillement de la droite, le choix par d’anciens membres de LR de rejoindre La République en Marche ! et l’entrée au gouvernement d’un député PS (qui venait à peine de voter contre le budget du gouvernement).

Deux explications sont possibles : une explication optimiste et une explication pessimiste. L’explication pessimiste va tendre à mettre ces événements sur le compte de la nature de l’homme politique, un drôle d’être qui chercherait avant tout à détenir des rôles ou des postes. Cette explication est sans doute trop sombre et simplificatrice. L’explication optimiste va mettre en valeur la période exceptionnelle que nous vivons, la libération des énergies et des talents qui étaient bridés dans les structures de « l’ancien monde ».

Cette explication est peut-être légèrement trop belle pour être totalement vraie. On doit sans doute considérer que les deux types d’explications se combinent : dans une période exceptionnelle, les acteurs politiques, même s’ils restent des acteurs stratégiques, des « maximisateurs » de leurs avantages, sont disponibles pour se laisser surprendre par l’aspiration à participer au grand mouvement. 

Au-delà de ces deux types d’explications, pour lesquelles chacun dosera à sa manière le côté optimiste ou pessimiste, un élément fondamental peut être retenu : pour que des personnalités politiques quittent leurs familles politiques d’origine ou rejoignent un gouvernement ou une tendance politique qu’ils combattaient avant, encore faut-il que les cloisonnements de l’espace politique soient devenus suffisamment souples et fluides pour le permettre. 

La période actuelle ressemble en effet à un vaste chantier sur le terrain duquel s’affrontent des équipes animées des intentions les plus diverses ; mais toutes parlent néanmoins une langue commune, celle de la construction/déconstruction. On ne compte plus ceux qui veulent construire, reconstruire, réparer, refonder, autant de verbes que l’on emploie après une destruction ou un dynamitage.

On pourrait néanmoins distinguer deux grandes familles de ces équipes sur le chantier : les « déconstructeurs » qui veulent décloisonner, abattre des murs, créer de nouveaux volumes, repousser les murs, ouvrir des fenêtres ; les « préservateurs », qui veulent sauver le patrimoine d’un monde politique à l’architecture vacillante, tentent de sauver ses fondations en « bétonnant » sur ses pierres fondamentales, veulent retrouver le plan de départ et le dessein originel. 

Ces différents projets et visions rencontrent un problème technique de base : l’espace de la politique n’est en effet pas un espace vide.

La place que les « déconstructeurs » veulent investir ou celle que les « préservateurs » veulent sauvegarder est structurée par des cloisons que l’on nomme les clivages politiques.

Le plus ancien est celui qui oppose la gauche et la droite, cette dimension qui oppose les deux pôles de la justice sociale d’un côté et du libéralisme économique de l’autre.

Depuis une trentaine d’années est apparue une seconde cloison: la montée des valeurs du libéralisme culturel, de la tolérance en matière d’évolutions sociétales, qui s’est progressivement affirmée en une polarité qui oppose les valeurs de l’ouverture au monde à celles du repli ou de la demande de protection au sein des frontières nationales. 

Ce second clivage a eu des effets majeurs sur le contenu du premier : la gauche s’est fortement associée aux valeurs de la tolérance culturelle mais elle est traversée de fortes tensions sur la question économique tandis que la droite a vu s’affirmer de fortes tensions internes sur la question identitaire et nationale tout en restant assez unie sur l’économie. 

De tout ce chantier que va-t-il ressortir ? Il ne fait pas de doutes que les cloisons et les murs de notre espace politique vont perdurer même si le plan d’ensemble ne sera plus le même.

Des frontières et des limites entre des gauches et des droites d’un nouveau type vont s’affirmer. Notre vie politique ne deviendra pas un grand « open space », sans clivages, sans conflits d’interprétation sur ce qui est juste ou injuste dans la répartition des places et des richesses.  

Il serait tout à fait illusoire de penser que la séquence ouverte avec l’élection d’Emmanuel Macron a refermé la page des clivages politiques et des conflits de valeurs et d’intérêts économiques entre des groupes de citoyens.

Le renouveau des acteurs et des pratiques de la vie politique va donner naissance à de nouveaux talents qui vont progressivement donner du sens à ces nouveaux clivages politiques.

L’éternel Phœnix du clivage gauche-droite n’en a pas fini avec nous. 

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