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Le civilisateur, ou  la France en danger
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Maladie contagieuse née du politiquement- correct, le totalitarisme gagnerait-t-il la France de demain? Aux premières loges pour méditer les bouleversements contemporains, l’écrivain et patron de presse Franz-Olivier Giesbert publie « Dernier été » ( Gallimard). L’événement littéraire de l’été 2020.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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« Plus une société s’éloigne de la vérité », affirmait George Orwell (« 1984 »), « plus elle hait ceux qui la disent ». Libre de naissance, taquin par essence, baptisé « FOG », par ses lecteurs,Franz- Olivier Giesbert, n’a que faire du village médiatique parisien. Par la littérature,  une passion qui l’anime depuis son enfance en Normandie, l’écrivain-fils d’une intellectuelle française et d’un vétéran–Us ( « L’Américain ») se tient au chevet de la patrie malade pour dénoncer le « totalitarisme soft » qui sévit en France ces temps-ci. Il sied de revoir nos codes, nos statues, nos livres de classes,  nos recettes de cuisine, les slogans publicitaires, tout enfin, pour ne blesser personne. Mine de rien, et malgré ses gros sabots, le Camp du Bien gagne chaque jour du terrain. L’intrigue  de « Dernier été » saisit le prétexte d’une  histoire d’amour pour  mieux s’attaquer à cette haine de la pensée. Exemple : «  La mairie de Paris avait décidé d’ériger, place de l’Hôtel de Ville, une statue en bronze d’Edwy Plenel, ancien président du Haut Conseil de la Morale et de la Déontologie journalistiques, saint patron des médias et père de l’islamogauchisme. Elle était financée par Amazon et Facebook. La bêtise et la canicule se faisaient la courte échelle ». Franz-Olivier Giesbert  écrivain couvert de lauriers (Grand Prix du Roman de l’Académie française 1992  avec « L’affreux », Prix  Interallié1995 pour « la Souille », entre autres récompenses), nous offre avec ce texte jubilatoire un précis de résistance. L’auteur-imprécateur fustige  le « politiquement correct », né aux Etats-Unis, via la « French Theory »  (« théorie » en fait totalement américanisée ), nous envahissant tous les jours avec une violence telle  que FOG en  exagère les conséquences. « Le Parti Unique et le Camp du Bien –première association culturelle du pays- avaient fusionné en un nouveau mouvement, le Parti Unique du Bien ( le PUB).Sitôt lancé, il avait frappé un grand coup en faisant voter par le parlement la loi «  de moralisation » des arts et lettres », qui avait été bien accueillie dans l’opinion ». La pensée unique mène le bal via « La révolution permanente », au sujet de laquelle Hanna Arendt (1906-1975) précise : «  L’ originalité du totalitarisme ne tient pas au fait qu’une idée nouvelle soit venue au monde, mais à ce que les actions qu’elle a inspirées constituent une rupture par rapport à toutes nos traditions ». Dans « Dernier été », par exemple, la fête de Noël ( célébration blessante pour certaines communautés) se voit remplacée par une  « Journée de la Bienveillance ». Giesbert parvient à capturer tous les clichés d’aujourd’hui dans ce roman assez désespéré. Et comme Charlie Chaplin  se plaisait à faire rire avec Les Temps Modernes, FOG choisit l’humour pour  peindre  cette France contaminée par la vertu obligatoire ; nous rions souvent car l’auteur a beaucoup d’esprit,  mais songeant à l’actualité quotidienne, nous  contemplons, désolés, la réalité. Et notre réalité, c’est « Dernier été », avant la catastrophe annoncée . Dans « Dernier été »,  l’écrivain missionne le journaliste jusqu’au coeur de 2030,  à Marseille, afin de tracer le portrait du risque totalitaire  menaçant une société déliquescente : la nôtre. Le camp de Bien prospérant par le communautarisme transforme le langage et semble gouverner nos cerveaux, plus ou moins contaminés par cette bien- pensance généralisée. « Dernier été » est l’antidote qui nous manquait. On rit à chaque page, ou presque. Franz-Olivier Giesbert continue pour notre plaisir à faire  du journalisme politique par d’autres moyens : cette fiction vitaminée, revigorante. Soudain,  le piège tendu à la démocratie paraît gros comme une maison. Nous combattrons cette doxa par l’intelligence, dans la douceur raisonnée. Ayant compris depuis son poste d’observation – la presse et la littérature – que le bon peuple de France se sentait le dindon de la farce des évolutions récentes, FOG fonce : hypocrites et  parangons de vertu  explosent en vol.L’auteur utilise  la satire sociale telle que Molière l’imaginait dans ses comédies de mœurs  ( « Tartuffe », « Le bourgeois gentilhomme », « l’Ecole des Femmes », etc.) « L’oeuvre corrige souvent les mœurs par le rire » «  Trois églises avaient encore brûlé pendant la nuit(…) Selon la police, ces « incendies n’étaient pas liés entre eux ». Le journaliste dépêché sur place soulignait la vétusté des bâtiments ».Les masques tombent. Les magistrats à la solde du pouvoir, les Parquets rendant justice à la tête du client, contre ces « salauds » ( au sens sartrien du terme) de conservateurs, quand le Parti  de la Justice, de la Culture, de l’Education Nationale et de certains  médias bien-pensants transformaient ces  mêmes conservateurs en coupables d’office. Le mot « droite » était devenu honteux : personne n’osait plus le prononcer,  au point que les rares invités « de droite » n’osaient se dire tels, comme si s’avouer femme ou homme de droite était  prononcer  un gros mot en public. Par contraste, les adeptes  probes, sobres et beaux du Parti Unique du Bien ( le fameux PUB)veillait  au salut des minorités opprimées . « Justice qu’as-tu fait de ta balance », demande Franz-Olivier Giesbert  dans Le Point cette semaine. La bien-pensance ne vaincra pas  forcement le pays de Pascal, Montaigne, Voltaire, ce cher pays des Lumières. « Dernier été »  pulvérise la bêtise généralisée avant qu’elle ne restreigne nos libertés,  censure  nos mœurs et rapetisse nos vies. « Résistons », recommande FOG ,en super forme intellectuelle. « L’homme le plus recherché du monde,  l’écrivain américain Brett Easton Ellis, accusé d’avoir publié des écrits « amoraux » venait d’être arrêté après une longue traque par le Bureau Central d’Investigation, le service spécialisé de l’ONU chargé de mettre hors d’état de nuire les écrivains et les artistes réputés asociaux. Depuis huit ans, l’auteur d’American Psycho se cachait dans une ferme du Tyrol sous une fausse identité et continuait à écrire des livres qu’il dissimulait sous le plancher de sa chambre. Ils ont été brûlés et Brett Easton Ellis a été extradé aux Etats-Unis, où il risque la prison à perpétuité » .En surface, « Dernier été » est un roman d’amour. Sa narratrice, Diane, métisse née à Marseille, tombe sous le charme d’Antoine Bradsock… de quarante ans son aîné. FOG, que nous savons capable de toutes les complexités narratives, tient à mettre son lecteur dans la confidence : «  je te raconte cette rencontre, cet amour mais ce n’est pas le sujet du livre, ni mon propos et tu le sens, tu le sais à des détails infimes, je ne cesse en tant qu’auteur de te faire des clins d’œil discrets, de sorte que tu ne perdes pas de temps, mon sujet n’est pas l’amour entre Diane et Bradsock qui décline, atteint d’un cancer, c’est le prétexte, le tissu fictionnel dont  j’ai besoin pour ce roman dont le sujet est philosophico-politique :  la France qui fiche le camp dans la mauvaise direction, la fin de notre civilisation

L’une des rengaines du moment résume la mythologie gnangnan du déconfinement. « Ensemble », nous pouvons  triompher du virus, « ensemble » nous vaincrons. A la RATP, comme à la SNCF  et dans les grandes surfaces, etc..), nous sommes « invités » ( autre mot révélateur ) à bien vouloir désormais, dans l’intérêt général, agir et penser « ensemble ». Le coupable, c’est le séparé.  Il casse le rythme, car le bonheur, c’est la cadence. Comme dit la chanson à succès : «  La seule ambition, c’est de devenir soi-même et pas de vouloir briller (sic), on voit les gens célèbres partout mais on les voit pas pleurer ( sic). « Eléments de langage » d’une bêtise qui dit parfaitement l’époque. Par contraste, le roman de FOG est décapant à souhait.Les Juifs ont pour la plupart quitté la France, il n’y a plus d’écrivains.  La maison d’Antoine est perquisitionnée. Magistrats et policiers confisquent « Ma vie parmi les ombres », de Richard Millet . Les romans de Houellebecq eux aussi sont interdits « . Une colonie de rats jouait sur le trottoir.(…) On en voyait de plus en plus ces temps-ci : la chaleur les avait fait sortir des égouts . » On songe aux rongeurs de Camus dans La Peste, de plus en plus envahissants, pendant que le mal court… Au passage, l’auteur nous rappelle la formule d’Oscar Wilde « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris ! » Esprit forts, vous allez adorer. 

Dernier été/Franz-Olivier Giesbert/Gallimard/210 pages/18 euros

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