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Le calvaire d’un ancien conseiller d’Eric Woerth victime d’une usurpation d’identité
©Reuters

Ça n’arrive pas qu’aux autres

En plein scandale Bettencourt à l’automne 2010, Eric de Sérigny, ex-banquier, membre du cabinet d’Eric Woerth, se voit accuser d’être à la tête de sociétés panaméennes. Bref, d’être un fraudeur. La presse fait état de documents accablants. Or, ils étaient faux. Le nom de Sérigny a été usurpé. Il demande réparation, courant mars devant la Cour d’appel de Paris. Retour sur une histoire digne de Kafka.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Etre victime de l’usurpation de son nom même par plaisanterie - cela arrive - n’est jamais agréable. Mais lorsque cette usurpation a pour seul motif une envie de nuire, voilà qui est plus que déplaisant. Cela peut même tourner au cauchemar. C’est la mésaventure aux conséquences terribles qui est survenue à un homme dans les années 2010. Pendant des semaines, ses amis et relations lui ont tourné le dos, il n’a plus retrouvé de travail, bref c’est devenu un paria. Il s’appelle Eric de Sérigny. Ancien banquier, fils d’Alain, le célèbre directeur de l’Echo d’Alger, connu pour ses opinions pro-Algérie française, il demande aujourd’hui réparation à la justice. Une audience est prévue devant la Cour d’appel de Paris dans le courant du mois de mars. 

Mais si cette histoire a pris un tour quasi-dramatique, c’est parce qu’elle s’est déroulée en pleine affaire Bettencourt, au moment où le ministre du Travail, Eric Woerth, était montré du doigt, parce que soupçonné d’avoir concouru au financement de Nicolas Sarkozy, via Patrice de Maistre… Lequel aurait reçu des fonds de la comptable de Liliane Bettencourt. Or, c’est là où les ennuis de Sérigny commencent, alors qu’il est conseiller pour l’économie, au cabinet de Woerth. Il est aussi le fondateur du W19, un club très fermé où se côtoient mécènes et soutiens de la carrière du député de l’Oise. Retour sur une manipulation dans laquelle, en toute bonne foi, est tombé le site Rue 89.

Nous sommes le 29 septembre 2010. Rue 89, le site dirigé par Pierre Haski publie un papier assassin sur Eric de Sérigny. D’abord le titre : "Sérigny, conseiller de Woerth, ange du paradis fiscal panaméen." Puis, après avoir présenté Sérigny comme "ami de Sarkozy et de Woerth", et lié au gestionnaire de fortune de l’actionnaire principale de l’Oréal, Rue 89 en vient à l’essentiel, en révélant qu’Eric de Sérigny a occupé, à la fin des années 80, les fonctions d’administrateur d’au moins 11 sociétés panaméennes détenues par des trusts aux Bahamas, aux Iles Vierges britanniques, aux Iles Caïman ou Jersey. Pour faire bonne mesure, le site publie un fac-simile qui semble attester que Sérigny est domicilié en 1987 à Saint-Hélier (Jersey). Toujours selon les documents publiés par Rue 89, il apparaît que ces sociétés offshore à la tête desquelles se trouve Eric de Sérigny - sans que sa signature et son état-civil ne soient mentionnés - comptent aussi deux directeurs au pedigree peu reluisant. Le premier, Keith R. Bish, domicilié aux Iles Vierges britanniques, est impliqué dans la faillite, à hauteur de 3,5 milliards de dollars, des fonds Kingate en 1994. Quant au second, Jean-Claude Schaeffer, toujours interrogé par Rue 89, ex-numéro de 2 de la Chase Manhattan Bank à Luxembourg, il se montre catégorique : il connait parfaitement Keith R. Bish et Sérigny, ce dernier rencontré lorsqu’il était vice-président de la Chase Manhattan Bank à Paris.

A la lecture de l’article, Eric de Sérigny "s’étrangle"… Comment lui, qui pendant plus de quarante ans, a eu une carrière exemplaire, de la banque Rothschild, au Crédit commercial de France en passant par la Llyods et la Chase Manhattan Bank, désormais dans le giron de JP Morgan, aurait-il pu déraper ? Comment lui, banquier apprécié par ses pairs aurait-il pu faire fi de ses obligations tant auprès de la SEC américaine que de la commission bancaire ? Oui, Alain de Sérigny ne comprend pas. Le ciel lui tombe sur la tête… Certes, nous sommes en pleine tempête Bettencourt, la presse se déchaine… Mais là, dans le papier de Rue 89, tout est faux. Alors, Eric de Sérigny va voir son avocat, Me Olivier Baratelli et décide de porter plainte pour faux et usage, faux commis dans des écritures publiques authentiques et usurpation d’identité. Puis, il dépose une plainte en diffamation contre le site de Pierre Haski et l’auteur de l’article David Leloup. Le banquier envoie également un droit de réponse à Rue 89…

Mais il y a plus urgent : la demande d’explication adressée par Me Baratelli à la Chase Manhattan, désormais dénommée JP Morgan Chase Bank. Les choses trainent. Dans un premier temps, la banque dit qu’elle "a procédé à des recherches destinées à identifier des documents pouvant potentiellement concerner M. de Sérigny." Puis, dans un second temps, la même banque écrit : "Malheureusement, nous ne voyons ni à quels faits, ni à quels documents votre courrier pourrait faire référence." Bref, les choses ne se présentent pas très bien pour Eric de Sérigny, d’autant que le procès en diffamation qu’il a intenté à Rue 89 se solde par une relaxe au bénéfice de la bonne foi prononcée par le tribunal correctionnel du 15 mars 2012, confirmée un an plus tard.

Mais le Tribunal relève quand même, que jamais Jean-Claude Schaeffer, lors de sa rencontre avec le journaliste David Leloup, n’indique que lui-même et Sérigny n’ont participé au moindre conseil d’administration des sociétés offshore citées. Certes encore, l’article affirme aussi qu’ Eric de Sérigny a été administrateur de 11 "opaques sociétés écran panaméennes créées il y a plus de 20 ans et qu’il est encore administrateur de trois de ces sociétés offshore". Il s’agit là de faits précis relève le tribunal, attentatoires à la honneur et à la considération. Mais, notent encore les juges, le journaliste emploie à plusieurs reprises "le conditionnel ou des formules mesurées". Il peut bénéficier de la bonne foi. Aussi est-il relaxé. C’est dire que, pour Sérigny, cette décision apparait mi-chèvre mi-chou. Même si d’une certaine façon, elle laisse la porte ouverte en faveur de Sérigny. "En effet, indique Me Olivier Baratelli, aucune des pièces de l’offre de preuves ne permet d’affirmer qu’Eric de Sérigny aurait été impliqué dans des sociétés panaméennes." Autre indice qui plaide en faveur du banquier, poursuit Me Baratelli, "les réponses très approximatives, faites par la Chase Manhattan aux différents courriers que nous lui avons adressés".

Le 23 octobre 2013, Eric de Sérigny a, enfin, toutes les raisons d’être heureux. Son calvaire, digne d’un roman de Kafka, cesse. En effet ce jour-là, le Tribunal de grande Instance de Paris écrit noir sur blanc : "La société JP Morgan Chase Bank, alors dénommée Chase Manhattan Bank , a commis une faute, en utilisant entre 1984 et 1988, à l’insu d’Eric de Sérigny , son nom pour le faire figurer, dans des actes relatifs à des sociétés panaméennes, en qualité d’administrateur." Une ombre, pourtant, reste en travers de la gorge de l’ex-banquier : un euro de dommages-et-intérêts lui est accordé au titre du préjudice moral. Dérisoire. Absurde. Aussi, a-t-il fait appel en réclamant 1 800 000 euros au titre du préjudice économique subi, puisque depuis 5 ans, Sérigny a dû faire face à un manque à gagner considérable, bon nombre de ses clients désertant ses conseils…Sur le préjudice moral, il ne cède pas davantage : il réclame 1 million d’euros. L’appel devrait être plaidé courant mars. Atlantico a sollicité à trois reprises - deux par téléphone, une par mail - l’avocat de JP Morgan pour recueillir son point de vue sur cette histoire qui secoue Eric de Sérigny depuis plusieurs années. En vain. 

Reste un double mystère, pour l’heure non élucidé : qui, en pleine affaire Bettencourt a monté cette entourloupe diabolique ? A qui pouvait-elle profiter ? Sérigny n’est pas décidé à laisser cette question sans réponse.

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