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Laurent Wauquiez peut-il transformer les difficultés du gouvernement en carburant pour les Républicains ?
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Nouvelle ligne ?

Laurent Wauquiez s'est adressé à Sens commun, ancien soutien de François Fillon, dans une allocution où il a été notamment question de la PMA. Erreur politique ou revirement stratégique ?

Emmanuel  Galiero

Emmanuel Galiero

Journaliste politique au Figaro, Emmanuel Galiero suit les partis souverainistes, le Modem, mais aussi la politique à Paris et à l'échelon de la région Ile-de-France. 

Emmanuel Galiero est le co-auteur notamment de Grandir à Marseille dans les années 1940 et 1950 aux éditions wartberg.

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Samuel Pruvot

Samuel Pruvot

Diplômé de l’IEP Paris, rédacteur en chef au magazine Famille Chrétienne, Samuel Pruvot a publié "2017, Les candidats à confesse", aux éditions du Rocher. 

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Atlantico : Laurent Wauquiez s'est adressé à Sens commun, ancien soutien de François Fillon, dans une allocution où il a été notamment question de la PMA. Pouvez-vous nous en dire plus sur le contexte de ce discours et sur cette phrase sur la PMA ?

Samuel Pruvot : Sens Commun organisait à Asnières une journée de réflexion sur « la droite que nous voulons est conservatrice ». L’objectif était donc clairement affiché. Parmi les invités, il y avait Laurent Wauquiez qui ne s’était pas fait prié pour venir…  Il apprécie ce courant qui prône « l’enracinement » à l’image de François-Xavier Bellamy. Le président de LR est bien placé pour savoir que ce courant est aujourd’hui très structuré et qu’il compte dans ses rangs près de 250 élus de terrain. Ces derniers rêvent d’un conservatisme conquérant et moderne qui ne soit plus relégué dans les oubliettes de l’Histoire. Un mai 68 à l’envers disent certains. Depuis la naissance du mouvement dans la foulée de la Manif pour Tous, Sens Commun a l’ambition de sortir la droite libérale de son mutisme sur les questions sociétales. Et Wauquiez assume cet objectif. 

Laurent Wauquiez a fait un discours fleuve de près de 45 minutes sur les thèmes du travail, de l’autorité, de la nation et de l’Europe. Un journaliste classé à gauche résume : « Il a flatté son auditoire, il l’a brossé dans le sens du poil mais il n’était pas démago. J’ai apprécié que Wauquiez cite Marc Bloch, Péguy et la philosophe Simone Weil. C’était un discours d’une haute tenue. » Pour autant les médias, alertés par une dépêche de l’AFP, n’ont retenu que son allusion très périlleuse au nazisme. Mais si maladroite que soit cette référence historique pour un normalien comme Laurent Wauquiez, précisons quand même qu’il n’a jamais dit que les partisans actuels de la PMA étaient des nazis ! Mais il faut admettre que la pente était glissante. Laurent Wauquiez a expliqué que la libéralisation de la PMA pour les femmes célibataires et les couples de femmes « mènera nécessairement » à la gestation pour autrui et à « la marchandisation des gamètes ». « Tout ceci a un nom, c'est l'eugénisme ; tout ceci a été fait par un régime, c'est le nazisme ». 

Laurent Wauquiez ne mâche pas ses mots et semble donner des gages à Sens commun à propos de sa position sur la PMA. S'agit-il d'un revirement stratégique ? 

Emmanuel Galiero : On peut estimer que Laurent Wauquiez donne le bâton pour se faire battre, au moment où sa stratégie est celle d'essayer de rassembler comme il l'a fait sur l'Europe lors du congrès à Menton qui avait permis à diverses sensibilités de se retrouver sur un projet commun. Sa stratégie serait plutôt celle-là: construire sur des thèmes des pistes de rassemblement pour consolider un parti qui a beaucoup souffert, encore convalescence et qui doit aller chercher un électorat perdu. Il s'est expliqué, est revenu sur cette déclaration en exprimant le fond de sa pensée. Sur la PMA, des questions d'éthiques sont posées, on peut aller jusqu'à l'eugénisme. Jusqu'où peut-on manipuler la génétique ? C'est un vrai débat de société, voulu d'ailleurs, et certains à droite estiment qu'il est légitime et qu'il faut l'avoir de manière transparente sans considérer que tout le monde a tort ou raison. Ce sont des questions de société et d'éthique très importantes. C'est d'ailleurs le cas de Bruno Retailleau qui réclame un débat éclairé sur la question. En prêtant le flanc aux critiques – il y a des références en France à éviter – Laurent Wauquiez a peut-être fait une erreur. C'est peut-être un coup manqué.

Samuel Pruvot : Certains confrères estiment même que Laurent Wauquiez a déclenché volontairement la polémique pour s’offrir un peu de buzz et pourquoi pas un passage au 20 heures de TF1 hier soir !? Je ne crois pas à ce scénario catastrophe. Laurent Wauquiez a été son meilleur ennemi - comme souvent d’ailleurs. Il a carbonisé en quelques instants un raisonnement argumenté sur les dérives potentielles qui s’attachent à la révision des lois de bioéthique. 

On accuse souvent Laurent Wauquiez d’infidélité à ses positions comme sur la fiscalité écologique par exemple. Mais force est de constater que son positionnement sur la bioéthique n’est pas un pur opportunisme. Il faut savoir que la majorité des militants LR trouvent ces sujets complexes et dangereux à manier. Ils ne l’attendent pas forcément à cet endroit. Mais pourtant il y va… Souvenons- nous que Laurent Wauquiez avait publié quelques jours auparavant une tribune dans le Figaro cosignée avec Christian Jacob, Bruno Retailleau, Franck Proust et Jean Leonetti. Il prenait clairement position contre la PMA pour les femmes célibataires et les couples de femmes. Il se dressait contre les méfaits de l’individualisme roi : « Les questions dites sociétales soulèvent des enjeux éthiques lourds que les revendications légitimes pour l'égalité, le bonheur ou l'amour ne sauraient évacuer. Souvent sensibles dès lors qu'elles touchent à notre intimité, elles n'en sont pas moins des questions politiques :  tout ce qui est scientifiquement possible est-il pour autant humainement souhaitable? Tous les désirs individuels doivent-ils être satisfaits par la technique? »

Quelle est la stratégie, plus large, qu'est en train de mettre en place Laurent Wauquiez pour Les Républicains ?

Samuel Pruvot : La stratégie est connue et invariable. Laurent Wauquiez prétend défendre une « droite décomplexée » qui n’a plus peur de son ombre sur les sujets de société mais aussi sur la sécurité ou les migrations. Beaucoup le suspectent dans son camp car il vient à l’origine du centrisme et de la démocratie chrétienne. Est-il une girouette ? Un opportuniste prêt à tout pour accéder au pouvoir ? Mais lui creuse son sillon « conservateur » avec obstination en dépit des mauvais sondages. C’est avec ce programme choc qu’il a été choisi par les militants de LR, c’est avec ces munitions qu’il entend reconquérir le pouvoir. Et affronter les prochaines élections européennes. Quitte à flirter avec les thèmes classiques du RN comme jadis un certain Nicolas Sarkozy. 

A qui s'adresse Laurent Wauquiez avec ce genre de déclarations ? N'y a-t-il pas un fond de pensée ?

Emmanuel Galiero : A droite, il y a deux familles. Celle de l'extrême droite avec Marine Le Pen, les souverainistes, qui se portent plutôt bien dans les sondages sur les européennes actuellement (21% aux dernières mesures). Il y a aussi les Républicains pour lesquels les élections européennes semblent plus compliquées. Evidemment, il y a un électorat qui est très en attente de solutions sur un certain nombre de sujets identitaires et il est évident que la droite cherche à parler aussi à cet électorat. Est-ce un moyen de le faire ? Pas certain. Il n'a rien à gagner dans une déclaration comme celle-là. Il prend plutôt un risque de ne plus être très visible y compris chez cette droite modérée qui l'observe et l'a mis sous surveillance depuis son élection à la présidence du parti et de l'autre côté chez cet électorat frontiste, radical. Chez les Républicains, on identifie les européennes comme une étape à franchir, en pensant que la suivante sera plus florissante: les municipales. On voit bien que le clivage va se faire des questions identitaires, d'immigration, tous ces problèmes qui ont secoué l'Europe depuis quelques temps.  Sur cette thématique-là, ça va être plus compliqué pour les Républicains. Laurent Wauquiez n'a pas d'autre stratégie que celle de rassembler, ni d'autre option. Il faut suivre les réactions. Valérie Pécresse s'est plusieurs fois exprimée pour mettre en garde contre la dérive droitière de Wauquiez. Certains à droite ne peuvent pas percevoir positivement ce genre de déclarations. Laurent Wauquiez est quand même revenu sur ses propos. On va voir comment il sort de ce bourbier. C'est la troisième fois que Laurent Wauquiez commet ces erreurs politiques. On se souvient de celle où il allait s'exprimer devant des étudiants, les critiques à l'égard de Nicolas Sarkozy. Le fameux Tweet à Frédéric Péchenard…ça fait beaucoup pour un président de formation qui par ailleurs s'active énormément pour trouver des terrains d'entente et pour rassembler sa famille. On peut toujours imaginer qu'il y a une stratégie. Mais je crois que la politique est parfois plus simple. Dans une explication, on peut déraper, aller trop loin, mal mesurer ce qu'on dit à l'instant T. Je ne vois pas quels seraient les gains si c'était une stratégie.

Comment se structure la droite à l'ère de Laurent Wauquiez ?

Emmanuel Galiero : Laurent Wauquiez a été élu par le socle du parti, le cœur le plus militant. C'est un cœur à droite qui a été lassé par les échecs et qui est légaliste: une fois le chef élu, il faut aller derrière lui. C'est une partie du parti qui veut l'encourager, le suivre. Il y a des rivalités. Après une présidentielle, les partis peuvent éclater, comme au Front national. Souvenez-vous le départ de Florian Philippot. Mais il reste le socle. La droite est un alliage de sensibilités. Il y a aussi ceux qui veulent en finir avec les divisions. Des gens comme Jean Leonetti pensent que les questions posées par Laurent Wauquiez sont les bonnes sur l'immigration, l'identité. Laurent Wauquiez veut aller sur ces terrains-là car il a le sentiment qu'il y a une brisure entre les grandes villes et les campagnes. Il y a des fractures en France. Laurent Wauquiez veut aller sur ces questions comme il l'a fait en s'affichant avec les gilets jaunes. D'un autre côté, Valérie Pécresse veut nourrir son parti, faire en sorte que ça ne dérive pas et cherche également à mettre en place un sas dans lequel ceux qui ne supportent pas la ligne de LR seraient libres. Cela créerait une sorte de zone tampon, pour éviter que les gens partent ailleurs, notamment vers la Macronie. Puis il y a les Constructifs-Agir. C'est la bande des vendanges de Bordeaux, les juppéistes – Dominique Bussereau, Franck Riester, Valérie Pécresse… Ce sont des élus de droite qui se sont mis en congés de LR, qui pensent que l'avenir de la droite ne peut se faire que sur une droite modérée, sur le rassemblement et en évitant les collusions et les rapprochements ou idéologiques avec le Front national et ses idées. Cette partie fragile est un peu perdue aujourd'hui. Si Emmanuel Macron est un peu secoué dans la perspective des européennes, cette idée d'axe central peut-elle résister ? Cela risque d'être un électorat un peu orphelin.

Cela ne plaît pas à tout le monde au sein de son parti. Qui se sent crispé et pourquoi ?  Avez-vous eu des réactions de gens en interne qui grincent des dents ? Laurent Wauquiez est-il soutenu et sinon par qui est-il critiqué en interne ?

Samuel Pruvot : En interne Laurent Wauquiez est parfois conspué. Certains lui reprochent amèrement cette sortie sur le nazisme en pleine mobilisation sur les « gilets jaunes ». Un certain nombre de responsables estiment qu’il a parasité la séquence médiatique en suscitant une polémique stérile. « On avait un véritable boulevard en joignant notre voix aux Français qui souffrent… a confié un élu. Il a tout gâché avec cette petite phrase à la c… » C’est en effet dommage quand on sait que Laurent Wauquiez a été un des premiers à théoriser le blues des classes moyennes. (La lutte des classes moyennes, 2011, Odile Jacob)

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