Lassana Bathily naturalisé pour héroïsme : au-delà d’un passeport, l’identité française que nous lui offrons, c’est quoi aujourd’hui ? <!-- --> | Atlantico.fr
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L'ombre de Lassana Bathily.
L'ombre de Lassana Bathily.
©Reuters

C’est quoi être français

Lassana Bathily, qui avait caché plusieurs personnes lors de la prise d'otage de l'Hyper Cacher, a été naturalisé mardi 20 janvier pour sa conduite héroïque. Une procédure qui lui permet de jouir des avantages inhérents à sa nouvelle nationalité et qui lui offre surtout la possibilité d'intégrer un groupe uni par un ensemble de valeurs, et bien plus encore.

Atlantico : Si les conséquences sur sa condition matérielle sont connus, qu'est-ce qu'implique de devenir français dans le contexte actuel ?

Maxime Tandonnet : Le code civil prévoit la possibilité pour un gouvernement de naturaliser une personne en dehors des critères habituels, en récompense pour un service exceptionnel rendu à la France ou parce que la France y a un intérêt particulier. Cette disposition est appliquée dans des circonstances rarissimes, limitées à quelques cas chaque année. Il est bien dans la tradition républicaine d'accorder la nationalité française à la suite d'un acte d'héroïsme tel que celui accompli par M. Lassana Bathily. Cela se produit par exemple à la suite d'exploits sur les champs de batailles. Sa naturalisation est une belle illustration du sens profond de communauté nationale, c'est à dire un ensemble de personne réuni par la volonté de partager un destin commun. Par le geste de solidarité qu'il a accompli, en sauvant des vies, il a marqué sa volonté de rendre service de tout donner de lui-même en prenant un risque pour sa propre vie. Je pense en outre que son exemple est particulièrement bienvenu dans des temps d'indifférence à autrui, de repli et d'égoïsme. C'est lui qui, à l'évidence, nous a donné une superbe leçon.

Qu'est-ce que la france a à lui offrir concrètement ? Que reste-t-il de notre identité ?

La question "que reste-t-il" est un peu négative, supposant que cette identité française serait en voie de disparition. La France se définit par un patrimoine intellectuel hors du commun, littéraire, artistique, scientifique, "aussi solide que les Pyrénées ou les Alpes", comme dit Jean Guéhenno dans son journal des années noires. La France est faite d'une histoire tout à fait hors du commun. Elle est une géographie, au coeur de l'Europe, ouverte sur trois mers et un océan, plus l'outre-mer, pourvue d'un climat tempéré exceptionnel. Elle est un peuple, finalement assez homogène, uni à 80%, sur ses grandes valeurs, ses principes, sa manière de ressentir les choses.

Pour qui voyage souvent, le caractère français est bien marqué, mélange de générosité, d'humanité, d'attachement au pays, d'humour, de modération, d'esprit critique et de bon sens, d'un peu de désinvolture qui fait aussi son charme. Le pays comporte, notamment dans la jeune génération, des trésors d'énergie, d'abnégation, d'intelligence, de solidarité. Le problème de la France, aujourd'hui, c'est sa face visible, médiatisée, sa caste politique et médiatique, généralement assez médiocre, cooptée par des liens familiaux et claniques, obnubilée par ses intérêts égocentriques et totalement déconnectée du sens des réalités et de l'intérêt général. La France a beaucoup à offrir, à condition de ne surtout pas s'arrêter à la surface médiatique des choses...

La liberté, la fraternité, l'égalité, la laïcité ou encore la liberté d'expression sont des concepts défendus par un grand nombre de pays occidentaux. Pourtant, les identités ne sont pas les mêmes. Les valeurs républicaines sont-elles vraiment suffisantes pour définir ce que signifie le fait d'être français ?

Non, bien entendu. Devenir français correspond d'abord à une notion de nature juridique. La naturalisation est l'acte par lequel le gouvernement accorde la nationalité française à une personne ayant vécu un certain temps sur le territoire français en situation régulière (en général 5 à 10 ans, parfois moins), et dont "l'assimilation", selon le terme du code civil, est reconnue, sur la base d'une bonne maîtrise du français et de l'adhésion aux valeurs de la République, telle que l'égalité des droits, notamment entre les hommes et les femmes, le principe de laïcité, ou l'obligation scolaire pour les enfants. Il faut surtout avoir envie de devenir français, d'appartenir à une communauté nationale, une grande famille. Tout le monde ne peut pas à tout moment faire preuve d'héroïsme et sauver des vies pour montrer son attachement à la France, heureusement d'ailleurs. On ne peut pas non plus lier l'acquisition de la nationalité française à un niveau scolaire, de culture générale ou de connaissance de l'histoire ou des institutions que tous les Français ne maîtrisent pas forcément. En ce qui concerne la langue française, le fait de la parler couramment n'est pas non plus toujours significatif à l'évidence. C'est plus un état d'esprit qui compte, une envie, un désir, une volonté de faire partie d'une communauté nationale et de lui apporter quelque chose.

Comment identifier ce quelque chose de si proche de nous qu'il est du domaine de l'impalpable ?

La question est complexe. Je pense que ce sont des gestes simples de la vie quotidienne qui sont les plus parlants à cet égard. Le respect scrupuleux d'autrui, la tolérance, l'honnêteté dans les rapports sociaux, l'abnégation au quotidien, aimer son travail, son environnement, suivre les études de ses enfants, contribuer à la vie de son quartier, l'exemplarité, le sens du devoir, ce sont des choses évidentes mais qui dénotent de l'attachement à un mode de vie et que l'on est en droit d'attendre d'un futur français comme d'un français.

M Bathily était arrivé en France en 2006. Qu'est-ce que cette naturalisation changera probablement dans son identité ? 

"Changer son identité", à vrai dire, je ne vois pas bien ce que cela peut signifier. Il aura sans doute une grande fierté d'être français puisqu'il le souhaitait et la certitude de pouvoir construire sa vie et son avenir dans notre pays. Il lui incombe, comme à tout français, naturalisé ou pas, de respecter les principes et les lois de la République. Cependant, rien, bien entendu, ne l'oblige, en devenant français, à faire table rase de son passé. Il est parfaitement libre, tout en étant français de garder des attaches avec le Mali, personnelles, familiales, affectives, comme le permet d'ailleurs la double nationalité.

Propos recueillis par Alexis Franco

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