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La TVA française sur les e-books refusée par Bruxelles : quand le ni-ni (ni fédéralisme, ni retour en arrière) nous condamne aux inconvévients de l’Europe en nous privant de ses avantages
©Reuters

Entre deux chaises

L'Europe refuse la position de la France à propos de la TVA sur les livres numériques. Bruxelles souhaite en effet une harmonisation poussée entre les différentes économies, législations et normes entre les membres. Une intention compréhensible de la part des autorités de l'UE, mais l'absence d'un vrai projet fédéral rend ce souhait au mieux contraignant, au pire néfaste pour l'économie.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Bruxelles veut pousser la France à remonter son taux de TVA réduit sur les e-books au taux normal, considérant que le livre numérique est un service, et qu'il est nécessaire d'avoir une politique harmonisée sur la TVA. Elle en pense d'ailleurs de même sur des questions aussi diverses que la durée du temps de travail ou l'environnement (directive nitrate). L'Europe pousse-t-elle à cette harmonisation forcée, alors que le fédéralisme n'est pas le destin à moyen terme de l'UE ?

Jean-Yves Archer :L'Europe qui est un cauchemar pour certains et demeure un rêve pour d'autres utilise une méthode d'harmonisation forcée qui n'est pas totalement en phase avec l'ordonnancement juridique qui devrait prévaloir à l'Union qui n'a pas reçu de mandat pour établir les bases d'un projet fédéraliste.

Le taux de TVA réduit sur les livres est issu d'un dispositif spécifique nommée la loi Lang. La Commission considère effectivement que le taux de 5,5% ne peut s'appliquer au livre numérique et enjoint la France de modifier la situation par l'application du taux à 20%. Il est intéressant de noter que le géant Amazon a élaboré un dispositif (forfait annuel avec achat gratuit des livres numériques) de fidélisation qui respecte le texte des Directives de Bruxelles mais en modifie l'esprit.

L'Europe promeut donc une forte volonté d'harmonisation en concevant celle-ci comme un passage sous la même toise. Il n'est pas certain que cela soit productif si l'on songe à des pays fédéraux dont les composantes ont des marques de différenciation. Bien sûr les Landers allemands mais aussi, hors Union, la Suisse et ses disparités cantonales.

Lisser les législations sans avoir le fédéralisme et la fluidité qu'il peut procurer, n'est-ce pas avoir les inconvénients sans les avantages ? Sait-on combien coûte aux économies nationales l'application de mesures qui ne correspond à aucune réalité concrète, sans renforcer la construction européenne ?

L'Europe optimale et idéale devrait définir une situation juridique donnée (le mètre-étalon de la question en débat) et laisser aux Etats un délai fixe pour se rapprocher au maximum de l'objectif. Au lieu de cela, il y a des longues palabres au niveau communautaire qui aboutissent à une production intensive de directives que les Etats doivent transposer en droit interne. Ce mouvement "top-down" est complexe au plan juridique par opposition à une dynamique juridique qui serait davantage la propriété des Parlements nationaux qui auraient pour mission de réussir à caler notre système normatif sur la feuille de route de l'Union. Autrement dit, au lieu de voir dégringoler des oukases de Bruxelles et obtenir des transpositions imparfaites, les pays membres de l'Union feraient eux-mêmes leur pas vers une codification européenne. Cette inversion de flux me semble un moyen concret de sortir de l'ornière notre Europe qui est moins appréciée par ses habitants qu'aux temps révolus des pionniers de la Communauté économique européenne.

Le chiffrage de cette approche verticale de l'Europe est évidemment impossible à établir mais il se compte en milliards d'euros si l'on songe que l'on privilégie depuis des années une Union de consommateurs et non un ensemble hétérogène composé de clients mais aussi de producteurs. Songeons par exemple à l'important droit de la concurrence et à ses commissaires célèbres : Sir Léon Brittan, Karel Van Miert, Mario Monti. La focalisation sur la notion délicate de "marché pertinent" et son appréhension dans le cadre des frontières nationales respectives aura empêché nombre de fusions transfrontalières. Prenons le cas de l'aluminium où la fusion Alcan, Alusuisse et Péchiney a été retoquée au détriment des établissements situés en France (vallée de la Maurienne par exemple) qui sont passés sous pavillon canadien (Alcan était sorti vainqueur de ces rachats) puis anglo-australien (Rio Tinto). Comme l'acier d'Arcelor, l'aluminium de Péchiney est désormais détenu par des firmes étrangères à l'Europe. Beau travail pour des soi-disant représentants de nos intérêts stratégiques. 

De la fiscalité au droit du travail, quels sont les domaines où l'harmonisation à marche forcée provoque le plus de dégâts ? Quels sont les domaines où l'Europe connaît une vraie perte de compétitivité à vouloir "faussement" être un espace intégré ?

Ici encore, prenons un exemple. Nous avons en mémoire les combats contre la directive Bolkestein adoptée en 2006 malgré les craintes collectives exprimées au travers de l'exemple du "plombier polonais" lors de la campagne du référendum constitutionnel de 2005. Moins de dix ans après, le bilan est clair : il suffit de voir le dumping social que représente la pratique dite des "travailleurs détachées " qui permet de faire travailler en France tel ou tel membre de l'Union selon les conditions sociales de son pays d'origine.

On retrouve là votre image "d'espace faussement intégré" et votre terme de "dégâts" appliqué au champ social alors que nous avons à lutter sérieusement contre un chômage de masse.

Quant à la fiscalité, nous sommes dans un marais pour ne pas dire un bourbier : il suffit de regarder les écarts qui existent entre les impôts sur les bénéfices (entre la France et l'Irlande...) ou les différents taux de TVA.

Pourquoi n'arrive-t-on pas à faire "réellement" de la politique en posant le débat sur la question du fédéralisme, qui permettrait ensuite soit de mieux accepter l'harmonisation, soit d'y renoncer en toute connaissance de cause ?

Depuis l'échec de 2005, les dirigeants européens redoutent le suffrage universel et s'en remettent à des votes parlementaires aussi importants que parfois discrets. Vous imaginez le tandem franco-allemand proposer au Conseil européen une initiative de type fédéraliste ?  En fait, nul ne veut reconnaître que le chemin actuel est plus imparfait qu'il n'y parait, que la crise est sérieuse et que l'élargissement précipité engendre plus de questions que prévu. Pour ma part, j'espère que nos centaines de millions de compatriotes européens pourront voter sur le type de modèle qu'ils veulent adopter. Les européens convaincus qu'étaient Jean-François Deniau ou Maurice Faure (signataire du traité de Rome) disaient toujours qu'une question importante doit être expliquée au peuple et tranchée par lui.

A part la fin d'une hypocrisie, qu'apporterait vraiment une convergence assumée des économies européennes ? Y a-t-il un vrai gain en termes de croissance ou d'environnement des affaires à aller vers un tel modèle ?

Le temps passe et bien des europhobes ont oublié ce que coûtaient les commissions de change entre les pays et les crises qui conduisaient à introduire, spécialement pour l'agriculture, les MCM : montants compensatoires monétaires.

L'Euro a simplifié les échanges et permis d'être un méga-comparateur de prix au sein de notre Continent. Cette convergence permet un modèle de croissance plus cohérent mais hélas le chantier s'est arrêté en route et nous n'avons pas su franchir l'étape de la "zone monétaire optimale" définie par Robert Mundell qui suppose une harmonisation des politiques budgétaires et fiscales.

Une convergence assumée de nos économies pourrait nous permettre de répondre à des appels d'offres mondiaux. Le TGV aux Etats-Unis n'a pas encore démontré sa capacité de conviction commerciale là où un consortium Siemens / Alstom efficient serait plus adéquat.

Clairement, les querelles fratricides au sein de l'Europe sont aussi préjudiciables que la mésentente entre Areva et EDF à Abu Dhabi en 2009.

De plus, je voudrais conclure sur un point que j'ai eu l'occasion d'étudier assez attentivement : celui de l'Europe de la fraude. Fraude sur les produits (les lasagnes au cheval, etc), fraude aux subventions de l'Union. L'Union européenne est dotée depuis 1975 d'une Cour des comptes (CCE) ou encore " European Court of Auditors " (ECA) qui a pour principale fonction de veiller à la régularité et à la sincérité des comptes publics des diverses institutions de l'Union européenne.

Concrètement la CCE est garante de la qualité d'exécution du budget de l'Union. Sur ce sujet, la page 11 (du rapport 2013) est importante : "Le taux estimatif d'erreur affectant les dépenses imputées au budget de l'UE dans son ensemble a encore augmenté en 2012, passant de 3,9% à 4,8%. Ce taux a augmenté chaque année depuis 2009 après avoir reculé au cours des trois années précédentes." Ainsi, nous aboutissons à un taux d'erreur qui représente près de 10 milliards d'Euros (rapportés au budget de l'époque : 146 mds).

Si la CCE paraît peu écoutée sur le budget, elle a, en revanche, été entendue par la groupe "Développement rural, environnement, pêche et santé" qui est resté le domaine de dépenses le plus exposé aux erreurs avec un taux estimatif d'erreur de 7,9%. Ce score ne serait pas accepté sans suites vigoureuses par les auditeurs internes de Vinci, de Michelin ou de Valéo. L'Europe a donc des marges de manœuvre en matière de progression de rectitude des chiffres.

Que penser, ainsi, de la page 29 (rapport CCE) où l'on peut lire : "En 2012, un total de 13 partis et de 12 fondations politiques au niveau européen ont bénéficié d'un financement par le budget général de l'UE.  .../.... Parmi ses observations, la Cour a noté que le règlement devait clairement définir les notions de dons, de contributions et de prêts à un parti politique européen. Elle a également recommandé que les sanctions appliquées en cas de violation des règles soient plus codifiées et que le règlement prévoie l'application d'un coefficient multiplicateur aux montants indûment perçus, sans fixer de plafond." Les choses sont clairement dites...

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