La Turquie invente un détecteur pour menteurs turcs : et un Français, ça ment comment ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un détecteur de mensonges.
Un détecteur de mensonges.
©Reuters

Un éléphant ça trompe énormément

Selon le psychanaliste Pascal Neveu, auteur du livre "Mentir...pour mieux vivre ensemble?", on estime à 15 % la proportion de menteurs indétectables au sein de la population. Parmi eux, les psychopathes et les sociopathes.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Des chercheurs d'une université d'Istanbul chercheraient à développer un détecteur de mensonges "adapté" à la culture turque (lire ici en anglais). Chaque culture aurait sa propre manière de mentir ?

Pascal Neveu : Disons plutôt qu'au sein de chaque culture, le mensonge n'est pas vu tout à fait de la même manière.  Là où certaines rejettent le mensonge en bloc, d'autres l'incorporent dans une manière de vivre, dans une façon de séduire. Car la séduction permet de faire baisser le seuil de vigilance de l'interlocuteur. Ce qui est dérangeant dans cette affaire, pour ne pas dire choquant, c'est que les universitaires turcs en question sont apparemment en train de chercher à établir une typologie turque du mensonge. Une telle approche est profondément critiquable.

Aucune étude sérieuse n'a jusqu'ici été menée sur la manière de mentir en fonction des cultures ou des religions. On sait en revanche que quelle que soit la société, le mensonge est prohibé. Nous sommes tous de potentiels menteurs. En l'occurrence, on peut s'interroger sur l'utilisation qui serait faite de ce détecteur par les Turcs. Actuellement les détecteurs de mensonge tels que ceux utilisés par la CIA ou le FBI ne sont fiables qu'à 80 %. C'est à la fois énorme et insuffisant. Pour pallier cela, nous savons que les Américaines sont en train de développer un détecteur visuel de mensonges, ce qui se rapproche des travaux menés par ces universitaires turcs. Jusqu'ici on ne mesurait que la nervosité des personnes.

Mais on sait qu'un enfant, dès l'âge de 8 ou 9 ans, maîtrise parfaitement les codes visuels du mensonge : pour mentir nous avons davantage besoin des mouvements des mains et du visage que de la parole. Les spécialistes savent repérer un menteur en fonction du mouvement de ses yeux, de ses lèvres, de ses mains, etc. mais ce n'est pas toujours suffisant car une personne émotive peut être amenée à montrer des signes de mensonge qui n'en sont pas. En revanche on estime à 15 % la proportion de menteurs indétectables au sein de la population. Parmi ces personnes on trouve les psychopathes et les sociopathes. Ces gens n'éprouvent pas d'émotions, mais ont tellement observé et analysé les comportements des autres qu'ils savent parfaitement quels mots et quelles attitudes employer pour faire passer un message. Ce détecteur turc, aussi adapté à la culture turque soit-il, ne permettra pas de repérer les menteurs aguerris.

Nous, Français, avons-nous une manière bien spécifique de mentir ? Quelle est-elle ?

Précisons tout d'abord que les mensonges sont de deux ordres : égoïstes et altruistes. Les premiers servent à nous protéger, quand les deuxièmes servent à préserver une autre personne. Ce principe de base vaut pour toutes les cultures. La communication non verbale est essentielle : gestes, faux sourires, intonations de la voix, lapsus, les "euh"… tout cela nous trahit. Un enfant, dès le plus bas âge, intègre les techniques de dissimulation de ses parents. Et même si le Français est moins expressif que l'Italien sur le plan gestuel, cela ne veut pas dire pour autant qu'il mente moins bien que ce dernier. Les stéréotypes nous amènent à croire que les "sudistes" sont de fieffés menteurs, quand les "nordistes" seraient la vertu incarnée dans ce domaine. Mais finalement, ne délivrons-nous pas tous notre vérité, chacun à notre manière ?

Difficile, donc, de généraliser quand on voit les différences qu'il peut y avoir entre un parisien et un marseillais. Ce dernier aura une plus forte tendance à transformer la réalité. C'est la fameuse histoire de la baleine dans le port de Marseille qui s'est avérée être une sardine. La vigilance par rapport à la parole et à l'exagération des choses est variable en fonction de la géographie, donc. Mais cela nous amène à une question plus fondamentale : quand le mensonge commence-t-il ? Où est la vérité ? Lors de l'élection présidentielle de 2012, 51 % des Français savaient que les deux candidats au second tour leur mentaient. Mais nous acceptons implicitement de nous laisse "envelopper" dans leur discours.

Notre manière de mentir est-elle spécifiquement française, ou peut-elle être qualifiée d'européenne ? Des différences avec nos proches voisins existent-elles tout de même ?

Nous autres Français, plus globalement, n'avons pas la même relation au mensonge que les Allemands, par exemple, qui eux considèrent que la vérité doit toujours être dite, même si elle déplaît. Cela tient à leur identité protestante.  L'interdit du mensonge se retrouve dans toutes les religions, mais certaines sont plus arrangeantes que d'autres. Nous sommes éduqués à ne pas mentir, nous l'inculquons à nos enfants, alors que nous-mêmes sommes capables de mentir à ces derniers. Le plus souvent nous leur mentons pour les protéger, mais cela reste une manière de faire qui contrevient aux principes les plus fondamentaux dont nous sommes pétris. Notre culture latine a cela de paradoxal qu'elle nous conduit à trouver de l'intelligence chez celui capable d'inventer un grand mensonge. Par contre, dès lors que ce mensonge fait des victimes, il est considéré qu'il doit être puni. Les pays nordiques, eux, ne s'embarrassent pas de casuistique, ils bannissent le mensonge, quel qu'il soit.

Prenons l'exemple des Etats-Unis, où la population, notamment dans les grandes villes, a tendance à s'exprimer d'une manière qui peut souvent paraître théâtrale aux yeux des Français, habitués chez eux à plus de sobriété dans les effets de langage. Au risque de caricaturer, peut-on dire que cette manière "théâtrale" de communiquer implique nécessairement une plus grande part de mensonge au quotidien ?

Tant que l'on évolue au milieu de personnes ayant grandi dans le même environnement culturel, on arrive à se repérer, et l'on est davantage apte à déceler le mensonge chez l'autre. Ce principe vaut pour les Français comme pour les Américains. Les codes étant différents de chaque côté de l'Atlantique, le Français pourra considérer l'Américain comme un gros menteur qui exagère tout ce qu'il dit, mais l'Américain, face à des Français beaucoup plus sobres dans leur expression, pourra se dire que ce sont de grands dissimulateurs… Dès lors, qui ment le plus ?

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