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La Syrie, dernier tombeau des idéalismes
©DELIL SOULEIMAN / AFP

Cynisme

Les récents développements de la guerre en Syrie illustrent de manière patente la faillite des Occidentaux et constituera sans nul doute un nouveau cas d’école de ce à quoi conduit le manque de réalisme.

Laurent Leylekian

Laurent Leylekian

Laurent Leylekian est analyste politique, spécialiste de la Turquie.

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Au départ pourtant, la distribution des rôles était claire : le méchant Bachar sous influence du diabolique Poutine d’un côté ; de l’autre les gentils Occidentaux soutenant tout à la fois les braves Kurdes seul rempart contre l’Etat islamique, et les rebelles « qui font du bon boulot ». A terme, un régime syrien promis à disparaître, ses dirigeants trainés devant la Cour Pénale Internationale et l’avènement de la démocratie en Syrie sous l’égide d’une communauté internationale unanime représentée par son fondé de pouvoir local, la Turquie.

8 ans après le début du conflit – et même si l’avenir n’est jamais écrit – on est bien loin de ce scenario hollywoodien. Au prix d’un nombre incalculable de victimes civils, l’Etat syrien est en passe de recouvrer sa souveraineté sur la quasi-totalité de son territoire après que les Kurdes du Rojava aient été conjointement lâchés par les Américains qui les armaient, par les Européens qui les encourageaient et par les Russes qui les laissaient faire. 

Même si la comparaison à ses limites, l’instrumentalisation du mouvement national kurde en ce début de 21ème siècle ressemble à s’y méprendre à celle dont fut l’objet le mouvement national arménien au début du 20ème siècle. Il est du reste possible qu’à terme, la région autonome du Kurdistan irakien devienne la seule assise territoriale d’un futur Etat kurde comme l’ancienne Arménie « russe » est devenue celle de la République d’Arménie. 

Quoi qu’il en soit, les dernières évolutions du conflit viennent jeter une lumière crue sur quelques vérités factuelles dont il faudra bien finir par tenir compte. Vérité numéro un donc, Donald Trump tient sa promesse de désengager les Etats-Unis de conflits qui ne l’intéressent pas. En bon businessman, le président américain préfère les deals éventuellement assorties de pressions économiques et politiques plutôt que de s’embourber dans des Vietnam qui nuiraient à ses affaires comme à sa côte de popularité. Que le locataire de la Maison Blanche soit otage ou non de secrets détenus par Erdogan relatifs à l’affaire Zarrab est assez secondaire. Cela semble d’ailleurs n’être d’aucun effet comme en atteste l’annonce de sanctions sévères décrétées par Trump contre la Turquie, sanctions assorties d’une déclaration à la sémantique inouïe entre deux « alliés » de l’OTAN. Au-delà du cas d’espèce, il est fort probable que nous assistions à un retour de fond à la tendance isolationniste des Etats-Unis ou, en tout cas, aux conséquences de leur désintérêt pour l’Ancien Monde. Sous d’autres modalités certes, Trump ne fait que poursuivre un mouvement initié par Obama et qui pourrait conduire à une géopolitique du monde totalement différente de celle que nous connaissons depuis un siècle.

Vérité numéro deux, la Russie est tranquillement en train de s’imposer comme faiseur de rois régional. Loin de toute position idéologique et peut-être même de tout plan préconçu, Poutine se révèle un stratège aussi pragmatique qu’opportuniste avançant ses pions à l’exact rythme du retrait américain. Pour la plupart des leaders régionaux, accoutumés à des rapports de force, Moscou apparaît à la fois comme un partenaire fiable et crédible en ce que ses lignes rouges sont clairement énoncées et leur transgression dûment punies. Après s’être servi du mouvement kurde syrien, le blanc-seing donné par Lavrov à Ankara ne pouvait que contraindre les combattants du Rojava – à Mounboundj, à Kobané ou à Tel-Abyad – à céder leurs positions à l’armée régulière syrienne pour éviter le massacre généralisé. Coup de maître, digne de Bismarck ou de Talleyrand : Quelle que soit in fine « l’isobare » territoriale entre Ankara et Damas, c’est Moscou qui gagne en contrôlant désormais l’un et l’autre. Et la toute dernière visite de Poutine en Arabie Saoudite, ancienne chasse gardée américaine, montre si besoin en était le prestige et l’influence que le dirigeant russe exerce maintenant sur un Proche-Orient en passe de troquer la pax americana par une pax russiana.

Vérité numéro trois, l’Alliance atlantique n’a plus d’alliance que le nom et d’atlantique que l’illusion. Les fractures internes au prétendu bloc occidental sont restées masquées tant qu’a perdurée la menace soviétique. On peut même soupçonner les atlantistes d’avoir continué d’agiter le cadavre de l’URSS pendant presque trois décennies aux seules fins de masquer ces fractures. Mais il est aujourd’hui patent que la Turquie n’a jamais cessé d’être un Etat impérialiste et hostile à l’Europe que seule l’ombre de Moscou a limité – durant l’intermède kémaliste – dans ses velléités expansionnistes. Face à cette menace existentielle, on mesure mieux la lâche trahison des élites européennes d’avoir confié la sécurité des frontières orientales de l’Union à cette autocratie à laquelle on ne peut plus refuser grand’ chose. Privé de son tuteur américain, les Etats européens, désunis, veules et velléitaires s’enfoncent chaque jour un peu plus dans l’insignifiance géopolitique de simples objets de l’Histoire, avant peut-être de n’être plus que des territoires à conquérir, vierges de tout véritable pouvoir politique. Dans ce sinistre tableau, la question de la pertinence d’un archaïsme aussi manifestement inadapté à la situation géopolitique que l’OTAN est peut-être de la dernière importance.

Charité bien ordonnée commençant par soi-même, il reste à espérer un sursaut par lequel les dirigeants européens cesseraient de confondre les intérêts bien compris de leurs concitoyens avec ceux d’une Humanité dont – pour paraphraser Kissinger – on cherchera en vain le numéro de téléphone. C’est sans doute à cette aune plus qu’à toute autre qu’il faut apprécier la vigoureuse résurgence des mouvements dits « populistes », qui traduisent en vérité l’angoisse de nations qui ne veulent pas mourir et qui, mues par un égoïsme bienvenu, préféreront toujours leur bien-être et leur « vivre-ensemble », le seul qui vaille, à toute Assomption opérée en réalité à leur détriment. Si en 1939, même les nationalistes ne voulaient pas « mourir pour Dantzig », comment en 2019 reprocher aux « citoyens du monde » de ne pas vouloir mourir pour Kobané ?

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