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La Roumanie prise dans une dérive anti-démocratique à la hongroise
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Mouton noir

Ce mardi, le chef de l’État roumain Traian Basescu a passé temporairement le pouvoir à son opposant Crin Antonescu, après la validation par la Cour constitutionnelle de sa suspension, initiée par la coalition de centre gauche au pouvoir. Alors que plusieurs pays européens et les États-Unis ont exprimé leur inquiétude, le Premier ministre, Victor Ponta a décidé de saluer la décision de la Cour constitutionnelle.

Denis Matton

Denis Matton

Denis MATTON est philosophe de formation et agent de carrière du ministère des Affaires étrangères et européennes. Il a été en poste à Islamabad, Tunis, New York, Boston, Washington, Zurich et Copenhague. Marié à une ressortissante roumaine, il réside actuellement en Roumanie. Il a été candidat du Parti libéral démocrate aux dernières élections législatives françaises de juin 2012 dans la 7ème circonscription de l'étranger (Allemagne, Europe centrale, Balkans). Son site : www.denismatton.eu

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Devenue majoritaire à la Chambre des députés et au Sénat en avril dernier, puis parvenue au gouvernement après une motion de censure parlementaire perdue par la droite en mai, la gauche roumaine (menée par la coalition USL) veut profiter de ce nouveau rapport de force pour asseoir davantage son pouvoir et étouffer plusieurs affaires en allant jusqu’à prendre des mesures dérogeant à la constitution. L’Union européenne commence à s’émouvoir d’une situation menaçante pour l’Etat de droit en Roumanie.

Après la Hongrie, la Roumanie sera-t-elle pour l’Europe des 27 son nouveau mouton noir accusé de ne pas se conformer aux standards démocratiques de Bruxelles ? Quoique les points de tension avec les institutions européennes soient de nature juridique différente dans les deux pays, on ne peut toutefois pas manquer d’être frappé par la presque concomitance et la proximité tant géographique qu’historique qui existent entre les deux contentieux.

En Hongrie, le problème est si l’on peut dire philosophique et touche aux valeurs fondamentales. Il concerne l’élaboration d’une nouvelle constitution qui a été instituée tout à fait légalement mais dont les principes et les lignes directrices de fonctionnement ont été contestés par la commission de Venise (commission du Conseil de l'Europe spécialisée en droit constitutionnel) au nom des valeurs européennes.

Pour la Roumanie, Il s’agit d’une affaire de droit constitutionnel interne. La question est de savoir si le gouvernement de gauche a contrevenu à la constitution en limitant les compétences de la Cour constitutionnelle roumaine. La réponse a été oui pour la Cour elle-même, chargée de veiller sur la constitutionnalité des lois et règlements ; l’entorse à la constitution a été également soulignée par la Commission de Venise, appelée à l’aide par la Cour, puis par M. Barroso et Mme Merkel. Le gouvernement avait en effet décidé la limitation des pouvoirs de la Cour en prenant  une « ordonnance d’urgence », or  ce type de mesure ne peut pas s’appliquer au champ constitutionnel.

Par ailleurs, si l’ouverture de la procédure de suspension du Président de centre-droit Basescu voulue par la gauche est légale sur la forme, elle ne tient pas la route sur le fond.  La Cour constitutionnelle a d’ailleurs rejeté les 7 chefs d’accusation invoqués par la coalition USL pour justifier la mise en cause du président. Mais l’avis de la Cour n’est que consultatif et donc non contraignant. A Bucarest, une simple majorité de députés et de sénateurs peut décider d’une mise en cause du Président à partir d’un dossier fondé non sur des considérations juridiques objectives mais sur de simples griefs politiques.

Car le fond du problème est là. La signification de cette offensive de la gauche doit être recherchée vers les affaires judiciaires en cours qui mettent en difficulté ses dirigeants. L’actuel Premier ministre Victor Ponta a été accusé de plagiat en ce qui concerne la rédaction de sa thèse universitaire et un ancien premier ministre de gauche, Adrian Nastase, vient d’être condamné pour corruption. De plus, plusieurs ministres fraîchement désignés par Ponta n’ont pu prendre leurs fonctions en raison de mensonges liés à l’obtention de leurs diplômes. Ces affaires, et aussi la crainte, sans doute, que d’autres révélations et scandales ne viennent ternir l’image d’une gauche en phase de reconquête, expliquent probablement cette prise d’assaut de la Présidence et cette volonté de maîtriser tous les leviers de pouvoir, notamment  ceux de la justice.

Pour l’Europe, les dossiers hongrois et roumains, bien que de nature juridique différente, se rejoignent sur les bords du Danube pour poser la même question : quel est le rapport au droit des classes politiques de certains pays d’Europe orientale aux héritages historiques particulièrement lourds ? A l’Est, en effet, s’aventurer sur le terrain constitutionnel ne signifie pas pour certaines forces consolider l’Etat de droit mais plutôt continuer le combat politique par d’autres moyens.  A une division Nord/Sud sur le plan financier, l’Europe n’avait pas besoin en ce moment d’ajouter un clivage Est/Ouest en termes de culture politique.

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