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La Fed attend entre 2 et 2.3% de croissance en 2013 et entre 2.9 et 3% en 2014.
La Fed attend entre 2 et 2.3% de croissance en 2013 et entre 2.9 et 3% en 2014.
©Educol

Face cachée

Les marchés se sont réjouis de l'annonce de la Fed, qui va continuer son programme de création monétaire.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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La dramaturgie avait démarré au printemps dernier. Ben Bernanke, à deux reprises, avait indiqué l'intention de la Fed de réduire ses achats d'actifs financiers tout en maintenant ses taux d'intérêt au niveau de (0-0,25%) encore un bon moment. Les membres du comité de politique monétaire (FOMC) n'envisageaient pas de changement de ses taux avant 2015.

Afin de calibrer les anticipations des investisseurs le président de la Fed avait indiqué que le changement dans le profil des achats débuterait à l'automne 2013, que ses achats s'arrêteraient lorsque le taux de chômage serait de 7% et enfin que le comité de politique monétaire n'envisagerait pas un changement taux d'intérêt à la hausse avant que le taux de chômage n'ait convergé vers le seuil de 6,5% et que le taux d'inflation anticipé soit supérieur de 0.5% à la cible de 2% définie par la Fed. Bernanke ajoutait aussi que le montant des achats d'actifs était dépendant de la conjoncture et que la Fed pouvait rebrousser chemin sans se renier. La raison de ce changement était le fait que la Fed percevait une économie pour laquelle le risque de baisse de l'activité était limité et qu'en conséquence il devenait opportun d'imaginer la sortie d'une politique monétaire trop accommodante.

Au regard de ces éléments les économistes ont effectivement imaginé le démarrage du processus en septembre puisque cela correspondait à la publication de nouvelles prévisions et parce que la réunion était suivie d'une conférence de presse ayant la vertu d'expliquer la nouvelle stratégie. La réunion suivante avec les mêmes caractéristiques était celle de décembre. Le choix s'est porté sur septembre car en décembre le taux de chômage aurait pu facilement être très proche de 7% obligeant la Fed à réduire très vite sa politique d'achats d'actifs. Cette précipitation aurait alors eu des effets forts sur les marchés

De ce cadre et en raison de données macroéconomiques très moyennes il était envisagé une réduction des achats de 10 à 15 Mds plutôt sur des Tbonds mais sans préjuger de ce qui serait fait par la suite. Le scénario n'a finalement pas été celui-là.

La banque centrale américaine, à l'issue de sa réunion des 17 et 18 septembre, a indiqué qu'elle maintenant toutes les composantes de sa politique monétaire accommodante. Les taux d'intérêt de la Fed resteraient très bas tant que le taux de chômage se maintenait au-dessus de 6.5% et que le risque de hausse trop forte de l'inflation était réduit. Le point fort dans le communiqué est que le profil des achats d'actifs financiers n'était pas modifié. En d'autres termes la banque centrale américaine continue selon les mêmes modalités qu'auparavant.

Il y a deux raisons majeures pour expliquer cette décision

1 – Les données macroéconomiques ont été moins robustes que celles qui étaient attendues par le Fed et que Ben Bernanke avait en tête lors de la conférence de presse du mois de juin. Les chiffres sur le marché du travail n'ont pas eu l'allure attendue. Cela traduit aussi le fait que l'économie américaine n'a qu'une relativement faible autonomie de croissance et qu'elle n'est pas capable de croitre de façon endogène. Le constat de la Fed est terrible car il suggère qu'après 5 ans de politiques économiques accommodantes (sauf depuis mars sur la politique budgétaire) l'économie américaine n'est pas capable de rebondir et d'accélérer de façon autonome.

2 – La combinaison d'une politique budgétaire plus restrictive (notamment depuis mars dernier) et de conditions financières plus contraignantes du fait de la hausse rapide des taux d'intérêt a fait peser un risque sur la croissance américaine. Bernanke semble regretter cette situation alors qu'il en a été en partie responsable. En effet en indiquant qu'il modifierait la politique monétaire il a altéré les anticipations des investisseurs (attentes de taux d'intérêt de court terme plus élevés dans le futur) et poussé à la hausse les taux d'intérêt de long terme.

Cette combinaison n'est pas sans rappeler ce qui s'était passé en 1937/1938 lorsque considérant que la situation était redevenue normale le Trésor et la Fed avaient souhaité normaliser leurs stratégies respectives et cela s'était alors traduit par un ralentissement rapide de la croissance. Il n'est pas certain que l'on en était loin. De ce point de vue le retour en arrière de la Fed n'est pas négatif.

Ces deux sources d'incertitude ont amené la Fed à la prudence repoussant le moment de changer le profil de sa politique monétaire. Mais Bernanke n'a pas fermé la porte à une stratégie de réduction des achats. Il a aussi indiqué qu'une telle opération pourrait s'opérer sans qu'il y ait de conférence de presse calée par avance. La Fed pourrait rapidement mettre en œuvre une telle opération de communication. Le ralentissement des achats peut donc désormais intervenir à n'importe quelle réunion. Peut-être dès octobre si les conditions économiques s'y prêtent. En tout cas il espère que cela puisse se passer avant la fin de l'année. Ben Bernanke a aussi indiqué que le taux de chômage de 7% qui indiquait la fin des achats d'actifs n'avait plus cette propriété. La Fed se donne ainsi des marges de manœuvre pour gérer le Quantitative Easing (programme de planche à billet, ndlr) comme elle le souhaite sans être contrainte par des engagements excessifs.

Sur ce point d'ailleurs et même si le seuil d'un taux de chômage à 6.5% a été réaffirmé on peut s'interroger sur le maintien de celui-ci pour que la Fed commence à réfléchir à une augmentation les taux d'intérêt. Pourquoi se lier les mains?

Sur un autre plan les nouvelles prévisions qui ont été publiées ont été révisées à la baisse. Elles intègrent désormais l'année 2016 qui est devenu l'année de référence puisque Bernanke a indiqué que d'ici là la situation conjoncturelle allait être contrainte.

C'est à partir de cette année 2016 que les taux d'intérêt commencent à remonter significativement. En d'autres termes 12 membres du comité de politique monétaire sur 17 considèrent que les taux de la Fed changeront à la hausse en 2015 mais que le taux des fed funds ne s'établirait qu'à 1%. Deux membres pensent que c'est en 2016 que le premier changement de taux d'intérêt doit s'effectuer. Le taux des fed funds est alors attendu à 2% en moyenne en 2016. Ce qui est faible malgré tout puisque le taux perçu comme normal, par les membres du comité de politique monétaire, est de 4%. Pour compléter ce volet des prévisions de taux, trois membres considèrent qu'il est souhaitable de les remonter dès 2014. Le taux des fed funds attendu en moyenne sur 2013 et 2014 sur les niveaux observé récemment soit un peu au-dessus de 0.1%.

Concernant les prévisions de croissance, la Fed attend entre 2 et 2.3% de croissance en 2013 et entre 2.9 et 3% en 2014. Ces chiffres sont encore terriblement optimistes puisque l'acquis pour 2013 à la fin du premier semestre est de seulement 1.2%. La croissance attendue pour les deux derniers trimestres de 2013 serait de 1.4% (soit 5.7% en taux annualisé) pour atteindre 2.25% (milieu de la fourchette donnée ci-dessus). C'est surement encore trop optimiste.

En revanche le taux de chômage est légèrement revu à la baisse puisque la fourchette attendue pour 2013 est de 7.1 – 7.3% contre 7.2-7.3% attendus en juin dernier. Pareil pour 2014 où la fourchette passe de 6.5 à 6.8% en lors des prévisions de juin à 6.4 à 6.8% en septembre. Un des points d'interrogations qu'il y avait en juin portait sur la nécessité de changer de stratégie monétaire alors que le taux d'inflation était bien inférieur aux attentes de long terme fixées à 2%. La révision des prévisions indique un taux d'inflation plus faible en 2014 (fourchette de 1.3 à 1.8% sous le seuil préféré de la Fed de 2%) que lors de la projection de juin. Compte tenu de ces anticipations d'inflation, même si le taux de chômage converge vers le seuil de 6.5% il n'y aura pas de hausse des taux d'intérêt. Dans son propos introductif Ben Bernanke indique que la remontée des taux de la Fed au regard des prévisions actuelles qu'elle a publié se fera à un taux de chômage bien inférieur à 6.5%.

En d'autres termes la Fed réduit ses prévisions de croissance mais aussi ses prévisions d'inflation. Il n'est pas sûr que l'on puisse s'attendre à une baisse du chômage pour de bonnes raisons. Celui-ci pourra reculer comme il le fait actuellement parce que les gens sortent du marché du travail mais pas par une hausse significative du taux d'emploi. Au regard de ses éléments il est peu probable que la banque centrale se précipite pour indiquer à nouveau un changement de sa stratégie. Même si Bernanke a indiqué son souhait de commencer à réduire ses achats d'actifs avant la fin de l'année, la probabilité en semble limitée.

Finalement la Fed préoccupée par l'allure de la croissance économique maintient ses stimulants monétaires. Cela se traduira par un retour des taux d'intérêt vers des niveaux inférieurs à celui de 3% frôlé ces derniers jours. A court terme cela pourra aussi rassurer les marchés émergents pour lesquels les sorties de capitaux ne seront pas aussi marquées. L'incertitude qu'a laissé planer Bernanke ne devrait pas inciter les investisseurs à repartir très vite sur les émergents mais ceux qui y sont encore n'auront plus forcément la même urgence à partir. Notons aussi que les déséquilibres mis à jour récemment au sein de nombreux pays émergents ne seront pas résolus spontanément par ce changement de la Fed. Cela sera toujours un facteur discriminant.

Cependant on revient à la première question qui est celle de la croissance. Finalement la Fed déçue par une croissance économique trop réduite ne souhaite pas prendre le risque de la contraindre davantage. Le message économique est préoccupant puisque l'économie mondiale se cherche toujours un leader. Globalement cette décision de la Fed indique que l'économie mondiale ne va pas retrouver très vite une trajectoire robuste et satisfaisante. Les velléités de reprise en Europe pourraient être affectées. Ce sera le facteur à regarder au cours des prochaines semaines. Ce constat et l'absence d'inflation va faire revenir les taux d'intérêt plus bas tant aux Etats-Unis qu'en Europe. Dès lors l'euphorie constatée depuis hier soir sur les marchés boursiers et reflétant des arbitrages pourraient être furtive en raison d'une activité moins flamboyante qu'attendue.

Finalement la question qui reste est celle de la raison pour laquelle la Fed s'est emballée au printemps dernier ? Est-ce un optimisme excessif, simplement un coup de communication ou un baroud d'honneur de Bernanke qui espérait avoir fini le travail sur la crise avant de prendre sa retraite? La question reste posée mais il y a surement un peu des trois. C'est une vraie expérience grandeur nature de l'impact des propos de la Fed mais à quel coût !

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