La question du genre et de la famille telle que débattue par les musulmans de France<!-- --> | Atlantico.fr
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Les musulmans sont inquiets vis-à-vis de la place de la famille dans les évolutions de la société, selon le président de l'UOIF.
Les musulmans sont inquiets vis-à-vis de la place de la famille dans les évolutions de la société, selon le président de l'UOIF.
©REUTERS/Benoit Tessier

Pas touche à la famille

La rencontre annuelle des musulmans de France est placée sous le signe de la famille, thème principal de cette réunion confessionnelle. Un sujet épineux qui met en avant la structure et les valeurs familiales chères aux musulmans en France qui ne préfèrent pas que les sujets sociétaux s’immiscent dans cette sphère privée, garante d'un équilibre religieux.

Atlantico : La rencontre annuelle des musulmans de France se déroule sur quatre jours jusqu'au 21 avril. Le président de l’UOIF a précisé que les musulmans étaient inquiets vis-à-vis de la place de la famille dans les évolutions de la société, pas seulement en tant que musulmans mais avant tout en tant que citoyens. Quelles positions et solutions peuvent-ils apporter dans le débat sur la famille en France ? Et sur la question du genre ? 

Malek Chebel : La réunion qui se déroule au Bourget est avant tout une réunion confessionnelle et communautaire. Le débat sur la famille va exprimer le fait que la famille musulmane résiste au mariage pour tous. La notion de famille chez les musulmans n'intègre pas la dilution des genres. La dualité des genres, des sexes, homme d'un côté et femme de l'autre, reste la base principale de la formation d'une famille. C'est la raison pour laquelle les musulmans ont pris position avec les opposants du mariage pour tous.

La famille est la structure sociale la plus solide aux yeux de l'Islam. Elle est apaisante et surtout sécurisante, c'est par la famille que s'exprime l'intégration des musulmans dans le tissu français. La famille est un lignage, une affiliation et une identité. C'est le principe le plus universel qui puisse exister pour être dans un pays comme la France qui est laïque et multiconfessionnel et qui milite pour la prééminence du citoyen par rapport au croyant. La famille est le biais par lequel le musulman peut être citoyen en France et en même temps croyant dans la sphère privée.  

Mehdi Thomas Allal : Les principaux responsables religieux ont traditionnellement leur mot à dire quand aux grandes réformes sociétales, notamment celles qui touchent au droit de la famille. Il est néanmoins dommage de ne pas voir émerger chez trop de Musulmans de France une position modérée et progressiste sur les évolutions en cours, notamment parmi les organisations représentatives du culte musulman. A l’instar par exemple de certains courants de pensée chez les Catholiques, chez les Protestants ou chez les Juifs. Sur la question du genre, les Musulmans de France ont pourtant un rôle particulier à jouer, tant les droits des femmes sont en pleine phase d’ébullition au Maghreb, en Tunisie notamment. Parmi les démocrates, il existe une intelligentsia franco-musulmane qui dénonce le rôle mineur attribué à la femme dans la famille et qui se bat pour toujours plus d’égalité entre les sexes. Nous pouvons citer l'exemple des intellectuels du Manifeste des Libertés, le lobby musulman opposé à l'antisémitisme, à l'homophobie et à la misogynie. Ils organisent des colloques, des partenariats avec des pays du Maghreb et des associations.  

Amar Lasfar, président de l’Union des organisations islamiques de France, a déclaré ne pas avoir invité Farida Belghoul, initiatrice des journées de retrait de l’école (JRE). Cet acte marque-t-il une prise de position radicale des musulmans sur le débat  de la question du genre ? 

Malek Chebel : La famille musulmane est un peu inquiète au sujet du périmètre de son identité et elle a peur de la dilution de cette sphère familiale dans une sorte de culturalisme universaliste qui se cache derrière des revendications légitimes de républicanisme et de citoyenneté. L'inquiétude globale réside dans le fait que les musulmans ne veulent pas être les victimes ou les otages de cette idéologie qui les engloberait et qui diminuerait leur identité.  

Le fait de ne pas inviter Farida Belghoul est une combinaison ponctuelle, peut-être qu'ils ne souhaitent pas s'exposer sur ce terrain.

Mehdi Thomas Allal : C’est bien heureux ainsi. Farida Belghoul, avec la complicité de l’essayiste d’extrême-droite Alain Soral, est à l’origine de la propagation de rumeurs infamantes sur l’Education nationale concernant une supposée théorie du genre, qui, en réalité, n’existe pas ; certains responsables de droite n’hésitent pas à jeter de l’huile sur le feu en brandissant des manuels scolaires, ravivant ainsi la guerre de l’école… La notion de "théorie du genre" est galvaudée, le terme d'éducation à l'égalité est plus approprié. De nombreuses familles musulmanes sont inquiètes, allant jusqu’à retirer leurs enfants de l’école publique. Il existe une réticence, c'est certain. Ce n’est donc pas l’expression d’une position radicale que de ne pas l’avoir invitée à ces rencontres, mais, au contraire, une position modérée, en harmonie avec l’action des pouvoirs publics. Trop souvent, la question de l’école est l’occasion de clivages extrêmement tranchés, alors que nous avons besoin au contraire d’un consensus et d’une paix civile concernant l’éducation de nos enfants. Face aux organisations religieuses, des intellectuels travaillent sur l'éducation afin de concilier les valeurs musulmanes et la société française.

Toujours sur ce débat, Okacha Ben Ahmed, secrétaire général de l’organisation,  a déclaré être opposé aux JRE, est-ce le cas d'une majorité des musulmans en France ? Reste-t-il une tranche importante qui est favorable aux JRE ?

Malek Chebel : L'école est indispensable, elle reste la priorité absolue dans tous les cas de figure que ce soit au sujet du voile, de la viande halal…Pour la majorité des musulmans, l'école est un impératif catégorique, ils adhérent à l'école laïque et citoyenne, ouverte à tous. L'école, et plus particulièrement le savoir, sont une obligation religieuse. Néanmoins, il y a des cas qui ne veulent ne pas prendre ce chemin.

Mehdi Thomas Allal : Les familles musulmanes sont soucieuses de la qualité et de l’enseignement qui est professé à leurs enfants. Elles ont conscience du sens du devoir et des responsabilités des enseignants. C’est donc normal que seule une infime minorité reste favorable aux journées de retrait de l’école (JRE). Il est nécessaire que les familles musulmanes ne se conçoivent pas comme les laissées pour compte de l’école laïque et républicaine ; elles ont accepté l’interdiction des signes ostentatoires ; elles doivent tolérer le fait que l’école constitue également un lieu d’apprentissage des questions d’égalité entre les filles et les garçons, un moyen de lutter contre les stéréotypes de genre, un plus pour lutter contre les violences sexistes et racistes. Alors que des tentations communautaristes voient le jour, il faut rappeler sans cesse que l’école est un sanctuaire contre toutes les formes de dérives sectaires.

La thématique au cœur de cette rencontre est "la famille", quelles sont les valeurs sur lesquelles les musulmans de France souhaitent revenir ?

Malek Chebel : La famille est une valeur indépassable. Tout le reste est secondaire, ce qui compte c'est de ne pas toucher à la dimension harmonieuse de la famille. Elle incarne l'intime, le choix individuel, le sacré. Les familles musulmanes comme les familles chrétiennes résistent à ce nivellement de l'idéologie qui consiste à créer une seule et même famille universelle. Les musulmans veulent vivre leur religion selon la vision ancestrale de la famille avec un homme, une femme et des enfants.  

Mehdi Thomas Allal : Il est difficile de parler d’une seule position sur la question de la famille parmi les Musulmans de France. Il existe en réalité de profonds désaccords parmi ceux qui sont nés ici et ceux qui sont arrivés plus fraîchement, entre les athées et les croyants, entre les métis et les 100 % musulman, entre les Arabes et les Kabyles, sans parler des Harkis ou des Pieds Noirs, etc. Il existe par ailleurs autant d’avis sur la question que de couches sociales et de clivages politiques. Tous les Musulmans de France ne sont pas, par exemple, unanimement opposés au « mariage pour tous ». S’il existe une forme de consensus collectif, c’est peut-être sur la question du respect de la vie privée et familiale. Les Musulmans de France sont attachés à un principe de non-ingérence au sein de la sphère privée, qui peut rester ainsi la sphère de l’expression des particularismes et des convictions. La tendance qui se dégage est "pas touche à la famille".

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