La preuve par la femme au téléphone rose : qui sont ceux qui n’ont plus peur de s'afficher aux côtés du FN ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Coucou, je suis là
Coucou, je suis là
©capture d'écran/TF1

A découvert

De plus en plus de militants ne cachent plus leurs opinions politiques d'extrême droite. La stratégie de dédiabolisation du FN a-t-elle finalement permis au parti d'être aujourd'hui socialement accepté ?

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

Voir la bio »

Atlantico : Hier pendant le duplex de Marion Maréchal Le Pen sur TF1, on pouvait voir une jeune fille, téléphone rose vissé à l'oreille, faire coucou à la caméra, cette scène ne montrerait-elle pas que le FN est passé d'un parti sulfureux aux résultats électoraux marginaux à un parti populaire capable de faire trembler les autres grands partis ?

Arnaud Mercier : Attention le FN attire depuis déjà un bon moment des jeunes, notamment de jeunes garçons en milieu urbain. Et le côté "je fais coucou à la caméra" derrière une personnalité du FN n'est pas complètement inédit, on en a vu en le 21 avril 2002. Ceci étant dit, Marine Le Pen a bien suivi une stratégie de rupture relative par rapport à la ligne de son père. Son père a toujours voulu être un trublion de la politique. Il a toujours cherché à troubler le jeu politique en s'exprimant par des phrases provocatrices et des propos radicaux. Sa posture était la suivante : peu importe de prendre le pouvoir, il est déjà bien d’être faiseur ou défaiseur de roi et avoir un pouvoir de nuisance sur la classe politique en général et sur les candidats de la droite parlementaire en particulier. C'était là un point de discorde déjà en 1998, lorsque Bruno Mégret a fait scission du Front National, car il préconisait le choix stratégique de la gouvernance, de faire en sorte de pouvoir gouverner un jour ou l'autre, ce qui passait par des alliances avec la droite parlementaire donc par une édulcoration du discours, même si Bruno Mégret était un pur idéologue de l’extrême-droite de par sa formation intellectuelle.

On peut dire que Marine Le Pen a commencé  à réaliser un "Aggiornamento" politique sur le modèle de qu'à fait Gianfranco Fini au MSI (Movimento sociale italiano), un mouvement qui se revendiquait néo-fasciste à l’origine (la petite-fille du Duce était même active dans le parti) et qu'il a transformé en "Alliance Nationale", c'est-à-dire en une droite nationale en rupture avec l'idéologique de l'Italie fasciste.

Marine Le Pen fait elle aussi ce travail d'"Aggiornamento" politique, c’est-à-dire qu'elle rompt avec les aspects les plus sulfureux de son père, pour jouer une autre carte, celle de la crédibilité et de l'acceptabilité sociale, cherchant à gommer ainsi les aspects néfastes pour l’image de marque du parti. Ceci amène d'ailleurs le parti à punir sévèrement des candidats qui auraient dérapé publiquement. Il y a désormais une volonté de chasser les écarts trop importants à une norme de conduite, et qui nuiraient à cet effort de crédibilité. Songeons à l’exclusion récente d’une candidate auteur de propos raciste à l’encontre de Mme Taubira sur sa page Facebook. Et cet "Aggiornamento" est aussi idéologique, ce qui se voit dans les thématiques économiques. Car Marine Le Pen assume pleinement une posture beaucoup plus sociale que libérale. Il y a eu un véritable tournant idéologique et programmatique en matière de politique économique, par rapport à la ligne très libérale que préconisait jadis Jean-Marie Le Pen (notamment en 1986). Le discours est aujourd'hui ultra social et l'on retrouve même parfois des ressemblances étranges avec celui de Jean-Luc Mélenchon, notamment sur l'Europe, la sortie de l’Euro.

Tout ceci mis bout à bout aide le FN à trouver une nouvelle base sociale.

Peut-on parler aujourd'hui d'un parti socialement acceptable et socialement accepté ? Comment y sont-ils parvenus ?

Socialement acceptable il ne m'appartient pas d'en juger, mais il est manifestement un parti qui est en train d'être de plus en plus accepté. Pourquoi ? Parce qu'on voit bien que le FN a réussi à capter à lui des profils nouveaux. Par exemple, prenons le cas typique des femmes. Pendant très longtemps le FN a eu plus de difficultés à séduire les électrices, notamment parce qu'elles trouvaient dans le ton de Jean-Marie Le Pen trop de violence et de postures extrémistes. La politologue Nonna Mayer parlait dans son livre Ces Français qui votent Le Pen (Flammarion, 2002) de "l’exception féminine". La différence homme/femme s’est progressivement estompée et le fait aujourd’hui que Marine Le Pen soit une femme et que son langage soit plus édulcoré, incluant un discours plus social, plus populaire et protecteur, fait que plus de femmes votent aujourd'hui pour le FN. À la présidentielle de 1995, le vote Le Pen atteignait 17% chez les hommes et 11,5% pour les femmes, contre 20 et 16% en 2012.

En quoi la dédiabolisation du FN a-t-elle permis d'attirer de nouveaux militants, plus jeunes et à l'image plus lisse ?

Il est sûr que la capacité à drainer des militants est directement indexée sur l'image d'acceptabilité sociale et politique du mouvement. Il y a donc une possibilité plus grande aujourd'hui d'attirer des militants de tous bords, des jeunes, des femmes, de nouveaux profils, notamment plus ancrés dans les classes populaires. On l’a vu avec des figures syndicalistes qui ont rejoint le FN et ce de façon fort médiatisée, comme cet ancien de la CGT arrivé en tête à l’élection municipale à Hayange, avec des chances de pouvoir être élu dimanche prochain.

Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’existence désormais d’une porosité entre l'UMP et le FN, du point de vue des électeurs et donc parfois aussi de militants. La stratégie qui a été inaugurée par Nicolas Sarkozy de vouloir aller chercher des électeurs du FN a amené l'UMP à prendre des positions parfois plus dures, plus controversées sur des thématiques chères au FN (le cas emblématique fut la création du ministère de l’intégration et de l’identité nationale), et si cela a permis en 2007 de siphonner l’électorat du FN, certains militants UMP, déculpabilisés se sont retrouvés déçus que les choses n'aillent pas plus loin encore et se sont alors tournés vers le FN. De la même façon, certains nouveaux adhérents de l’UMP ont commencé par militer au FN. Ce phénomène explique aussi qu’on retrouve des profils nouveaux avec expérience militante préalable.

Les sympathisants FN assument-ils aujourd'hui plus qu'avant leur préférence politique ? Et qu'est-ce qui l'explique ?

On voit bien avec les derniers résultats électoraux et les erreurs d’appréciation contenues dans certains sondages d’intention de votes (notamment dans le Sud-Est de la France), qu’une partie de l’électorat hésite encore à affirmer à un enquêteur (qu’il ne connait pourtant pas) sa proximité avec le FN. L’effet de culpabilisation morale et politique opère encore pour l’instant. Mais cette épée de Damoclès morale ne pèse plus aussi lourd. D’année en année, on voit une partie des sondés oser dire qu’ils partagent des valeurs ou des idées communes avec le FN. Dans le tout récent baromètre TNS Sofrès sur l’image du Front National, 43% déclarent qu’il ne représente pas un danger pour la démocratie, alors qu’ils n’étaient que 19% à le dire en 1998.

Marine Le Pen rejetait il y a quelque temps le qualificatif d'extrême pour parler du Front National, en quoi cette stratégie a-t-elle été payante ?

Personne ne peut nier que le FN ait été fondé pour réunir tous les groupuscules de l'extrême droite, c'est constitutif de son ADN. Oui, le FN est à l'origine un parti d'extrême droite. Mais tout le combat que mène Marine Le Pen est d'affirmer haut et fort, "nous ne sommes plus cela". Elle réclame de ne plus porter ce stigmate, car dans la tradition française, l'extrême droite est liée à l'antisémitisme et au rejet de la démocratie et de la République. Sur plusieurs points, Marine Le Pen tient un discours qui l'autorise à dire qu'elle n'est plus d'extrême droite car elle ne partage plus une partie du logiciel de l'extrême droite française, notamment lorsqu'elle revendique la laïcité et l’attachement à la République, alors que l’extrême-droite ultra-catholique ou royaliste exécraient la "Ripoublique" et dénonçaient la laïcité comme une arme contre l’influence de l’Église catholique. Reste que le FN doit gérer les prises de position privées et parfois aussi publiques de militants ou sympathisants, en matière d'identité nationale et d'immigration, qui relèvent du racisme et de la xénophobie. Pour certains militants, le FN reste le parti de Jean-Marie Le Pen et de cette vieille extrême-droite. Il reste encore des "nostalgiques" de Vichy ou même du nazisme qui pensent que c'est une bonne idée d'aller au FN. Donc c'est au FN de se poser la question s’il veut devenir un parti comme les autres : pourquoi attire-t-il de ce type de profil ? Ne reste-t-il pas en son sein une part d'ambiguïté ?

Aussi, ce n'est pas tellement de revendiquer la perte du label "infâmant" d’extrême-droite qui sera payant. La vraie stratégie payante sera celle qui permettra de justifier par des preuves, que le FN n'est plus d'extrême droite.

D’ailleurs pour y aider, l'étape ultime de cet aggiornamento, serait le changement de nom. Cela a commencé avec l’ajout du Rassemblement Bleu Marine. Ce serait sans doute une étape de plus de se débarrasser des reliquats du passé contenus dans le nom Front national (même si c’est une "marque" politique identifiée) mais je pense que c'est impossible tant que Jean-Marie Le Pen est vivant. La symbolique est trop forte, cela reviendrait à "tuer le père" !

Jusqu'où cette stratégie de dédiabolisation peut-elle aller ? Peut-elle être poussée à l'extrême et de nouveau hisser le parti au second tour des élections présidentielles de 2017 ?

Marine Le Pen et tous ceux qui la soutiennent sont dans une stratégie de longue haleine de conquête du pouvoir. Du coup, ils acceptent l'idée que les choses se feront petit à petit, et que pour cela, il faut structurer le parti, se faire un réseau de militants, avoir des élus locaux, acquérir de l’expérience militante et gestionnaire. Voilà pourquoi le parti se maintiendra dans les triangulaires, quitte à faire élire une liste de gauche, car il est hors de question pour eux de renoncer à des élus dans les conseils municipaux car ils pourront ainsi servir à mailler le territoire de réseaux militants, être des diffuseurs de la doctrine du FN, des relais de campagne lors des échéances nationales à venir. Le FN affiche des propositions pas toujours très réalistes économiquement, mais qui changent de l'ordinaire, qui sont en rupture avec les politiques conduites par l’UMP ou le PS. Et le parti souhaite continuer à capitaliser là-dessus. Pour Marine Le Pen l'idée est sûrement d'arriver au second tour en 2017, comme une étape pour faciliter ensuite une élection en 2022. Elle et son entourage proche sont entrés dans une course de fond. Les villes conquises en 2014 devraient être, selon eux, des "laboratoires" de la capacité à gouverner du FN, une étape de plus dans leur stratégie de crédibilité. Mais attention, le FN gagne des voix parce qu’il est une force protestataire qui peut dénoncer facilement l’impuissance des gouvernements successifs. Une fois aux manettes, il sera confronté au principe de réalité et devra à son tour se confronter au difficile exercice du pouvoir et donc risquer de décevoir à son tour, comme ce fut rapidement le cas dans des villes conquises en 1995. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !