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La presse américaine a-t-elle raison de considérer que la France s’est imposée comme le leader du monde libre ?
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Alors que les Français se battent encore au Mali, un site d'information américain a consacré sa une à notre pays. Trop d'éloges ?

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico : Le site d'information américain Daily Beast (ex-Newsweek) a consacré sa une à la France, en affirmant que cette dernière était le "leader du monde libre". Les interventions au Mali et en Libye seraient la preuve que notre pays demeure une force politique, militaire et morale essentielle quand il choisit de l'être. Et contrairement aux Etats-Unis, la France a encouragé l'instauration de démocraties depuis la Guerre froide. Alors que nous sommes englués dans la crise de la zone euro et critiqués pour notre incapacité à mener des réformes économiques, notre pays a-t-il encore les moyens d'avoir une politique étrangère reconnue à l'international ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Ce n’est pas une question de choix mais de nécessité. Toute unité politique évoluant sur la scène internationale doit conduire une politique étrangère vis-à-vis des autres unités politiques. La fonction première de l’Etat, en tant que forme politique, est d’assurer la concorde intérieure et la sécurité extérieure, ce qui nous ramène à ses tâches premières et principales : police et justice à l’intérieur, diplomatie et stratégie sur le plan extérieur. Ce sont les fonctions régaliennes. L’hypertrophie de l’appareil d’Etat dans le domaine économique et social, la priorité accordée par la sphère politico-médiatique aux questions dites sociétales, nous font perdre de vue l’essentiel.

Quant aux moyens économiques et financiers, nous les avons, en puissance du moins. La France est la cinquième ou sixième économie mondiale. Elle appartient au cercle des quelques grandes puissances qui ont su se maintenir, dans les temps longs de l’Histoire, au premier rang. Elle peut s’appuyer sur un puissant héritage diplomatique et militaire. Le problème réside dans notre système politico-économique et dans sa gestion au fil des décennies. Dans ce mixte de fiscalisme et de social-démocratie, l’Etat se vide de sa substance politique pour se transformer en une gigantesque administration redistributrice des sommes prélevées par le fisc et de celles levées sur les marchés financiers. Nous en périrons.

Le Welfare State a dévoré le Welfare State, la dette publique grossissant au fur et à mesure de la baisse de nos dépenses militaires. Leur part dans le produit national brut a été divisée par deux en vingt ans, ce qui met en jeu la capacité de la France à demeurer une puissance militaire de premier plan.  C’est un peu comme si le monde extérieur, avec ses risques et menaces, était traité comme une variable superfétatoire. Dans l’affaire malienne, qui est la toile de fond de l’article du Daily Beast,la communication gouvernementale joue sur l’ambiance « flotte petit drapeau » pour camper François Hollande en chef de guerre. Pourtant, c’est à l’aune des budgets et des capacités militaires, capacités maintenues et renouvelées, que l’on jaugera les intentions. Il est à craindre que le gouvernement raisonne plutôt en termes de marché politique et cherche à préserver ses clientèles électorales.

La France dispose du deuxième plus grand réseau d'ambassades dans le monde après les Etats-Unis, mais certains spécialistes affirment que notre pays perd de sa splendeur sur la scène internationale, notamment depuis la fin de la décolonisation. Les opérations militaires sont-elles un moyen de retrouver de la crédibilité à l'étranger ?

La France a perdu de sa puissance et de son prestige avec la défaite de mai-juin 1940 – elle est un « vainqueur in extremis » de la Deuxième Guerre mondiale-, et suite aux reclassements intervenus à l’issue de cette guerre. Commence alors le temps des « superpuissances » nommées ainsi par William T. R. Fox, professeur de politique étrangère à l’université Columbia ; c’est le titre d’un ouvrage qu’il publie en 1944. Dans cet ouvrage, les « superpuissances » en question incluent encore le Royaume-Uni. Mais si l’« Angleterre combattante » sort auréolée de sa victoire, les fondamentaux de la puissance britannique sont atteints.

Pour le Royaume-Uni comme pour la France, l’après-guerre ouvre sur la décolonisation et la disparition de leur empire respectif. Cela traduit et signifie tout à la fois une perte de centralité et de puissance. La remarque vaut pour l’ensemble du Vieux Continent. L’Europe est cette petite partie des terres émergées qui a exploré, découvert et conquis le monde. Cette grande entreprise s’achève à peine lorsque la Première Guerre mondiale est déclenchée : le cœur de l’Afrique n’est que tardivement conquis ;  les pôles nord et sud ne sont atteints qu’au début du XXe siècle.  Cette épopée se sera déroulée sur cinq siècles : en deux décennies, les empires sont liquidés. A-t-on véritablement pris la mesure de la chose et de ce qu’elle signifie? Toujours est-il que la problématique dépasse le seul cas de la France. 

La volonté et la capacité à maintenir un appareil diplomatique et militaire, pour persévérer comme sujet de l’Histoire, sont d’abord et avant tout une question de souveraineté. L’emploi des forces militaires est une possibilité destinée à relever les défis et menaces qui pèsent sur la collectivité humaine que le Politique a en charge (sa sécurité, ses intérêts, ses alliances, etc.). Une telle décision est lourde de conséquences et ne se prend pas pour renforcer sa crédibilité à l’étranger. Il s’agit de dissuader, de restaurer la dissuasion, de défendre, voire d’attaquer. Les sentiments inspirés à l’étranger par les choix politico-militaires opérés sont plus une retombée qu’une visée (sinon l’effet de terreur inhérent à la dissuasion et à l’emploi de la force armée).

Notre influence culturelle à l'étranger (cuisine, histoire...) appelée soft power, nous permet-elle de garder un poids en dehors de nos frontières, face à des mastodontes comme la Chine qui ont une économie de plus en plus solide, mais une culture qui peut être difficile à exporter, notamment à cause de la difficulté de la langue ?

Le concept de soft power a été élaboré par Joseph Nye dans le cadre des débats suscités aux Etats-Unis par l’ouvrage de Paul Kennedy sur la naissance et le déclin des grandes puissances et, subséquemment, sur la question du déclin américain. Ce débat date de la fin de la Guerre froide et la thématique du déclin a vite été remplacée par celle de la surpuissance américaine dans un « monde unipolaire » (« moment unipolaire » serait plus juste). Joseph Nye désigne ainsi les éléments non matériels de la puissance américaine, la capacité à influencer, voire séduire, et à forger un consensus international ralliant les uns et les autres. De fait, la puissance américaine se traduit par une forme d’hégémonie, avec le  consentement  des alliés qui y trouvent bien des avantages (ce qui n’empêche par l’hypercriticisme par ailleurs).

Pourtant, il ne faut pas exagérer la portée de la « puissance douce » des Etats-Unis. Dès que l’on arrive dans le « dur » et que les enjeux sont cruciaux, l’attraction que le style de vie américain peut susciter bute sur ses limites, même vis-à-vis de pays proches. Dès lors, c’est plutôt « business as usual ». En Europe, la pente naturelle a été de surestimer le soft power et de s’en emparer pour faire valoir les avantages comparatifs de l’Union européenne (UE) qui, de par la nature de ce système de coopération multiétatique et du peu d’appétence de ses membres pour la puissance, ne peut se transformer en puissance de plein exercice. La France fait exception à ce refus de la puissance mais elle voyait l’Europe comme un levier lui permettant  de rehausser sa position internationale. In fine, le soft power européen a joué sur les pays qui ont depuis intégré l’UE. Au-delà, il ne s’avère guère efficient – la Russie de Poutine est plus séduite par le modèle autoritaire chinois - et l’invocation du soft power fait désormais figure de discours autoréférentiel (l’UE parle à l’UE).

Dans le cas de la France, le rayonnement linguistique, les arts et les lettres auront été à l’origine d’une grande influence de par le passé. A la veille de la Première Guerre mondiale, le français était la langue de nombreuses cours en Europe, celle de la distinction et de la diplomatie. Versailles aura été reproduit à différentes échelles sur tout le continent et les écrivains français étaient lus dans le monde entier. Cependant, il  n’est pas assuré que ce rayonnement intellectuel et culturel débouchait sur une puissance effective accrue. Par ailleurs, parler de soft power pour désigner l’influence et le rayonnement de la France est une rupture de niveau et l’indice d’un déclin certain.  Le paradoxe réside en ce que le rayonnement et l’influence de la France reposaient sur l’universalité d’un modèle aristocratique battu en brèche par la massification et l’indifférenciation (sous couvert de droit à la différence !). Notre vision de la France est en décalage avec les faits et ce qu’elle-même est devenus. Quant à la Chine, il ne faut peut-être pas négliger l’intérêt suscité par le confucianisme et le taoïsme, l’ancienneté de son histoire, un certain nombre de pratiques comme le Feng Shui, le Tai Chi, le Qi Gong. Les Instituts Confucius jouent là-dessus et certains Occidentaux se réinventent ainsi une antiquité. Il est vrai que cet aspect des choses est largement contrebalancé par les effets de l’industrialisation à marche forcée ou encore de la répression des Tibétains sur l’image de la Chine.

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