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La première œuvre figurative de l’histoire vient d’être découverte. Elle date d’il y a 44 000 ans
©© Maxime Aubert et al. Nature

Art préhistorique

La grotte de Leang Bulu ’Sipong 4 au Sulawesi en Indonésie a récemment mis au jour un "panneau" d'art rupestre. Il vient de battre un record d'ancienneté, dans l'art figuratif, de la statuette allemande à tête de félin. Cette différence marque-t-elle une rupture dans l’histoire de l'art rupestre ou est-elle conforme aux hypothèses d'une partie des chercheurs ?

Jean-Pierre Bracco

Jean-Pierre Bracco

Jean-Pierre Bracco, professeur de Préhistoire à Aix-Marseille Université et chercheur au LAMPEA, Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique.

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Atlantico.fr : La grotte de Leang Bulu ’Sipong 4 (Sulawesi, Indonésie) a récemment mis au jour un "panneau" d'art rupestre. Il rafle le record d'ancienneté, dans l'art figuratif, de la statuette allemande à tête de félin. 

Cette différence de presque 4000 ans, le double de notre propre civilisation, marque-t-elle une rupture dans l’histoire de l'art rupestre ou est-elle conforme aux hypothèses d'une partie des chercheurs ? 

Jean-Pierre Bracco : Parler de rupture est peut-être un peu excessif mais c’est une découverte d’une grande importance qui confirme ce que suggérait une série d’indices accumulés depuis plusieurs années un peu partout dans le monde, en Europe, en Afrique et en Asie. Ce qui est extraordinaire, c’est que ces premières images figuratives, qui ont presque 50 000 ans, sont déjà très complexes. A Leang Bulu ’Sipong 4, mais aussi ailleurs dans le monde, les premiers dessins et peintures associent des humains, des animaux, des êtres fantastiques à la fois humains et animal, parfois des motifs géométriques… bref tout une diversité d’images qui peuvent, comme dans cette grotte indonésienne, être associées dans des scènes qui racontent une histoire. On est loin de l’idée d’une évolution linéaire de l’art avec des premières images qui seraient simples, pas très bien réalisées, puis qui évolueraient au fil du temps vers une grande maîtrise technique et des compositions élaborées, comme on l’a longtemps pensé. Ensuite, alors qu’il y encore 20 ans les préhistoriens pensaient que les premières images étaient apparues en Europe, cette découverte confirme que c’était simplement le reflet de recherches plus intenses chez nous. En fait, partout où notre espèce est présente, elle a produit des images, des représentations graphiques qui illustrent les mythes et les conceptions du monde de ceux qui les réalisent. Aujourd’hui, c’est en Indonésie que les datations sont les plus reculées mais nous ne sommes pas à l’abri d’une prochaine découverte encore plus ancienne ailleurs. En réalité il ne s’agit pas de faire un concours de qui aura les plus vielles images ! Ce qu’il est important de comprendre, c’est que représenter comment on pense le monde est universel et que ces représentations sont immédiatement complexes. En quelque sorte, il n’y a pas d’enfance de l’Art. Et n’oublions pas que ces images figuratives ont été précédées d’autres graphismes puisque des bijoux, des parures, réalisés à partir de coquillages, sont connus depuis environ 1000 000 ans en Afrique et que des dessins constitués de motifs géométriques et datés de plus de 75 000 ans ont été retrouvés dans la grotte sud-africaine de Blombos.

Cette découverte aura-t-elle un impact sur la signification de l'art rupestre divisant les chercheurs entre interprétation "eschatologique" et interprétation plus "ludique" ?

Non, ce débat n’a plus vraiment cours même si l’on trouvera toujours quelques scientifiques pour soutenir que ces images préhistoriques témoignent simplement de l’envie de dessiner ou de peindre. Certes, elles sont très anciennes et difficiles à interpréter et quand on tente de les comprendre, on a plus d’interrogations que de certitudes ! Mais au milieu de toutes ces questions, il y a quand même quelques convictions. En particulier, on observe partout dans le monde que seuls certains animaux sont représentés, toujours les mêmes pour une culture donnée. Pour les humains, il y a toujours des conventions très fortes qui encadrent la manière de les représenter. C’est d’ailleurs le cas dans cette grotte indonésienne où tous les humains sont représentés comme des créatures mi-humaines, mi-animales. Quand des figures géométriques sont présentes, ce sont certaines formes qui vont être représentées, pas toutes. Tous ces éléments indiquent que ces images prennent place dans un système très organisé, qu’elles sont liées à des mythes, à des représentations du monde. Si elles avaient une fonction décorative ou ludique, pourquoi seuls certains animaux seraient représentés, pourquoi les végétaux seraient absents, pourquoi certaines conventions seraient-elles si strictement respectées, pourquoi ces images seraient-elles placées toujours dans les mêmes endroits ? 

Quelles informations sur l'évolution des techniques artistiques et artisanales nous apporte cette grotte ?

Il est encore un peu tôt pour répondre à votre question car les collègues indonésiens et australiens qui viennent de publier cette découverte n’ont pour l’instant décrit que les motifs, les scènes que ces motifs composent et bien sûr les dates qui en font la grotte avec les plus anciennes images figuratives connues. Mais les photos qui accompagnent l’article montrent tout le talent et les compétences de ceux qui ont réalisé ces peintures. S’il ne semble n’y avoir qu’une seule couleur, probablement de l’ocre, on observe par exemple que les contours sont tracés d’une main très sûre et qu’il y a tout un jeu graphique entre des aplats de couleur et des parties remplies de lignes striées ou pointillées qui donnent de l’épaisseur et du volume aux représentations. Cette grotte de Leang Bulu’ Sipong 4 nous montrent donc les plus vielles images connues et ces images témoignent de savoir-faire et de compétences déjà très maîtrisées et d’un sens esthétique aiguisé ! 

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