La préfète limogée, les élus locaux et la valse des maux bien français<!-- --> | Atlantico.fr
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Marie Lajus est un haut fonctionnaire français, nommée préfète d'Indre-et-Loire en 2020.
Marie Lajus est un haut fonctionnaire français, nommée préfète d'Indre-et-Loire en 2020.
©PASCAL PAVANI / AFP

Conflit politique

Dans une tribune au « Monde », une cinquantaine d’acteurs s’insurgent contre la décision d’évincer la préfète d’Indre-et-Loire qui aurait gêné des élus locaux en voulant faire primer le droit de l’urbanisme dans une affaire immobilière.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : Le 7 décembre, en conseil des ministres, un décret démettant de ses fonctions la préfète d’Indre-et-Loire, Marie Lajus, a été signé. Dans Le Canard Enchaîné du 14 décembre puis dans La Charente Libre, on apprend que la préfète aurait été limogée pour avoir fait respecter le droit de l’urbanisme dans une affaire de projet immobilier. Que s’est-il passé exactement ? 

Didier Maus : Dans la mesure où un décret mettant fin aux fonctions d’un préfet n’a pas besoin d’être motivé, il est impossible d’en connaître avec certitude les justifications. Il peut s’agir d’un comportement personnel, d’une faute professionnelle, d’un désaccord politique avec le gouvernement ou d’un important conflit avec des élus du département. Par nature ces nominations font partie des postes à la discrétion du gouvernement. Cela signifie que le titulaire est nommé ou démis sans qu’il puisse bénéficier des procédures ou garanties habituelles existant dans la fonction publique. C’est également le cas pour les ambassadeurs, les directeurs d’administration centrale ou quelques autres dizaines de postes. La liste n’est pas déterminée avec précision, mais les nominations liées à la mise en œuvre directe de l’action gouvernementale en font automatiquement partie.

Dans le cas de Mme Lajus, les articles de presse et une pétition laissent penser qu’il s’agit d’un désaccord entre la représentante de l’État et un projet d’aménagement local. Une telle situation est plausible. Il appartient au préfet de mener un dialogue régulier avec les élus locaux et de faire respecter les règles d’urbanisme en vigueur, quitte à ce qu’elles soient modifiées, si le besoin s’en fait sentir, et que les modalités de ces évolutions soient respectées. Parmi les missions du préfet, il y a celle de veiller au respect des lois et règlements en vigueur.

S'agit-il d'un vrai scandale, d’une injustice ? Comment expliquer qu’une préfète qui voulait faire respecter le droit ait été démise de ses fonctions ? 

Les conflits entre les promoteurs d’un projet et les règles d’urbanisme sont fréquents, qu’il s’agisse de la protection des sites et monuments historiques, de la préservation de l’environnement, des règles relatives à la sécurité ou tout simplement de l’importance des constructions envisagées. Il arrive assez souvent qu’il y ait une discussion sur le bilan « avantages/coûts » d’une opération prévue. C’est pour cette raison que dans certains espaces, comme dans le périmètre des monuments historiques, les contraintes sont renforcées et que des avis ou autorisations spécifiques sont obligatoires. Il n’en demeure pas moins que la discussion n’est jamais close. Les controverses sur la modernité architecturale ou, au contraire, sa conformité à un bâti traditionnel donnent lieu à d’importants contentieux. Des projets comme les colonnes de Buren au Palais Royal ou la Pyramide du Louvre en sont de parfaites illustrations.

Le rôle de la préfète n’est pas d’avoir une opinion personnelle, mais de rappeler qu’il existe des procédures légales de modification d’un plan local d’urbanisme. La transformation d’un terrain non constructible en terrain constructible n’est pas, en elle-même, interdite, mais cela prend du temps et exige en particulier une enquête publique au cours de laquelle  la diversité des opinions sera prise en compte. En fin de parcours, le tribunal administratif peut être conduit à trancher le conflit juridique, dont l’aspect économique, esthétique ou patrimonial fait nécessairement partie.

Sait-on qui est responsable du limogeage de cette préfète ? Est-ce révélateur des enjeux de cette affaire ?

Il est classique que dans un dossier qui comporte, en même temps, un enjeu urbanistique, un enjeu patrimonial privé et un enjeu économique, les avis divergent. Tous les élus et tous les responsables territoriaux sont, un jour ou l’autre, confrontés à une situation de ce type. La lecture régulière de la presse locale en témoigne. Il convient également de tenir compte d’un rapport de forces politique ou social. De ce point de vue, le projet du château de La Vallière est un parfait condensé des tensions rencontrées, y compris en raison des liens amoureux entre Madame de La Vallière et Louis XIV. 

Dans de telles situations, l’État devrait être en mesure de faire respecter le droit pour empêcher arrangements et corruption. D’un autre côté, celui-ci semble trop rigide et révèle son incapacité à comprendre le rôle des élus locaux. En quoi ce double enjeu est-il révélateur d’un ratage de la décentralisation ?

Il appartient naturellement au préfet, conformément à l’article 72 de la Constitution, de faire respecter « les intérêts nationaux » et de mettre en œuvre le « contrôle administratif » et « le respect des lois ». Chacun sait que ces obligations, si elles sont exercées sans discernement, donnent naissance à des conflits dont la dimension purement politique prend rapidement le dessus. Les élus locaux sont-ils moins sensibles à la dimension culturelle, historique ou environnementale d’un projet que les représentants de l’État ? Le débat n’est pas nouveau. Il demeurera éternel. Il est certain que parmi les demandes d’un renforcement de la décentralisation figure tout ce qui concerne l’aménagement de l’espace. Les élus locaux, départementaux et régionaux supportent de plus en plus mal que l’État s’oppose à certains de leurs projets. Ils estiment qu’ils ont les meilleurs juges de l’intérêt général de la collectivité dont ils ont la charge. Dans un pays où la tradition centralisatrice demeure très forte, à la différence de l’Allemagne ou des États-Unis, le pouvoir local demeure soumis à un encadrement important, parfois pesant, parfois positif. Un renforcement de la décentralisation suppose tout à la fois des modifications juridiques et financières, mais surtout un changement profond d’état d’esprit et l’acceptation d’un rôle plus important des médiateurs, en particulier des tribunaux administratifs.

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