La politique d’après : quand les modes de vie influencent le vote<!-- --> | Atlantico.fr
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Un électeur muni de sa carte dans un bureau de vote dans le nord de la France, pour le premier tour de l'élection régionale française, le 20 juin 2021.
Un électeur muni de sa carte dans un bureau de vote dans le nord de la France, pour le premier tour de l'élection régionale française, le 20 juin 2021.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bonnes feuilles

Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely publient « La France sous nos yeux. Economie, paysages, nouveaux modes de vie » aux éditions du Seuil. Près d'un demi-siècle après l'achèvement des Trente glorieuses, nous continuons à parler de la France comme si elle venait d'en sortir. Pourtant, depuis le milieu des années 1980, notre société s'est métamorphosée en profondeur, entrant pleinement dans l'univers des services, de la mobilité, de la consommation, de l'image et des loisirs. Extrait 2/2.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Jean-Laurent Cassely

Jean-Laurent Cassely

Jean-Laurent Cassely est journaliste à Slate.fr, où il chronique la vie et l’œuvre des classes supérieures urbaines. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et guides pratiques sur la survie en milieu urbain.

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La carte politique de la France d’après porte les traces et les stigmates de la désindustrialisation et de la nouvelle hiérarchie des territoires, indexée sur leur inégale désirabilité touristique et résidentielle. La géographie électorale alsacienne en offre une bonne illustration. Lors des élections européennes de 2019, les deux principes forces politiques, LREM et le RN, se sont ainsi partagé l’espace alsacien selon des logiques précises, qui renvoient à cette nouvelle géographie économique. LREM surclassait nettement le RN dans les territoires les plus valorisés : les principales agglomérations alsaciennes (et notamment la métropole strasbourgeoise) mais également les zones touristiques, la route des vins d’Alsace apparaissant ainsi en jaune et orangé sur la carte suivante. A l’inverse, dès que l’on quittait ce périmètre désirable et que l’on pénétrait dans l’Alsace backstage, composée des espaces ruraux et périurbains non viticoles et non touristiques, le RN prenait nettement l’ascendant.

Elections européennes de 2019 : le rapport de force RN/LREM en Alsace

La carte des zones de force frontistes donne également à voir les différentes phases de la désindustrialisation qu’a connues l’Alsace. Dans les hautes vallées de la Bruche et de la Thur, hauts lieux de l’industrie textile alsacienne jadis implantée sur les contreforts vosgiens, la plupart des sites de production ont fermé dans les années 1970 à 1990, comme dans les vallées du département voisin des Vosges. Ces territoires ne s’en sont jamais remis, et le RN y prospère. C’est le cas également, dans le Haut-Rhin, de la plupart des communes du bassin potassique, où l’extraction qui faisait vivre des milliers de mineurs et qui avait structuré une sociabilité particulière a cessé définitivement au début des années 2000. Plus récemment, la filière nucléaire a, à son tour, été frappée. L’annonce de la fermeture de la centrale de Fessenheim est venue doper le vote frontiste depuis plusieurs scrutins dans les communes avoisinantes, qui vivaient de cette mono-industrie de l’atome. Alors que jusqu’au début des années 1980, la géographie électorale alsacienne demeurait marquée par le vieux clivage protestants/catholiques, la structuration du paysage politique est désormais tout autre dans l’Alsace d’après.

2. Les traductions électorales de la nouvelle stratification éducative

Parallèlement à l’avènement d’une économie post-industrielle, nous savons désormais que la modification de la stratification éducative induit l’une des transformations majeures de notre structure sociale. Alors que ne pas disposer du baccalauréat était la norme (au sens statistique du terme) dans la France des années 1980, le non-bachelier est aujourd’hui minoritaire dans sa génération. De la même façon, avoir le bac dans les années 1980 constituait un marqueur socioculturel valorisant, tandis que c’est souvent aujourd’hui le minimum requis. Sur le marché du travail, les non-bacheliers et les simples bacheliers avaient accès à de nombreux emplois il y a une quarantaine d’années, alors que l’univers des possibles s’est considérablement rétréci aujourd’hui, ces populations étant cantonnées aux métiers les moins valorisés et les moins rémunérés. Or, bien entendu, la modification de la stratification éducative a également eu une traduction politique. C’est ainsi que la mutation de la structure de l’électorat du FN porte les marques de cette révolution éducative. Tout se passe en effet comme si le parti lepéniste avait progressivement capitalisé sur le ressentiment et le sentiment de relégation culturelle et sociale des publics les moins diplômés, à mesure que le niveau éducation moyen était rehaussé. A l’autre extrémité de la pyramide éducative, les plus diplômés continuent de jouir de situations professionnelles correctes ou confortables et incarnent le « sens de l’histoire ». Leur vision du monde devient hégémonique au sens gramscien du terme, quand celle des groupes les moins diplômés se trouve marginalisée.

1988-2021 : Evolution du score du FN/RN selon le niveau de diplôme des électeurs

Les plus diplômes ont, en outre, souvent évolué dans un bain culturel et idéologique qui valorise l’altérité, l’ouverte au monde et rejette les postures d’autorité. Plus longtemps immergés dans ce  bain culturel que ceux qui n’ont pas fait d’études supérieures, ils ont développé un rapport au monde qui les rend majoritairement imperméables au vote frontiste. De fait,  comme le montre le graphique ci-dessus, en un peu plus de trente ans, le vote en faveur des Le Pen n’a quasiment pas progressé au sein de la population de niveau supérieur à bac +2. La hausse a été modérée parmi les bac + 2, alors que le vote frontiste explosait parmi les bacheliers et les non-bacheliers, catégories perdantes de la nouvelle stratification éducative.

Si le RN a progressivement préempté une large partie des catégories les moins diplômées, les votes écologiste et macroniste émanent prioritairement des publics ayant suivi des études longues. Cet effet structurant de la nouvelle stratification éducative est encore amplifié par des effets de lieu.

A lire aussi : De la crise de 2008 au Covid-19 : la poursuite de la désindustrialisation

Extrait du livre de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, « La France sous nos yeux. Economie, paysages, nouveaux modes de vie », publié aux éditions du Seuil

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