"La peur du peuple. Histoire de la IIe République, 1848-1852" de Marie-Hélène Baylac : Cette éphémère IIe République dont certains des principes politiques sont les nôtres aujourd'hui. Un récit magistral et captivant<!-- --> | Atlantico.fr
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"La peur du peuple. Histoire de la IIe République, 1848-1852" de Marie-Hélène Beylac a été publié aux éditions Perrin.
"La peur du peuple. Histoire de la IIe République, 1848-1852" de Marie-Hélène Beylac a été publié aux éditions Perrin.
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"La peur du peuple. Histoire de la IIe République, 1848-1852" de Marie-Hélène Baylac a été publié aux éditions Perrin.

Anne-Marie Joire-Noulens pour Culture-Tops

Anne-Marie Joire-Noulens pour Culture-Tops

Anne-Marie Joire Noulens est chroniqueuse pour Culture-Tops. Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).  Culture-Tops a été créé en novembre 2013 par Jacques Paugam , journaliste et écrivain, et son fils, Gabriel Lecarpentier-Paugam.

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"La peur du peuple. Histoire de la IIe République, 1848-1852"

De Marie-Hélène Baylac

Perrin

Parution janvier 2022

429 pages

24 €

Notre recommandation : EXCELLENT 



THÈME

Des journées de février 1848 au coup d'Etat du 2 décembre 1851, la France paraît rejouer en accéléré l'histoire de la Grande Révolution. Après la chute de la monarchie de Juillet et l'instauration de la IIe République, les divisions et l'instabilité politiques favorisent le retour à l'ordre ponctué par un coup d'Etat et la restauration de l’Empire de Louis Napoléon Bonaparte, devenu Napoléon III. Mais la IIe République a ses caractères propres dont certains sont d'une modernité étonnante. Ce qu'elle a tenté de mettre en place préfigure certaines réalisations contemporaines : le suffrage universel masculin ; l'élection du président de la République au suffrage universel direct (seulement reprise en 1962) ; l'abolition de la peine de mort en matière politique qui perdure jusqu'à nos jours, en dehors des années du gouvernement de Pétain ; l'émergence du socialisme, de la question sociale dans la vie politique, du droit au travail, du droit à l'association des travailleurs et du clivage gauche-droite. Elle sacralise, cette fois définitivement, le drapeau tricolore, la fraternité dans la devise républicaine et l'abolition de l'esclavage. 

La peur du peuple évoque la peur de la grande majorité du peuple de la France vis-à-vis de la république « rouge », celle des communistes, des socialistes, des « partageux ». On craint que les « Rouges » ne s'emparent des biens et, en particulier, qu'ils partagent les terres. Si les modérés et les conservateurs, souvent des « républicains du lendemain », sont prêts à accepter la république c’est pour, avant tout, éviter la révolution sociale. 

Très vite et en permanence, la IIe République est tiraillée entre des tentatives d'insurrections urbaines et paysannes et la réaction des partisans de l'ordre. L’'illusion lyrique des utopistes socialistes de février 48 ne dure pas. Dès les résultats des élections au suffrage universel direct masculin de l'Assemblée Constituante du 23 avril 48, où les modérés dominent, Proudhon constate très lucide « la question sociale est ajournée ! ». Et d'échec en échec la gauche républicaine qui était le fer de lance de cette révolution connaît une sorte de descente aux enfers. 

Au fil des mois, la république des modérés favorise l'arrivée à la présidence de la République le 20 décembre 48 de Louis-Napoléon Bonaparte. Son nom électrise et éblouit le peuple français et, depuis sa publication de L'Extinction du paupérisme en 1844 il apparaît comme un homme proche du peuple  - il demeure le président de la République le mieux élu de notre histoire. Son coup d'Etat du 2 décembre 1851 lui permet de restaurer l'empire le 2 décembre 1852. Le passage à l'empire n'est qu'une formalité. Malgré des opposants, dont Victor Hugo qui pourfend le futur empereur dans son Napoléon le Petit, le plébiscite est massif. Ce qui illustre l'attente qu'ont souvent les Français d'un homme providentiel.

POINTS FORTS

La plume vivante et la clarté du récit, bien charpenté.

La richesse des acteurs et des grands témoins de toutes tendances politiques, de tous milieux. Les politiques (Lamartine, Guizot, Louis Blanc, Proudhon, Cavaignac, Thiers), les écrivains (Victor Hugo, George Sand, Balzac, Vigny, Flaubert, Sue, Zola, Vallès), les penseurs (Tocqueville, Rémusat, Blanqui) et les chroniqueurs, comme Marie d’Agoult. Sont citées aussi des lettres envoyées « au pays » par des exilés étrangers réfugiés en France ; ou encore, les courriers et les souvenirs des diplomates en résidence à Paris (le journal de Lord Normandy ambassadeur d'Angleterre).

La singularité de la IIe République par rapport à la Grande Révolution et aux émeutes des années 1830 : elle n'est pas irréligieuse. Bien au contraire. La démocratie est présentée comme l'aboutissement de la fraternité et de l'égalité chrétienne. Le tableau d'Hippolyte Lecomte sur la  couverture du livre, Les polytechniciens portant le crucifix sauvé de la chapelle royale des Tuileries, lors des émeutes du 24 février 1848, rappelle un beau moment d'unité quand les émeutiers et les polytechniciens portent à l’abri à Saint Roch les vases sacrés et le crucifix.

L'évocation des nouvelles technologies : le télégraphe électrique et le développement des lignes de chemin de fer participent à l'accélération de la circulation des idées et des informations sur le territoire national ; et donc participent à l'intensité de certains événements provinciaux. 

L’analyse, qui ponctue le récit, du tableau Un enterrement à Ornans peint par Courbet durant l’hiver 1849-1850. Bien que rallié, dit-on, au Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte, Courbet, en une sorte d'allégorie politique, a-t-il voulu représenter l’enterrement futur de la République ?

QUELQUES RÉSERVES

Aucune réserve.

ENCORE UN MOT...

Cet essai bien documenté se lit comme un roman. D'autant plus qu'il offre une belle place à la littérature. En particulier avec les nombreux extraits de L'Education sentimentale de Flaubert.

UNE PHRASE

- « Le nouvel empereur inaugure son règne en entrant solennellement dans la capitale ce jeudi 2 décembre 1852.[...] La république semble déjà oubliée. La colère de ses partisans ne se résume pas au discours hugolien dont l'excès fait la force, mais occulte toute analyse sérieuse. Les perdants ne cesseront de rechercher les causes de ce naufrage en les hiérarchisant selon leur appartenance politique. Les propos de Falloux méritent qu'on s'y attarde. L'ancien ministre de l'Instruction publique et des Cultes dénonce pêle-mêle la force destructrice de la parole dans le système représentatif, les aberrations de la Constitution, les divisions des monarchistes et l'attitude du comte de Chambord enfin l'incapacité de la gauche à maîtriser l'extrême gauche. » (p. 379)

-  « Invoquant la force du nom de Napoléon, François Guizot écrit : “C’est beaucoup d’être à la fois une gloire nationale, une garantie révolutionnaire et un principe d’autorité.” C’était assez pour permettre à Louis Napoléon de renverser l’échiquier politique à son profit ». (p. 382)

L'AUTEUR

L' historienne Marie-Hélène Baylac, née en 1948, se consacre depuis quelques années à l'étude de la période révolutionnaire et du XIXe siècle. Outre ses nombreuses contributions dans des ouvrages historiques collectifs, elle a publié Le sang des Bourbons, éditions Larousse, 2009 ; Napoléon, Empereur de l'île d'Elbe, avril 1814 – février 1815, Tallandier, 2011 ; Hortense de Beauharnais, Perrin, 2016 ; Les secrets de la Révolution française, La librairie Vuibert, 2017 ; Agatha Christie, Les mystères d'une vie, Perrin, 2019.

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