La nouvelle guerre secrète : la doctrine française sur la question sensible des unités militaires clandestines<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats du 3e Régiment étranger d'infanterie patrouillent lors de l'entraînement de la mission "Titan", visant à protéger les installations des sites du Centre spatial guyanais, à Kourou, en Guyane, le 22 octobre 2021.
Des soldats du 3e Régiment étranger d'infanterie patrouillent lors de l'entraînement de la mission "Titan", visant à protéger les installations des sites du Centre spatial guyanais, à Kourou, en Guyane, le 22 octobre 2021.
©Jody AMIET / AFP

Bonnes feuilles

Eric Denécé et Alain-Pierre Laclotte publient « La nouvelle guerre secrète, Unités militaires clandestines et opérations spéciales » chez Mareuil éditions. Pour acquérir les informations nécessaires au démantèlement des réseaux terroristes, le besoin de nouvelles unités militaires spécialisées, agissant clandestinement, est apparu. Plusieurs pays ont ainsi créé de petites unités de recherche humaine, opérant en civil et en secret, chargées conduire des opérations de renseignement antiterroriste au profit des forces spéciales, des forces régulières ou des services de renseignement. Extrait 2/2.

Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Alain-Pierre Laclotte

Alain-Pierre Laclotte

Alain-Pierre Laclotte, ancien cadre des troupes aéroportées (1er RCP, 11e RPC), a passé vingt ans au service du ministère de la Défense avant de créer et de diriger une des principales sociétés de sécurité privée française.

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En dépit de sa riche expérience des conflits, du renseignement, des opérations spéciales et des actions clandestines – et bien qu’elle dispose de nombreuses unités et moyens d’action spécialisés –, la France n’a pas, stricto sensu, d’unités militaires clandestines répondant aux « normes » américaines, britanniques ou israéliennes, c’est-à-dire :

– autorisées à intervenir secrètement, en civil comme en uniforme;

– sur le territoire national ou à l’étranger, y compris dans des pays avec lesquels la France n’est pas en guerre et sans leur autorisation;

– pour conduire des opérations (renseignement ou action) dont l’effet final recherché est militaire;

– au profit de l’état-major des armées (EMA) ou d’un commandement de théâtre.

Il existe trois raisons pour lesquelles la France n’a pas à proprement parler d’unités militaires clandestines :

– la doctrine d’emploi des armées interdit aux militaires d’agir en civil (à l’exception des unités affectées à la DGSE), y compris aux unités spéciales;

– les armées interviennent rarement sur le territoire national – à l’exception récente de l’opération Sentinelle –, car c’est le rôle de la Gendarmerie, force armée chargée de la sécurité intérieure;

– l’Armée française n’a pas été confrontée, depuis la fin de la Guerre froide, à des opérations majeures sur des théâtres urbains à l’étranger.

Surtout, jamais aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Israël, les armées ne se sont ingérées dans la vie politique, ce qui a parfois été le cas en France jusqu’en 1962. Aussi, la crainte d’une tentative de putsch demeure présente dans l’inconscient de certains politiques. D’où une certaine méfiance et des restrictions à l’engagement des armées sur le territoire national.

La doctrine française : les unités spéciales n’interviennent pas en civil

En France, les unités spéciales d’action ou de renseignement n’ont pas l’autorisation de remplir leurs missions en civil. Jusqu’à il y a peu, cette règle était aussi valable pour la Gendarmerie. C’est là un trait tout à fait spécifique de la doctrine française.

Son origine remonte à la Seconde Guerre mondiale et surtout à l’après-guerre, lorsqu’a été conçue notre doctrine d’action clandestine. Elle a établi une séparation stricte et excessive entre les unités commandos – on ne parlait pas alors de forces spéciales –, opérant en uniforme et relevant des armées, et les unités d’action clandestine dépendantes du service spécial et autorisées à agir en civil ou sous uniforme étranger. Il est intéressant de comprendre comment cette dichotomie entre les deux domaines s’est établie.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques disposaient de trois composantes pour conduire leurs opérations spéciales ou clandestines :

– un service de renseignement clandestin, le MI6, ne faisant que du renseignement;

– un service d’action clandestine, le SOE, dont la majorité des membres provenaient du civil, chargé de conduire des actions de sabotage, des assassinats et d’assister les mouvements de résistance partout dans le monde contre le IIIe  Reich et ses alliés. Ses membres n’agissaient qu’en civil et sous identité fictive, même s’ils conduisirent de nombreuses opérations paramilitaires;

– des unités spéciales, nombreuses et diverses (SAS, SBS, SRS, etc.), chargées d’opérations le plus souvent stratégiques au profit du haut commandement, ou d’opérations tactiques au profit d’un commandant de théâtre (cf. SAS en Libye).

À la fin du conflit, le SOE fut dissout et la guerre devenant « froide », les opérations paramilitaires clandestines furent très significativement réduites. Les rares qui furent conduites furent confiées au SAS et non au MI6.

De leur côté, Américains et Français n’eurent, pendant le conflit, qu’un service unique (OSS et BCRA), chargé du renseignement et des opérations clandestines, en sus de leurs unités spéciales.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les combattants français qui ont mené de vraies opérations spéciales – en particulier la Force 136 et les Jedburghs – dépendaient du SOE ou du BCRA. Leurs missions étaient toutes de nature militaire, avec parfois un volet politique – la Force 136 fut chargée de rétablir l’autorité française en Indochine. Il s’agissait bien d’opérations spéciales et non d’actions clandestines : l’adversaire était généralement vite informé des actions derrière ses lignes ou de l’organisation d’un maquis. Ce n’était secret qu’un temps; c’était parfois dissimulé, mais ce n’était pas du clandestin.

À la fin de la guerre, aux États-Unis comme en France, les opérations paramilitaires clandestines restèrent de la responsabilité des services spéciaux et ne furent pas confiées aux forces spéciales.

Outre-Atlantique, il fallut que survienne le tragique épisode de la baie des Cochons (1961) pour que la CIA se voie interdire de lancer des opérations paramilitaires de grande ampleur et que le Pentagone s’intéresse à nouveau aux opérations spéciales (cf. chapitre 8). Puis il faudra attendre la création du JSOC (1980) et surtout la déclaration de guerre au terrorisme (GWOT) pour que ces missions soient majoritairement reprises par les forces spéciales (JSOC), la CIA ne conservant qu’une petite structure chargée de ces opérations.

Si la situation a évolué aux États-Unis suite aux préconisations de la commission du 11 septembre, cela n’a pas été le cas en France où les opérations paramilitaires clandestines sont toujours restées dans le domaine du service spécial (DGER, puis SDECE, puis DGSE), qui a développé dans ce but un véritable service Action, composé exclusivement de militaires, seuls autorisés à intervenir en clandestins.

Ce dispositif, hérité de la Seconde Guerre mondiale, a été conservé en Indochine, avec une séparation entre les actions commandos (commandos marine, commandos du Nord-Vietnam, commandos de reconnaissance, 11e  choc, etc.), rattachées aux armées, et les actions spéciales (GCMA), pilotées par le SDECE. Or, l’encadrement des maquis indigènes était en tout point une action spéciale et non clandestine.

Cela s’est poursuivi pendant la guerre d’Algérie où les unités d’élite (commandos marine, centaines du 11e choc, etc.) agiront en tant qu’infanterie légère, comme les commandos de chasse ou les unités de réserve générale (parachutistes, Légion étrangère, commandos de l’air). À noter toutefois qu’en Indochine et en Algérie, certaines unités militaires reçurent l’autorisation d’opérer déguisées et d’organiser des commandos composés d’ex-guérilleros repentis ou retournés.

La montée en puissance de « l’Action »

À l’issue des conflits liés à la décolonisation de son empire, la France allait être confrontée sur le continent africain à la subversion orchestrée par Moscou. Au cours des années 1960, l’Afrique subsaharienne fut agitée de soubresauts consécutifs à l’indépendance. Les assassinats politiques et les coups d’État se multiplièrent. La France intervint alors essentiellement à travers des opérations clandestines pilotées par le service Action, faisant appel à des agents locaux ou à des mercenaires : en Guinée, à partir de 1958, pour renverser le leader Sékou Touré qui s’était rapproché de Moscou; au Katanga (Congo) à partir de 1969, et au Biafra (Cameroun) à partir de 1967.

Au milieu des années 1970, le colonel Alain de Marolles fut appelé au SDECE par Alexandre de Marenches pour développer l’Action, suite aux opérations qu’il avait conduites en Indochine et en Algérie, et aux enseignements qu’il en avait tirés. De Marolles définit alors une nouvelle conception de l’Action et créa un dispositif original réunissant, sous une même direction, les moyens clandestins et les forces spéciales. Il en fit un instrument d’une redoutable efficacité et cette nouvelle conception allait rester pour longtemps en vigueur.

Sous son commandement, le SA comprenait :

– un état-major Action, chargé d’analyser les situations, de concevoir et de conduire des opérations complexes;

– un appareil clandestin en mesure de mener des actions invisibles grâce à ses infrastructures secrètes à travers le monde. Avant l’arrivée de de Marolles, il n’existait aucune infrastructure clandestine au SA, les opérationnels se contentant de couvertures offertes ou garanties par d’«  honorables correspondants » (HC). Selon lui, les forces spéciales ne pouvaient être efficaces que si elles disposaient de l’appui d’un appareil clandestin, ce que ne faisaient jamais les militaires conventionnels. Elles devaient disposer, pour leurs missions, de leur propre dispositif de renseignement et de sécurité. Une force spéciale interarmées servant de réservoir humain pour la conduite des missions clandestines, capable d’agir en liaison avec cet appareil clandestin (interventions en appui et en relation avec les services secrets ou un réseau de guérilla) ou en autonomie (formation de gardes présidentielles, encadrement de maquis ou d’armées étrangères). Le SA pouvait aussi conduire des actions directes, dans lesquelles ses forces spéciales opéraient revêtues d’uniformes étrangers.

L’Action occupait ainsi l’espace compris entre les missions clandestines et les opérations commando. Selon de Marolles, il n’était pas incompatible que les forces spéciales restent chargées des raids commandos de nature stratégique. Cela permettait d’augmenter leur expérience et de se maintenir au meilleur niveau en multipliant les engagements opérationnels.

Le service Action du SDECE se spécialisa alors principalement dans l’assistance aux mouvements armés anticommunistes, partout dans le monde. Après une première évaluation de terrain pour étudier la faisabilité de l’opération, ses hommes étaient dépêchés sur place afin de former des combattants et de mobiliser, à leur profit, un vaste réseau de sympathisants grâce à l’action psychologique.

Le chef de l’Action, officier ayant une double culture de la clandestinité et des forces spéciales, avait autorité sur les forces spéciales (notation, rémunération, avancement) pour les opérations concernant le SDECE. Pour leurs autres missions de caractère stratégique, celles-ci relevaient ponctuellement de l’autorité du chef d’état-major des armées.

Mais l’Action avait besoin d’une unité « réservoir » dans laquelle puiser ses opérateurs. Or, à l’issue de la guerre d’Algérie et de la rébellion d’une partie des cadres des armées contre le général de Gaulle, plusieurs régiments, dont le 11e choc, furent dissout. Seule la partie strictement clandestine de l’Action fut conservée. Le besoin d’un « bras armé » capable de réaliser des opérations paramilitaires secrètes se fit de nouveau sentir. Jusque-là, l’Action travaillait en prélevant des éléments au sein des différents régiments parachutistes composés d’engagés. Mais ni la spécialisation ni la confidentialité n’étaient assurées.

Il fut alors décidé que le 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine (1er RPIMa) – alors chargé de la formation des engagés de la 11e division parachutiste – remplacerait le 11e choc comme réservoir du service Action. À cet effet, cette unité créa en son sein en janvier 1973 un groupement opérationnel (GO), comptant au départ une centaine d’hommes qui reçurent une instruction très poussée dans tous les domaines du combat, et qui devint le bras armé du SDECE. Le GO passa rapidement à l’action. En 1977, au Zaïre, ses équipes assurèrent des reconnaissances face aux rebelles venus d’Angola. Puis un an plus tard, elles y furent de nouveau déployées avant que le 2e REP ne vienne au secours de Kolwezi. Le GO fut également engagé à de très nombreuses reprises en Afrique. Il participa notamment à l’opération Caban (renversement de Bokassa en Centrafrique en 1979), mais il sera critiqué par le SDECE pour avoir opéré de manière trop visible, en uniforme français. Le GO fut dissout en 1981 par François Mitterrand. Une partie de ses éléments furent intégrés au service Action. Le reste du régiment rejoignit la 11e division parachutiste et se vit confier un rôle plus classique de reconnaissance.

À la fin des années 1970, le SDECE apporta son soutien au service marocain pour lutter contre le Polisario. Le SA organisa alors, avec l’accord du souverain chérifien et de ses généraux, « une sorte de Long Range Desert Group, à l’image de cette unité britannique formée en Égypte pour monter des opérations derrière les lignes allemandes dans le désert d’Afrique occidentale pendant la campagne 1941-1943 ». C’est le général Georges Grillot qui fut chargé de cette mission en liaison avec le service Action de Rabat dirigé par le colonel Dlimi. Puis le SA forma les Marocains afin qu’ils accueillent et forment à leur tour les combattants angolais de l’UNITA de Jonas Savimbi. La France avait choisi de soutenir le mouvement de Savimbi qui luttait dans son pays contre un régime soutenu par Moscou et appuyé par des conseillers militaires est-allemands et des unités cubaines. Ainsi le SA parvint à faire avec les services marocains ce que le KGB faisait avec les services des pays de l’Est : ils agissaient à sa place afin de ne pas engager la France.

Le SDECE participa ensuite activement au soutien apporté par les Occidentaux aux Afghans lors de l’invasion soviétique (1979). Le SA entraîna des combattants du commandant Massoud en France, au camp de Cercottes, et détacha divers conseillers auprès du « Lion du Panshir ».

Les années 1970 et 1980 verront ainsi l’apogée de l’action non conventionnelle française, dans le cadre de l’affrontement Est-Ouest en Afrique et au Moyen-Orient. Le SA deviendra une composante majeure du SDECE et sera alors largement employé par les gouvernements de l’époque. Toutefois, une grande partie de ses missions – telles que la constitution de gardes présidentielles (GP), la protection de personnalités à l’étranger ou la conduite d’actions de guérilla et de contre-guérilla – relevèrent plus des opérations spéciales que de l’action clandestine et la majorité d’entre elles eurent lieu dans le cadre des conflits dans lesquels l’Armée française était engagée. Si les hommes du SA firent la preuve de leur efficacité, ils n’en restaient pas moins des militaires, même non conventionnels. Cette culture montra ses limites en plusieurs occasions, au Liban (1983) et lors du fiasco d’Auckland (1985).

Aussi, bien que la France dispose depuis la Seconde Guerre mondiale d’une tradition de forces spéciales, elle n’en a pas tiré, à la différence des pays anglo-saxons, une culture spécifique au sein de l’institution miliaire. Notre pays a mis en place une segmentation poussée entre les unités commandos, opérant toujours en uniforme et parfois utilisées comme de simples unités de choc, et les unités relevant de la DGSE, plus proches de la conception anglo-saxonne, autorisées à intervenir en civil… mais n’agissant qu’au profit du service et non à celui des armées.

La création du COS

Cette stricte séparation des tâches fut confirmée lors de la création du Commandement des opérations spéciales (COS), à l’issue de la première guerre du Golfe.

Selon le texte de l’arrêté du 24 juin 1992, les attributions du COS comprennent la planification, la coordination et la conduite des actions « menées par des unités des forces armées spécialement organisées, entraînées et équipées pour atteindre des objectifs militaires ou paramilitaires ». Le domaine d’emploi privilégié du Commandement des opérations spéciales est celui des opérations non conventionnelles, incluant l’acquisition du renseignement à fin d’action. Les missions du COS, en autonomie ou au sein d’une force conventionnelle, sont de deux types :

– les actions directes, qui recouvrent l’appui opérationnel d’unités sur le terrain grâce à la mise en œuvre de savoir-faire spécifiques; la reconnaissance dans la profondeur (renseignement); la neutralisation, relevant de compétences propres aux commandos et concernant en particulier le contre-terrorisme; la libération d’otages; les actions en profondeur; l’arrestation de personnes; les opérations de diversion et de déception dans le camp adverse; l’extraction de ressortissants;

– les actions dites « d’environnement », qui comprennent l’assistance militaire à l’étranger ; la protection rapprochée des autorités militaires nationales; les affaires civilo-militaires (ACM), via la réalisation d’expertises initiales de théâtres consistant à évaluer de façon précise une zone de crise (contexte politique, économique, humain) afin de faciliter le déploiement de troupes conventionnelles.

Dans le cadre de la doctrine française, les unités agissant pour le compte du COS accomplissent des opérations spéciales au profit du commandement militaire et non des opérations clandestines au bénéfice de la politique étrangère. Qui dit « unité des forces armées » dit opération en uniforme. Les opérations paramilitaires clandestines à l’étranger constituent en revanche toujours la chasse gardée de la DGSE.

Le rôle de la Gendarmerie en matière de renseignement et d’antiterrorisme

La seconde raison pour laquelle des unités militaires clandestines n’ont pas émergé en France est l’existence de la Gendarmerie nationale. La recherche du renseignement est l’une des missions constitutives de cette arme, ainsi que le stipulent les textes régissant son fonctionnement (lois et ordonnances de 1778, 1791, 1820, 1903, etc.). Son action en la matière concerne trois domaines : la surveillance générale du territoire et des populations (manifestations, troubles), la lutte contre les activités et organisations criminelles, et la détection des actions touchant à la sûreté de l’État (espionnage, subversion, terrorisme). La Gendarmerie intervient aussi à l’étranger. Certains de ses éléments spécialisés sont systématiquement engagés avec les armées sur les théâtres d’opérations extérieurs pour des missions prévôtales (police militaire), d’expertise judiciaire (police scientifique) et surtout, de recherche opérationnelle. Elle entretient à ce titre des relations permanentes avec les services de renseignement militaire (DRSD, DRM), ainsi qu’avec la DGSE.

Depuis le début des années 1990, la fonction « renseignement » de la Gendarmerie s’est encore développée pour faire face notamment aux événements en Corse. Des unités spécialisées ont été mises sur pied et la possibilité d’intervenir en civil leur a été accordée dans certains contextes. Puis la loi de 2015 relative au renseignement a fait de l’armée un acteur spécialisé du « deuxième cercle » de la communauté du renseignement. Aux termes de l’article L. 811-3 du Code la sécurité intérieure, la Gendarmerie – et plus spécifiquement la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) – peut recourir aux techniques de renseignement permises pour prévenir « les atteintes à la forme républicaine des institutions, les actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissout ainsi que les violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». En conséquence, de nombreux opérateurs – en particulier des acteurs de la chaîne judiciaire et du GIGN – ont été formés à la recherche opérationnelle du renseignement pour faire face à la montée en puissance de nouvelles menaces (criminalité organisée transnationale, djihadisme, mouvements contestataires violents).

Les unités de renseignement de la Gendarmerie s’organisent aujourd’hui en trois niveaux :

– les cellules départementales d’observation et de surveillance (CDOS), placées auprès de certaines brigades départementales de renseignement et d’investigations judiciaires (BDRIJ);

– les groupes d’observation et de surveillance (GOS) intervenant au profit des sections d’appui judiciaire (SAJ) au niveau régional;

– la « Force Observation/Recherche » (FOR) du Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN), seule apte à intervenir à l’étranger. La formation particulièrement poussée reçue par cette unité en fait un acteur reconnu en matière de mise en œuvre des techniques avancées de renseignement. Ses membres sont rodés à la pose de capteurs dans les milieux les plus dangereux.

La FOR a notamment développé une forte expertise dans le domaine du tracking (procédé de suivi à distance en posant une balise radio ou satellite sur un véhicule) et de la sonorisation (pose de microphones dans des locaux ou des lignes téléphoniques). En effet, vu qu’il est impossible d’infiltrer les groupes terroristes, elle a mis au point des techniques et des outils pour le faire à distance. Ses balises électroniques sont intégrées dans les endroits les plus anodins, tout comme ses micros. Le GIGN est aussi connu pour intégrer ses capteurs, notamment des caméras, dans les endroits les plus improbables : fausses caches ou faux parpaings, pare-chocs de voiture, etc. L’unité s’est ainsi dotée des capacités d’observation à distance et d’intégration de capteurs. Le recours à ces moyens ne permet pas de s’affranchir du nécessaire renseignement humain de contact, mais autorise à ne pas entretenir en permanence une surveillance visible autour des suspects.

Ces compétences développées en France pour lutter contre la grande délinquance et le terrorisme intérieur – basque, corse et islamiste – vont trouver une autre application sur les théâtres d’opérations extérieurs, car jusqu’à la fin des années 1990, les forces spéciales, essentiellement centrées sur leur techniques commando, ne possèdent alors encore pas cette capacité. C’est le général Philippe Rondot, alors conseiller « renseignement et opérations spéciales » du ministre de la Défense, qui a eu l’idée de faire appel au GIGN pour repérer, surveiller et interpeller les criminels de guerre dans les Balkans. La DGSE aurait pu s’en charger, mais son engagement sur un théâtre d’opérations militaires pour une opération de police n’apparaissait pas pertinent. C’est donc à la FOR que fut confiée cette mission de recherche de renseignements. Entre 1992 et 1998, une quinzaine d’opérations seront ainsi menées sur des cibles définies par le général Rondot, dont Radovan Karadzic. Les gendarmes opèreront en civil la plupart du temps afin de se fondre dans l’environnement local.

À noter que si une insurrection majeure survenait en France – en Corse, au Pays basque, en Nouvelle-Calédonie ou dans certaines banlieues –, cela serait d’abord à la Gendarmerie – notamment via ses groupes d’observation et de surveillance (GOS) et ses unités d’intervention (GIGN et ses antennes) – voire à la police (DGSI, BRI) que ce type de mission serait confié et non aux armées, même si ces dernières peuvent être mobilisées pour des missions d’appui (cf. opération Sentinelle). Les événements de Nouvelle-Calédonie (1988) ont toutefois montré que les autorités n’hésitaient pas à faire appel au SA de la DGSE et aux unités relevant aujourd’hui du COS pour conduire une intervention.

A lire aussi : La nouvelle guerre secrète : le « special intelligence » ou l’émergence d’un nouveau type de renseignement

Extrait du livre d’Eric Denécé et Alain-Pierre Laclotte, « La nouvelle guerre secrète, Unités militaires clandestines et opérations spéciales », publié chez Mareuil éditions.

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