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La Nouvelle ferme des animaux : une satire du système politique actuel et du désastre économique auquel il mène
©Reuters

Bonnes feuilles

"La nouvelle ferme des animaux" est un clin d'oeil au célèbre livre de George Orwell publié en 1948 dénonçant le communisme stalinien. En prenant le pouvoir dans la ferme, les animaux souhaitent établir une république où la liberté de chacun se conjugue avec la prospérité économique. Extraits de "La nouvelle ferme des animaux", d'Olivier Babeau, aux éditions Les Belles Lettres 2/2

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Au début du mois de novembre, les arbres avaient déjà étendu leur tapis de feuilles dans les sous-bois et attendaient, nus et tremblants, la caresse cruelle de la mauvaise saison.

Rien ne semblait pouvoir arrêter l’expansion de la Ferme. Les Services Communs prenaient plus d’importance, à mesure que l’activité économique elle-même se rabougrissait. Ils étaient devenus une véritable fourmilière – des fourmis étaient d’ailleurs employées pour transporter des documents entre les différents bureaux. Il avait fallu doubler le nombre de postes de travail dans chaque pièce du manoir et annexer en plus de larges parties des bâtiments d’exploitation.

Un nouveau service était créé presque chaque jour. L’importance des règles, exceptions, cas particuliers, courriers à traiter, rapports à rédiger, messages à transmettre et classer rendait nécessaire un personnel sans cesse plus nombreux.

Un service spécifique chargé de diffuser l’information fut créé. Il s’agissait en réalité de contrôler ce qui arrivait aux oreilles des bêtes. « Il ne faut pas inquiéter les gens, répétait Platon, le bonheur est avant tout psychologique. N’allons pas mettre le cafard dans la tête des animaux par la diffusion irréfléchie de mauvaises nouvelles ! »

Le rossignol Orphée fut spécialement appointé pour apprendre par coeur les messages de la Ferme destinés aux animaux et aller toute la journée les répéter inlassablement aux quatre coins de la cour. Ce n’était pas aussi exaltant que de chanter, mais c’était toujours mieux, pensait-il, que de transporter des brindilles. Il devint rapidement le héraut zélé de toutes les communications officielles.

Il fallut aussi mettre en place un service dédié à la coordination des services, et même un autre consacré à l’accompagnement de leur création.

Cette croissance était fièrement annoncée par Platon soir après soir. Les domaines d’intervention de la Ferme s’étaient

énormément étendus. La méthode de fauchage des blés faisait l’objet d’un règlement ; la couleur des prunes que l’on pouvait cueillir était déterminée par circulaire ; la sécurité des poulaillers était fixée par un texte de trois cents articles et deux cents exceptions.

Il semblait qu’aucun domaine de la vie des animaux ne pouvait échapper à l’action bienveillante des Agents de Fonctionnement. La Ferme était là pour dire aux animaux, sur un ton paternaliste, quoi et comment se nourrir – « pour votre santé, ne mangez pas trop de mûres du roncier » –, quand se reposer et à quoi employer leurs loisirs – c’était l’objet du service de la Culture Champêtre.

Dans son empressement à vouloir éviter tout désagrément aux animaux, la Ferme avait même fini par interdire aux canards la baignade dans le lac, pour « prévenir les risques de noyade ». Les leçons de natation pourtant très populaires de Nemo durent cesser.

Les oiseaux avaient aussi pour consigne de voler moins vite car, comme l’annonçait un communiqué répété dix fois par jour par le rossignol, « 95 % des collisions en vol entre oiseaux sont liées à la vitesse ». On interdit aussi aux oiseaux de mâcher des brindilles en volant car cela les distrayait de leur vol et accroissait le risque d’accident.

Le nombre de nouvelles règles et la complexité des procédures étaient tels qu’il fallut créer de nouveaux emplois de Médiateurs de Basse-Cour pour permettre aux animaux de les comprendre. Platon fit un communiqué pour se féliciter de la création de ces emplois qui « marquait le souci constant d’accompagnement et de proximité des habitants du Lac ».

L’expression « Services Communs », répétée à l’envi et vantée en toute occasion par les animaux qui en faisaient partie, devint incontournable. Elle incarnait tout ce qui était bon, souhaitable et moral dans la république. Chacun était invité à s’enorgueillir d’avoir des Services Communs plus importants que dans n’importe quelle ferme, car cela garantissait de façon évidente une meilleure prise en compte de l’intérêt général et une vie plus heureuse.

Cette période fut particulièrement agréable pour Platon qui voyait son importance grandir de jour en jour. Il avait constaté avec émerveillement que son statut prestigieux faisait un effet certain auprès des truies de la porcherie. Elles étaient nombreuses à faire yeux de velours et à rosir d’émotion quand elles le croisaient. Cette fascination qu’exerce le pouvoir était d’autant plus appréciée par Platon que du temps de Louis il ne parvenait guère à intéresser le sexe faible. Les jeunes beautés porcines préféraient alors frayer avec des bestiaux plus musclés et beaux que lui. Il savourait sa revanche et était décidé à en jouir sans modération. Peu importaient maintenant ses oreilles inégales, ses yeux trop rapprochés et ses poils filasse. À présent ses défauts physiques n’avaient aucune importance car on ne voyait plus en lui que le puissant dirigeant du Lac. Il n’avait qu’un claquement de langue à faire pour voir accourir la femelle de son choix. Le moindre de ses clins d’oeil avait un effet aphrodisiaque. Il envoyait presque chaque soir Goupil pour transmettre une invitation à l’heureuse élue. Platon était prompt à s’enticher d’une femelle, mais il se lassait vite, et les favorites connaissaient toujours de rapides disgrâces. Le protocole était invariable : la truie était introduite par une porte détournée dans le manoir puis menée directement dans la chambre à coucher. D’un naturel peu romantique, Platon avait horreur des préliminaires et témoignait immédiatement sa passion de la façon la plus directe. Cinq minutes plus tard, le cochon émettait un grognement rauque, signal que la truie pouvait être reconduite.

« Merci pour ce moment », glissait-il à la femelle étourdie par la brièveté de l’assaut avant qu’elle ne sorte. C’était sa façon à lui, qui ne mettait guère de délicatesse dans ses saillies hâtives, d’être élégant.

Extraits de "La nouvelle ferme des animaux", d'Olivier Babeau, publié aux éditions Les Belles Lettres, 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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