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La notion de "valeurs" a-t-elle encore un sens dans les discours ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Comment donner de la consistance à ce « vivre ensemble » si ces valeurs sont un mythe qui fonctionne comme un totalitarisme, prêt à exclure du champ de la normalité tous ceux, vivants ou morts qui n’y adhéraient ou n’y adhèrent pas.Tel est le paradoxe général que fait apparaître ce livre, unique en son genre. Extrait de "L'imposture du vivre ensemble de A à Z" de Paul-François Paoli publié aux éditions du Toucan. (2/2)

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Valeurs chrétiennes : Cette notion, très souvent employée dans une certaine presse (La Croix, La Vie etc.), est-elle pertinente ? Sur un plan philosophique, la question peut se poser. Le christianisme n’est pas une collection de valeurs mais une foi qui transcende toute valeur, laquelle est par définition relative à la subjectivité de qui y adhère. Dans Brève apologie pour un moment catholique, le philosophe Jean-Luc Marion écrit ceci: «Parler par exemple du vrai, du bon, du beau comme des valeurs équivaut à les disqualifier comme telles. Parler, entre autres, de l’être, de l’homme et de la vérité comme des valeurs, les réduit à l’indignité de simples mots insignifiants. La valeur n’a, par définition, jamais de valeur par soi ni en soi, puisqu’elle dépend d’une évaluation. Il n’y a de valeur que boursière, variable et instable, aliénée à la côte qui la fixe, au jour le jour». Le point de vue de Marion est relativement hétérodoxe dans un certain monde catholique qui se gargarise de ses «valeurs», comme on l’a vu pendant la campagne de François Fillon. Le refus de l’avortement par exemple, relève d’un principe plutôt que d’une valeur. Ou l’on croit que Dieu est au fondement de la vie humaine et que chaque individu a une âme personnelle ou l’on n’y croit pas. Mais si l’on y croit, il est logique de considérer l’avortement comme une sorte de meurtre puisque pour un chrétien ou un juif, un être humain doté d’une âme est en gestation dans l’embryon.

Valeurs de la France : Un des stéréotypes les plus utilisés par les politiques sans que l’on sache toujours ce que ces mots recouvrent. A gauche, on est face à une contradiction à peu près insoluble sur un plan à la fois historique et logique. On intimide les Français infidèles à des valeurs, celles de la République, qu’ils n’auraient pas le droit de renier sans déchoir alors que l’idée républicaine suppose aussi la liberté de ne pas être… républicain. Si les Français n’ont pas toujours été républicains, c’est qu’être français et être républicain sont deux ordres de réalités distinctes. Or, sauf à supposer que les valeurs des Français non républicains n’en sont pas (ce qu’un esprit totalitaire comme Mélenchon a l’air de suggérer), il faut admettre qu’il y eut d’autres valeurs en France que celle de le République, à commencer par celles de la religion catholique qui fut prédominante jusqu’à la Seconde Guerre mondiale au moins. Autrement dit, lorsqu’on réduit les valeurs de la France aux « droits de l’homme » ou à la République, on exclut un grand nombre de Français de la France elle-même. Mais il y a plus absurde encore. Pour certains, le peuple français serait fondé sur des «valeurs» qui correspondent comme par hasard aux «valeurs de la République ». Or il est très facile de démontrer qu’un peuple ne peut être fondé sur des valeurs. Le peuple allemand qui soutenait Hitler n’a pas cessé d’être allemand quand, dix ans après la chute du Führer, il est devenu atlantiste à l’ouest ou soviétique à l’est. Idem du peuple italien qui légitima Mussolini jusqu’en 1935 et légitima dix ans après le Parti communiste et la démocratie chrétienne. Un peuple peut changer de valeurs sans cesser d’être lui-même. Ce qui constitue le peuple français n’est donc pas des valeurs, fussent-elles républicaines (voir valeur républicaines) mais des mœurs et une langue qui constituent une identité relevant à la fois de l’anthropologie et de la culture. Et si la question de l’islam se pose, c’est justement parce qu’il provoque une rupture dans les mœurs. 

(…)

Valeurs républicaines : Le monde démocratique est empêtré dans une contradiction insoluble. La démocratie est fondée sur les pluralités des conceptions du Bien puisque chaque individu pense savoir ce qui est bon pour lui. L’idée de vérité – hormis dans le domaine scientifique où elle se prouve ou dans le domaine théologique où elle se révèle à travers la foi – n’a plus de sens dans le monde politique. Hors du monde de la science et de la théologie, la notion de vérité est devenue problématique. Aucun politicien n’évoque jamais la vérité. Tous évoquent leurs valeurs. Sauf que les valeurs ne peuvent avoir un statut de vérité. Elles n’ont d’autorité que pour ceux qui les proclament, ce dont ne semblent pas se rendre compte ceux qui en parlent à tort et à travers. Par définition, la vérité seule peut prétendre à l’universalité puisque son caractère objectif ne dépend pas de mon opinion. Que le soleil se lève à l’est n’est pas une opinion, c’est un fait. Or pour beaucoup, les hommes politiques déclinent leurs valeurs comme si celles-ci avaient un caractère objectif. C’est notamment le cas des fameuses «valeurs républicaines». Les républicains accusent les sceptiques de relativisme sans comprendre que les valeurs, même républicaines, sont toujours relatives à ceux qui y adhèrent. Le philosophe Jean-Luc Marion écrit ceci: «On s’étonne d’entendre la classe politique (ou plutôt on ne s’en étonne même plus tant on sait son ignorance des choses) proclamer fièrement qu’elle « défend ses valeurs », « se bat pour ses valeurs» etc. Car si la liberté, l’égalité et la fraternité tombent au rang de valeurs de la République, elles ne constituent déjà plus rien et partent en fumée comme ces slogans que scandent certains et que d’autres huent». Si elles n’étaient pas relatives à ceux qui les proclament, cela se saurait. Ni Poutine, ni Erdogan, ni Trump, ni le président chinois ne sont républicains. Et chez nous ni Bonaparte, ni Napoléon III, ni Pétain, ne l’étaient. Les «valeurs républicaines» ne sont donc pas universelles, même en France. Du reste, si elles l’étaient, on n’aurait pas besoin de les proclamer en permanence. Le risque encouru par la démocratie est donc la concurrence et la rivalité entre des valeurs qui s’opposent et s’annulent ou du moins se neutralisent. 

Extrait de "L'imposture du vivre ensemble de A à Z" de Paul-François Paoli publié aux éditions du Toucan

L'imposture du vivre-ensemble de A à Z - Paul-François Paoli

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