La musique sera-t-elle l'anti-douleur de demain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La musique pourrait aider à lutter contre la douleur, notamment en permettant la création de dopamine.
La musique pourrait aider à lutter contre la douleur, notamment en permettant la création de dopamine.
©Reuters /Carlos Garcia Rawlins

Un pansement chantant

Et si, dans quelques années, votre médecin vous prescrivait une séance de musique ? Loin d'être improbable, c'est une possibilité à actuellement à l'étude, notamment dans le cadre de pathologie particulièrement douloureuse. En agissant sur le cerveau, la musique permet de sécréter des hormones qui font office d'anti-douleur, de la même façon que l'hypnose.

Michel Dib

Michel Dib

Michel Dib est neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière depuis plus de vingt ans. Membre de la Société Française de Neurologie, il est auteur de plusieurs ouvrages scientifiques et destinés au grand public, notamment Apprivoiser la migraine aux Editions du Huitième Jour.

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Atlantico : D'après des recherches menées par Daniel Levitin, de l'université McGill au Canada, la musique pourrait aider à lutter contre la douleur, notamment en permettant la création de dopamine. Comment l'expliquer ? Quels sont les mécanismes qui se mettent en place dans le cerveau lors de l'écoute de la musique ?

Michel Dib : Pendant l'écoute d'un morceau ou de n'importe quelle piste sonore apaisante, on constate un effet anti-stress qui se manifeste par une chute du taux de cortisol, une hormone stéroïde, mais aussi d'adrénaline. Cette baisse entraîne en parallèle d'une hausse des hormones anti-stress que sont, notamment, la dopamine et la sérotonine. Ces modifications-là s'accompagnent mécaniquement d'une augmentation des hormones antidouleur de l'organisme, comme l'endomorphine (soit "morphine interne", littéralement).  Par effet de chaine, la musique provoque donc effectivement un effet anti-stress, qui entraîne lui-même la production d'hormones antidouleur.

En outre, il est important de souligner un autre mécanisme, qui diffère des neuromédiateurs précédemment évoqués. Dans les faits, écouter de la musique permet d'entrer dans un état physiologique comparable à l'hypnose. Cet état hypnotique se renforce pendant l'écoute entraînant ainsi les effets antidouleur connus et réputés de l'hypnose. On connait moins bien les mécanismes qui confèrent à l'hypnose ces vertus, mais on sait que cela passe également par les hormones du stress. L'état hypnotique entraîne aussi une activation de l'inconscient et une baisse de contrôle corporel du conscient. Cet état de détente globale influe sur la douleur : quand on parle d'effet apaisant, c'est d'une action du cerveau dont on parle. Concrètement, il s'agit d'une baisse des hormones susceptibles d'exciter (comme l'adrénaline) tandis que celles qui inhibent (la dopamine, par exemple) connaissent une certaine hausse.

Certains chercheurs comme Sven Bringman estiment que la musique n'est pas assez utilisée de façon thérapeutique. Faut-il s'attendre à des traitements à base de musique ? Est-ce une opportunité crédible ?

Aujourd'hui, la musique ne fait pas l'objet de véritables traitements thérapeutiques. Tout au plus, elle est utilisée comme un traitement d'amateur. Avant de pouvoir l'utiliser dans le cadre de traitements thérapeutiques réels, il est essentiel de passer par des études scientifiques sérieuses et des tests. Il pourrait être intéressant de s'assurer de son effet dans le cadre d'un test en recommandant une durée d'écoute de trois quart d'heure à une heure environ et constater le recul, ou non, de la douleur de façon concrète. De même, on pourrait comparer ses effets à ceux des traitements pharmacologiques actuellement en cours.

Il existe certains domaines ou la musicothérapie est utilisée et avérée comme dans le cadre de la maladie d'Alzheimer, néanmoins cela reste une démarche qui n'est pas tout à fait validée par la science, en l'absence de contrôle scientifique. Pour autant, il ne faut pas croire que la musique ne pourrait pas faire l'objet de traitements à proprement parler à l'avenir : l'hypnose fait aujourd'hui l'objet de recommandations, d'études… Le tout est que ces dernières soit validées et bien menées d'un point de vue méthodologique.

La musique est déjà utilisée dans la lutte contre les troubles du sommeil. Existent-ils d'autres domaines médicaux dans lesquels elle pourrait faire l'objet d'un intérêt particulier ?

Plusieurs domaines pourraient être intéressés par une application concrète et sérieuse de la musicothérapie, pour peu qu'elle ait été validée par le biais d'études scientifiques crédibles. On mentionnait notamment la maladie d'Alzheimer, mais il existe trois axes essentiels à mon sens : les pathologies liées aux stress, celles qui sont provoquent la douleur et enfin celles qui relèvent de l'ordre du trouble cognitif. Particulièrement quand il s'agit de troubles mémoriels.

En parallèle, la musicothérapie pourrait également être utilisée en complément de thérapie plus lourde, essentiellement pour apaiser un patient et calmer sa douleur. Cela existe déjà aujourd'hui, mais c'est loin d'être fréquent. De même, on peut imaginer qu'à la façon de l'hypnose, la musique pourrait être utilisée pour faire appel à des mécanismes de défense interne et d'auto-guérison, notamment en cas de cancer.

Pour que la musique jouisse d'une vraie valeur thérapeutique, quelles sont les conditions qu'elle doit remplir ? Tous les genres musicaux se valent-ils ?

Pour permettre la musicothérapie, la musique doit répondre à trois conditions primordiales (qui peuvent cependant entrer en contradiction). En premier lieu, il est essentiel que la musique corresponde au maximum aux goûts, aux attentes et au désir du patient, sans quoi l'effet s'en verrait diminué. On peut, par exemple, demander au patient de faire une sélection préalable. Ensuite, et ce point prône sur le premier en cas de conflit, la musique choisie ne doit pas être agressive (particulièrement sonore, bruyante). Si elle l'est, elle aura tendance à stimuler et augmenter le taux de neuromédiateurs excitants. Par conséquent, elle n'aura aucun effet apaisant sur le patient (c'est constaté dans le cas d'insomnie : une musique agressive ne favorise pas le sommeil, à l'inverse d'une musique plus calme). Enfin et en troisième lieu, il est important que la thérapie s'inscrive dans une durée relative : chaque séance doit compter a minima 10 minutes ou un quart d'heure et idéalement au moins une demi-heure en moyenne, de façon à ce que l'état du cerveau soit stable et persistant. De façon générale, s'il fallait faire un classement, la musique classique remporterait probablement la palme, tant pour sa durée que pour ses sonorités et ses intonations plus calmes et mélodieuses.

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