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La métropole : aspirateur de population et de richesse et terreau des inégalités
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Bonnes feuilles

Cataclysme climatique, effondrement des énergies fossiles, bombe démographique, désastre écologique, explosion des inégalités : l’humanité fait face au déferlement de cinq vagues historiques. Comme le surfeur devant un immense mur d’eau, il nous faut affronter ces mégavagues, comprendre d’où elles viennent, où elles nous mènent – et les surmonter. Extrait 2/2.

Thierry Lepercq

Thierry Lepercq

Thierry Lepercq dirige l'opérateur d'énergie photovoltaïque Solairedirect.

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Dans une étude intitulée The World’s Cities in 2018, les Nations unies ont documenté l’incroyable ascension des métropoles, définies au sens large comme les agglomérations de plus de 500 000 habtiants. Elles sont au nombre de 1 146, dont 33 mégalopoles  de plus de 10 millions d’habitants. Leur part dans la population mondiale est de 28,7% , deux fois plus qu’en 1990. Leur croissance s’accélère : en 2030, 1 416 métropoles devraient rassembler 33,6% de la population mondiale. A ce rythme, les deux tiers de la population mondiale vivront dans des métropoles à la fin du siècle, alors que les campagnes se seront largement vidées et que les villes de taille petite et moyenne auront végété. En France, 42,5% de la population se regroupe déjà dans 17 aires urbaines de plus de 500 000 habitants, dont certaines sont particulièrement dynamiques, comme Lyon, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes et Grenoble, au moment même où leurs hinterlands ruraux se vident de leurs habitants.

La puissance des métropoles se mesure aussi sur le plan économique. Une étude de l’OCDE de 2016 sur les 30 pays membres de cette organisation fait ressortir que ces métropoles ont un PIB par habitant supérieur de 39% à la moyenne de chaque pays (Europe) et jusqu’à 49% (pour les pays d’Amérique du Nord et du Sud). Le fossé entre les métropoles et les autres aires de population devient de plus en plus béant : une étude du think tank américain Brookings Institution sur la répartition de la croissance sur la période 2014-2016 montre que les 300 plus grandes métropoles mondiales ont représenté 21,9% de la croissance de la population mondiale, mais 36,1% de la création d’emplois et 66,9% de la croissance du PIB. Une étude du US Bureau of Economic Analysis fait remonter la divergence à la fin des années 1990. Jusqu’alors et pendant des décennies, la différence de PIB par habitant entre les 1% de zones les plus riches et la moyenne était restée stable aux alentours de 35%. En 2008, cette différence avait brutalement augmenté pour atteindre 58%. En 2018, elle était de 85%.

Le fossé géographique est encore plus grand si on prend l’angle du patrimoine et pas seulement celui des revenus. En vingt ans, l’immobilier à Paris et dans quelques-unes des métropoles françaises les plus attractives a plus que quadruplé, alors qu’il a régressé dans les zones rurales, provoquant une divergence très prononcée des patrimoines en fonction du lieu de résidence.

A plus de 11 000 euros au premier trimestre 2020, le mètre carré parisien se situe près de dix fois au-dessus des zones rurales, alors que le rapport n’était que d’un à trois en 2000. Ce phénomène des retrouve à des degrés divers dans toutes les métropoles, et témoigne tant de l’attractivité de ces territoires que des contraintes pesant sur la construction de nouveaux logements. Aucun pays n’échappe à cette tendance. L’Allemagne, célèbre pour sa tempérance économique et son équilibre géographique, a connu au cours  de la dernière décennie une brutale dissociation des prix de l’immobilier entre les grandes métropoles (Berlin, Hambourg, Munich), où ils ont plus que doublé, et les zones rurales (surtout dans l’est du pays), où ils ont lourdement chuté. Dans les pays émergents, la tendance est encore plus marquée. Depuis 2003, le prix du mètre carré a quadruplé dans la mégalopole de Shanghai (24,2 millions d’habitants) pour atteindre 7 700 dollars, un niveau à mettre en rapport avec le PIB par habitant en Chine, qui reste trois fois inférieur à celui de l’Europe.

Au-delà de l’immobilier, les métropoles absorbent une part toujours plus importante des flux de capitaux : sièges d’entreprises, création de start-ups, banques… Les villes les plus puissantes et les plus influentes (Londres, New York, Paris, Shanghai, Tokyo, Hong Kong, Singapour, Mumbai, Sao Paulo, Dubaï) sont souvent les plus grands centres financiers.

La hausse de l’immobilier dans les métropoles a des effets pervers de plus en plus marqués. Le revers de la médaille de l’attractivité et la réussite économique est que la vie est souvent devenue inabordable pour les catégories les plus modestes, les loyers suivant le prix du mètre carré avec un léger décalage. Ainsi, le loyer mensuel médian atteignait, début 2020, 2  020 dollars à Londres,  2 550 à Hong Kong, 2 570 à New York et jusqu’à 3 100 dollars à San Francisco, un niveau hors de portée pour une large part de la population qui, faut de logement social, est obligée de s’exiler en lointaine périphérie ou d’accepter de vivre dans de très petits espaces. Les médias ont rapporté les cas édifiants de location de couchettes dans des espaces rassemblant des dizaines de personnes qui ont pourtant des salaires proches de la moyenne. Le développement exponentiel de la colocation, très prisée des jeunes adultes, en est un autre symptôme. Dans certaines conurbations, comme en Californie, la crise du logement est devenue une crise des sans-abri : à Los Angeles, leur nombre a a augmenté de 50% entre 2011 et 2019 pour atteindre 58 900 personnes. Les sans-abri sont encore plus nombreux à San Francisco, proportionnellement à la population.

En dépit de ce grave problème social qu’est le logement, l’avantage des métropoles sur les zones périphériques semble aussi patent en matière de santé et de longévité. Aux Etats-Unis, il y avait en 2016 plus de six ans de différence d’espérance de vie entre les aires métropolitaines de New York, Los Angeles et San Francisco (respectivement 81,2, 81,9 et 82 ans) et les Etats les plus ruraux que sont le Mississippi et la Virginie-Occidentale (75 et 75,8 ans), alors que cette différence n’excédait pas trois ans en 1980. En Chine, le fossé urbain/rural est encore plus important : des villes comme Shanghai et Nanjing  ont des espérances de vie supérieures à 83 ans, alors qu’elle n’est que de 72 ans dans une province rurale comme le Gansu. C’est effectivement en ville que se concentrent les meilleurs infrastructures médicales, alors que les modes de vie des zones rurales se dégradent progressivement partout dans le monde (obésité, alcoolisme, toxicomanie), favorisant le développement de pathologies comme le diabète. Pourtant cette différence masque un autre phénomène : la disparité encore plus grande de situation sanitaire et d’espérance de vie à l’intérieur même des métropoles. Une étude américaine conduite par l’organisation City Health Dashboard a constaté que le quartier huppé de Streeterville à Chicago bénéficie d’une espérance de vie de 90 ans contre 60 ans seulement pour le quartier déshérité d’Englewood, frappé par la discrimination raciale, le chômage, la criminalité, la toxicomanie et un système de santé défaillant.

L’irruption de la pandémie de Covid-19, qui a durement frappé certaines mégalopoles, repose néanmoins la question : et si les campagnes redevenaient attractives avec le développement du télétravail ? La réponse est simple : les emplois adaptés à cette pratique sont par essence métropolitains. Souvent hautement qualifiés (conseil,  ingénierie, technologie, design), ils permettent à des privilégiés de se délocaliser – généralement une partie du temps – dans des lieux bien connectés où la qualité de vie est meilleure qu’en ville. Une étude réalisée en mai 2020 par le New York Times sur la base des données géospatiales en offre une illustration saisissante : alors que la quasi-totalité des 80% d’habitants aux plus faibles revenus sont restés en ville pendant l’épidémie, plus d’un tiers des 1% de New Yorkais les plus riches se sont réfugiés dans leurs résidences de campagne ou de bord de mer. Cette émigration des villes n’a donc rien d’un exil : elle est juste une manifestation de plus des avantages dont disposent les plus aisés dans le choix de leur lieu de vie et de travail. La métropole de demain aura probablement ses satellites en pleine nature, permettant à une élite hyper-communicante de bénéficier d’un cadre de vie agréable tout en restant intégrée dans des écosystèmes mondialisés.        

A lire aussi : Niveau des océans et risque de déluge le nouveau défi de l’humanité

Extrait du livre de Thierry Lepercq, "Mégavagues - Scénario pour un monde post-carbone", publié aux éditions Dunod

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