La lourde responsabilité des banques centrales dans la propagation mondiale du krach boursier chinois<!-- --> | Atlantico.fr
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La bourse chinoise s’est effondrée de 8,5% dans la journée de lundi 24 août.
La bourse chinoise s’est effondrée de 8,5% dans la journée de lundi 24 août.
©Reuters

Stupeur et tremblements

Les grandes places financières dans le monde surveillent avec attention la bourse chinoise. En effet, un soubresaut à Pékin peut affoler les autres marchés mondiaux, notamment celui de l'Europe. Et ce ne sont pas les banques centrales qui arrangent la situation.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Alors que la situation du marché chinois avait provoqué la chute des bourses mondiales en début de semaine passée, la situation semble s'être stabilisée, notamment à la suite des réactions des différentes banques centrales à travers le monde, Etats Unis, Chine et Europe. Comment expliquer ce phénomène ? Ces réactions ont-elles été appropriées ?

Mathieu Mucherie : Les marchés ont été secoués cet été parce qu’en amont les banquiers centraux n’avaient rien fait pour les rassurer :

-          « forward guidance » lamentable de la part de Yellen : nous sommes fin août 2015 et nous attendons depuis des lustres pour savoir si une frappe de taux va intervenir en septembre 2015 (on trouve presque plus de visibilité chez une banque centrale vénézuélienne), on ne connait toujours pas le programme pour la gestion du bilan de la FED (4,5 trillions de dollars à gérer en extinction ou à maintenir ?), etc. Le comité de politique monétaire est balkanisé à un point jamais vu depuis les années 70 (certains voudraient dans 18 mois des taux directeurs à 0,25%, d’autres à 4%, ce n’est pas la même histoire). Les anticipations se désancrent vers le bas (le marché fait de moins en moins confiance dans la capacité à atteindre 2% d’inflation/an, même sur des horizons lointains), et cela n’empêche pas tout ce beau monde d’aller s’auto-congratuler à Jackson Hole pendant que Rome brûle,

-          absence totale de clarté de la part de la BCE, ce qui, il est vrai, est plus habituel, business as usual. Les contours thématiques et temporels du Quantitative Easing (QE) lancé en janvier dernier ne sont toujours pas bien précis (va-t-on enfin inclure la Grèce et des obligations corporates dans le programme d’achats ? quid de l’échéance de septembre 2016 ? etc.). La cible à 2% devient de plus en plus irréaliste, et la baisse de l’euro est insuffisante. Les opérateurs de marché sentent bien que l’Allemagne n’ira pas beaucoup plus loin en matière de prise en compte du monde réel, et que la BCE cherchera le plus possible à poursuivre sa stratégie hypocrite de passager clandestin,   

-          le Japon, qui certes fait enfin le job monétaire depuis 3 ans, mais qui laisse parfois entendre qu’il n’est pas si déterminé que cela à reflater l’économie (durcissement budgétaire de 2013-2014, propos craintifs vis-à-vis de la baisse du Yen en 2015, etc.)

-          les autorités chinoises, confrontées depuis plus de 3 ans à un ralentissement net et indubitablement déflationnistes (surcapacités, deleveraging,…), ont préféré la politique des petits pas avec des petites baisses de taux et des efforts via les banques ou via le budget. Il a fallu attendre une panique boursière pour que l’arme des taux de changes soit enfin employée, et encore, à dose homéopathique, rien à voir avec 1994, et rien susceptible de compenser l’appréciation en termes réels de la dernière décennie (graphique ci-dessous). On est très loin du monde chinois inflationniste prévu par Jean-Marc Daniel il y a trois ans, et la thérapie a un arrière-goût de trop peu trop tard.    

Pour autant, les banques centrales ont-elles réellement les moyens de lutter avec efficacité, et sur le long terme, à la dégradation de la situation chinoise ? Ne s'agit-il pas d'une simple course en avant ?

Nul besoin pour nos banquiers centraux eurolandais de contrecarrer le ralentissement chinois : avec en zone euro 12% de chômeurs, une inflation à 0,2% qui s’éloigne de la cible BCE à 2% depuis des années, et des anticipations qui se désancrent, les raisons d’agir plus et d’agir mieux monétairement existent déjà, indépendamment du contexte (désinflationniste) international, contexte qui (soit-dit en passant) a commencé sa détérioration (on le voit dans les statistiques du commerce international et du prix des matières premières, notamment) à partir de mi-2008 et de mi-2011, c’est-à-dire à chaque fois après des hausses de taux de la BCE…

Avec sa stratégie mercantiliste germanique et son banquier central hyper-indépendant, la zone euro est l’homme malade de l’économie mondiale, un trou noir déflationniste et une zone de production de boucs émissaires faciles (il est plus facile de blâmer la Chine que de s’interroger sur notre passivité monétaire) ; idem aux USA, où les exportations vers la Chine progressent mais ne pèsent pratiquement rien : les reproches que l’on peut faire aux chinois ne sont rien par rapport à ceux que l’on peut faire à la FED :

Quelles sont les autres mesures à mettre en œuvre afin d'éviter une propagation, ou un durcissement de la crise en cours ?

First thing first. Tout est monétaire. Tout converge vers la déflation depuis 2007. Toutes les autres explications et solutions, budgétaristes ou structuralistes, confinent à la diversion et à la tartufferie. Seules les mesures monétaires font sens, sont assez rapides pour avoir une chance d’être contra-cycliques et sont à la mesure des enjeux, qui se chiffrent en trillions. Si l’essor de l’offre productive était la priorité dans une phase de sous-utilisation des facteurs de production existants, nous le saurions. Si la relance budgétaire et les programmes d’infrastructures pouvaient nous sortir de la déflation, alors le Japon des années 90 serait un modèle de sortie de crise.

Comme dans les années 30, il faudra reprendre en main les banques centrales, les forcer à agir (changement de la cible, taux négatifs, achat d’actions, etc.), dévaluer quand il le faut, et ne pas perdre du temps avec des réformes de fond comme l’amélioration des dessertes pour les lignes d’autocars entre le Gers et les Ardennes.     

En attendant, une contagion ne peut être évitée que par des mesures monétaires. Les chinois s’en chargent, un peu comme Greenspan avait baissé 3 fois ses taux en 1998, et les européens discutent pendant ce temps du sexe des anges, comme en 1998, comme en 1987, comme en 1931, les exemples sont trop nombreux pour être cités ici. Il nous faudrait des Rommel et des Patton de la politique monétaire, nous n’avons que des Gamelin.

Est-il possible de comparer cette situation à celle de 2008 ? Ou celle de 1987 ? En quoi un crach boursier est-il susceptible de se propager à l'économie réelle ?

La distinction sphère financière / « économie réelle », m’a toujours fait rigoler, c’est une vieille blague de nos manuels d’économie marxistes : des corrections de 10% et + sont très rares en dehors des périodes précédant une récession ; en fait sur le S&P500 on en dénombre que 13 au cours des 65 dernières années.

Ce n’est pas ici un krach boursier épisodique, c’est une vaste déception, qui en réalité ne concerne que les actions de la zone euro (la Chine est encore à +30% sur 12 mois, les actions US et UK vont très bien depuis 2009, et celles du Japon ont plus que doublé en moins de 3 ans) : les valeurs eurolandaises n’ont gagné qu’une quinzaine de pourcent depuis janvier, c’est très peu après l’annonce d’un QE de 1100 milliards d’euros différé pendant plus de 6 ans et auquel on ne croyait presque plus.  

Rien à voir avec 2008 (c’est moins grave, quoique plus lent donc plus insidieux), rien à voir avec 1987 (Greenspan avait calmé le marché en quelques jours).

C’est toujours un mauvais signe de voir des actions qui chutent, c’est le plus souvent un message de resserrement monétaire. N’oublions pas que les taux ne baissent plus depuis quelques mois en zone euro, que l’euro ne baisse plus non plus (il se renforce même vu la dégringolade des émergents) ; nous vivons un resserrement passif, lié à la passivité de la BCE (prévisions archi-optimistes, refus des taux négatifs, QE du chien crevé au fil de l’eau), et bien inquiétant quand l’inflation sur les biens et services se situe déjà à 0%, quand les prix à la production font -2% chaque année et quand l’immobilier fait -4%.

Dans ce contexte les marchés sont en fait plutôt calmes et indulgents, ils attendent encore d’être rassurés par la FED (un report de la frappe mi-septembre serait un minimum, d’un strict point de vue économique un QE4 se justifierait) puis peut-être par la BCE. Si ces banques continuent en septembre de jouer du pipeau sur l’air bien connu de la diffraction du blâme, de la focalisation sur les moyens plutôt que sur les objectifs et sur le mandat, des « bulles qui menacent » (en pleine déflation !) ou de « l’inflation qui pourrait revenir un jour via les salaires » comme dans les légendes néo-keynésiennes pleines de courbes de Philips, alors il faudra s’attendre partout à un hiver horrible, surtout dans un pays comme la France fragilisé depuis le départ de François Rebsamen !!

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