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Le témoignage d’un évêque du Kazakhstan sur la situation des chrétiens dans les ex-républiques soviétiques
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Bonnes feuilles

Paul Bablot publie "Du mékong à la place Saint-Pierre" (éditions Première partie). Après une année de volontariat avec les Missions Étrangères de Paris en Thaïlande, il s’est lancé le défi de rentrer à vélo à Paris. Paul Bablot retrace ses rencontres avec les communautés chrétiennes sur la route entre l’Extrême-Orient et l’Occident. Extrait 2/2.

Paul Bablot

Paul Bablot

Paul Bablot est consultant. Il a été volontaire dans le nord de la Thaïlande avec les Missions Etrangères de Paris. Il est diplômé d’un Master Business Consulting de l’Université Paris Dauphine. Paul Bablot a publié "Du Mékong à la place Saint-Pierre, 20.000 km à la rencontre des Chrétiens" (ed. Première partie). 

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Dimanche 12 février 2017, J81. Almaty 

Presque une semaine que je suis bloqué, ça n’est que le début. Il va falloir prendre son mal en patience. 15 jours a minima pour un passeport, m’a-t-on dit au consulat de France. Et encore après, il faudra lancer les demandes de visas pour les pays suivants… Je ne suis pas encore sorti de ces galères administratives qui plombent le quotidien des voyageurs ne souhaitant que rouler. J’en profite pour rencontrer les différentes Églises et visiter les édifices. La cathédrale orthodoxe de l’Annonciation est absolument magnifique. Toute de bois et construite à l’aube du XXe siècle, elle rayonne par sa couleur crème au milieu d’un parc enneigé. Personne ne parle anglais, pas la moindre indication dans cette langue, encore moins en français. Cela s’annonce compliqué de pouvoir échanger avec les orthodoxes. Au moins, je pourrai essayer de revenir un peu plus tard. 

Avec quelques difficultés, je trouve l’évêché catholique. Une discrète porte fermant un porche en demi-lune semi-enterré. Sur les côtés, discrètement sculptés dans la pierre et en vis-à-vis, le christogramme et celui du blason de l’évêque. Le père Paul Miky m’accueille avec un grand sourire, visiblement ravi de me voir. Nous prenons date pour un rendez-vous quelques jours après avec l’évêque Mgr Mumbiella da Sierra, espagnol et membre de l’Opus Dei, missionnaire au Kazakhstan depuis 20 ans. Je partage ici l’échange sous forme d’entretien que j’ai pu avoir avec lui :

Paul : Quelle est la vie d’un diocèse dans un pays d’Asie centrale, durablement marqué par le communisme et les influences de Tamerlan et Gengis Khan ?

Mgr : Tout d’abord il faut savoir que le Kazakhstan est un pays qui a été évangélisé depuis près de 2000 ans ! En effet, au IIIe siècle, des chrétiens venus de Syrie – les Nestoriens – ont commencé à évangéliser l’Asie centrale jusqu’à la Chine. Traversant l’Arménie, l’Iran, ils sont arrivés jusqu’en Chine en traversant le Turkestan. Les historiens s’accordent sur l’établissement de deux patriarcats sous le règne de l’Empereur de Chine Tai Tsung, de la dynastie Tang, en 635. Cependant, il faut attendre le XIIIe siècle pour que la christianisation de l’Asie centrale prenne toute son ampleur. Les franciscains et dominicains sont arrivés par la route de la soie pour fonder des monastères dans ces contrées immenses. La présence chrétienne est donc aussi ancienne qu’en Europe, et bien que les relations diplomatiques avec le Saint-Siège aient été établies avec le Grand Khan, la suite n’a pas donné autant de fruits. Ces liens ont néanmoins permis la conversion de nombreux khans, rois et nobles de haut rang. Le prince Tartare Satar, fils du Khan Batia, est devenu chrétien vers 1254. 

L’érection de la province franciscaine de Terre Sainte en 1217 a été un élément central dans l’envoi de missionnaires ici. Gengis Khan était très ouvert sur le plan de la liberté religieuse et a permis une expansion des chrétiens sous son règne. Le pape Nicolas III a donné un évêque à notre jeune Église, en la personne du franciscain Gérard de Prato en 1278. Cela a permis de structurer l’Église locale avec un diocèse. 

La conquête progressive de l’Islam a empêché la christianisation complète de l’Asie centrale et les monarques chrétiens ont été détrônés au profit des dynasties islamiques. En 1342, le travail des franciscains cesse brusquement lorsque le Khan Ali détruit le monastère de la ville d’Almalik et met à mort l’évêque Richard de Bourgogne ainsi que six moines pour refus d’apostasier. Tamerlan signe la fin de l’expansion du christianisme ici jusqu’au XIXe siècle. S’ensuit une longue période sans évêque pour ces régions, jusqu’à 1997 et l’érection du diocèse de la SainteTrinité d’Almaty dont je suis en charge. Renaissance de l’Église six siècles après, sur le sang des martyrs.

Paul : C’est donc en fait une Église ancienne mais renouvelée que nous avons ici. Quelle est donc la situation actuelle des catholiques à Almaty et au Kazakhstan plus généralement ?

Mgr : Le Kazakhstan a été marqué par la période soviétique puisque de nombreux déportés au goulag y ont été envoyés. Principalement des Allemands et Polonais vivant près de la Volga, catholiques pour la majorité. Ainsi nous avons vu dans les années vingt et trente un afflux de catholiques grâce aux communistes. En cela, Staline a été le plus grand missionnaire pour le Kazakhstan ! En 1905, une première église est créée à Almaty, appelée à l’époque Vierni, mais comme nous l’évoquions ça n’est qu’en 1997 que le diocèse sera créé. Les franciscains reviendront eux dès 1991, immédiatement après l’indépendance, pour refonder le monastère d’Almaty. Le Vatican a établi des relations diplomatiques avec le Kazakhstan rapidement après son indépendance intervenue en 1991. Dès 1994, un nonce était présent à Almaty. 

Les catholiques représentent 1,5 à 2 % de la population, en constante augmentation depuis l’indépendance. Ici, vous pouvez confesser votre foi librement, changer de religion également, ainsi que construire des églises. Il y a une réelle liberté religieuse, qui permet de mener un travail d’apostolat dans des conditions favorables. 

La tâche est immense car, durant la période communiste, des prêtres déportés ont exercé leur ministère d’une façon cachée, baptisant et évangélisant des villages dans le secret. Nous n’avons donc pas d’archives précises de tout cela et avons régulièrement la surprise d’apprendre que telle ou telle famille est catholique, lorsque des prêtres visitent les faubourgs d’Almaty. 

Mgr Alexandre Chira (+ 1983), évêque de Moukhatchevo des gréco-catholiques en Ukraine et déporté à Karaganda a organisé rapidement un véritable diocèse clandestin sur l’ensemble du territoire des républiques soviétiques d’Asie centrale : Kazakhstan, Turkménistan, Ouzbékistan, Kirghizistan et Tadjikistan. C’est grâce à son action discrète et à la bienveillance de certains responsables communistes que des églises ont pu être construites à la fin des années soixante, dont celle de Karaganda. Aujourd’hui nous y avons une cathédrale et un séminaire où 18 séminaristes étudient. Deux prêtres ont été ordonnés l’année dernière. Sans cette Église souterraine, fidèle à sa foi malgré les difficultés immenses, nous n’en serions certainement pas là aujourd’hui.

Paul : Il y a donc une réelle liberté ici, qui n’est pas théorique. Comment peut-on l’expliquer ?

Mgr : Nous sommes ici dans un pays soviétique. Les musulmans sunnites représentent 70 % de la population mais la pratique religieuse est très faible. Les mœurs sont ici presque équivalentes à ce que vous pouvez trouver en Occident. Les 20 % d’orthodoxes représentent une minorité qui a du poids, et le gouvernement Kazakh souhaite surtout que l’intégralité de la population puisse vivre en paix selon ses croyances.

L’État est laïc et contrôle simplement pour assurer la sécurité. C’est une vision russe et orthodoxe de la liberté, qui vise à ce que chacun suive personnellement son chemin. Les élites sont ici d’origine russe et donc plus sensibles à la foi catholique que dans les pays voisins. La volonté d’ouverture au monde aide également.

Extrait du livre "Du Mékong à la place Saint-Pierre, 20.000 km à la rencontre des Chrétiens" de Paul Bablot, publié aux éditions Première partie. 

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