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La justice européenne infirme une nouvelle fois l’argumentation juridique des "libérés" de la sécurité sociale
©Reuters

Pas encore libéré, délivré

Les libérés de la sécurité sociale (les travailleurs indépendants qui décident de ne plus payer leurs cotisations à l’ex-RSI) se nourrissent d’une légende urbaine selon laquelle la France violerait le droit européen en imposant le monopole de la sécurité sociale. Selon eux, la France refuserait d’appliquer la directive de 1992 sur le libre marché de l’assurance, qui inclurait les organismes de sécurité sociale. L’arrêt Jahin, rendu hier par la Cour de Luxembourg, rappelle combien cette argumentation est fumeuse, voire fumiste!

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Dans la foulée de l’arrêt De Ruyter, qui avait interdit de soumettre à la CSG un citoyen de l’Union percevant des revenus en France mais affilié à un régime de sécurité sociale d’un autre pays, le citoyen français Jahin a demandé à bénéficier de la même exclusion parce qu’il est, pour sa part, affilié au régime de sécurité sociale chinois. La Cour de Luxembourg vient de le débouter en rappelant que le principe de libre circulation des capitaux, au titre duquel avait été rendu l’arrêt De Ruyter, ne s’applique qu’aux États membres de l’Union et à la Suisse.

S’agissant d’une affiliation à un régime de sécurité sociale chinois, le financement de la sécurité sociale française demeure obligatoire. Le principe de libre circulation des capitaux en vigueur dans l’Union ne s’applique pas à la Chine. 

Au passage, on notera que le droit communautaire ne fait donc pas obstacle à quelques entorses majeures au principe général de libre-échange…

Les libérés de la sécurité sociale face au règlement européen de coordination 

La Cour de Luxembourg vient donc de rendre une nouvelle interprétation du fameux règlement du 29 avril 2004 sur le coordination des systèmes de sécurité sociale, qui fait lui-même suite à un règlement de 1975. Elle rappelle en particulier le poids de l’article 11 de ce règlement:

"la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre"

Il suffit de lire ce texte noir sur blanc pour comprendre qu’en matière de sécurité sociale, chaque État membre est maître sur ses terres. Imaginer un seul instant que, malgré cette phrase limpide, il existerait des « lois européennes » (comme nous l’avons entendu) qui primerait le droit national relève évidemment du fantasme. 

On rajoutera que l’article 1 du règlement prévoit explicitement:

"l) le terme «législation» désigne, pour chaque État membre, les lois, règlements et autres dispositions légales et toutes autres mesures d’application qui concernent les branches de sécurité sociale visées à l’article 3, paragraphe 1.

Ce terme exclut les dispositions conventionnelles autres que celles qui servent à la mise en oeuvre d’une obligation d’assurance résultant des lois et règlements visés au point précédent ou qui ont fait l’objet d’une décision des pouvoirs publics les rendant obligatoires ou étendant leur champ d’application, pour autant que l’État membre concerné fasse une déclaration en ce sens, notifiée au président du Parlement européen et au président du Conseil de l’Union européenne. Cette déclaration est publiée au Journal officiel de l’Union européenne;

Autrement dit, l’article 1 du règlement européen prévoit bien l’existence de régimes de sécurité sociale rendus obligatoires par des lois ou par une déclaration de chaque État membre au Parlement et au Conseil européens lorsqu’il s’agit de procédures conventionnelles (ce fut le cas de l’AGIRC et de l’ARRCO)."

Le texte communautaire ne souffre donc d’aucune forme d’ambiguïté: un État peut décider de rendre obligatoire un régime de sécurité sociale, dès lors qu’il en fait la déclaration à l’Union. Peu importe la forme qu’il ait dû respecter en interne pour le faire. 

On ajoutera que cette possibilité de rendre un régime obligatoire se fonde sur un principe de solidarité. Un État membre ne peut, dans le domaine de la protection sociale, imposer un régime qui ne serait pas solidaire, c’est-à-dire qui n’assurerait pas les mêmes prestations à tous.

Que faire quand on veut se libérer?

On mesure immédiatement l’impact de cette décision rendue hier (mais qui confirme des « sous-jacents » sociaux vieux de quarante ans) sur tous ceux qui soutiennent avec une naïveté qui relève parfois du fanatisme aveugle que « les lois françaises sont illégales parce qu’elles violent les lois européennes » (autre verbatim tiré de multiples conversations avec certains libérés). Une fois de plus, le juge européen ne laisse planer aucune ambiguïté sur le droit que conserve chaque État-membre d’instaurer des régimes obligatoires de sécurité sociale, auxquels doivent même contribuer des Français installés en Chine et affiliés à un régime chinois de sécurité sociale. 

C’est évidemment par un terrible abus de confiance que certains travailleurs indépendants (notamment des médecins) sans aucune formation juridique ont pu soutenir le contraire. Peut-être ceux-là étaient-ils convaincus que, titulaires d’un diplôme de médecine, ils étaient aussi détenteurs de la science infuse et pouvaient balayer d’un revers de la main les arguments juridiques les plus élémentaires qu’un titulaire de licence serait capable de comprendre. 

Qu’importe! en attendant, la décision de la Cour de Justice rappelle que le seul avenir pour la « libération » passe par un combat politique rationnel pour obtenir un changement des règles du jeu. Tout invocation magique du droit communautaire au bénéfice de cette cause est aussi suicidaire que la roue du Temple Solaire. 

Il devient donc urgent, pour tous ceux qui croient au caractère toxique d’une protection sociale transformée en outil de domination « solidaire », de changer de stratégie et d’unifier leurs forces pour mener un combat politique crédible. Car on peut se tromper en défendant une cause. Mais répéter inlassablement les mêmes arguments battus en brèche par d’innombrables décisions de justice n’est plus de l’erreur, mais de la persévérance dans l’erreur. 

Et comme chacun le sait, perseverare diabolicum est.

Article publié initialement sur le site Entreprise.news

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