La guerre des sables : la lutte contre le terrorisme au sein de l’Opération Barkhane<!-- --> | Atlantico.fr
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Un soldat français engagé dans le cadre de l'Opération Barkhane.
Un soldat français engagé dans le cadre de l'Opération Barkhane.
©MAIMOUNA MORO / AFP

Bonnes feuilles

Michel Goya publie « Le temps des guépards : la guerre mondiale de la France de 1961 à nos jours » aux éditions Tallandier. Depuis 1961, la France a mené 19 guerres sur 3 continents ainsi que 13 grandes opérations militaires de police internationale. Elle est actuellement la seule nation européenne à combattre, au Sahel et au Proche-Orient. Elle est la seule à avoir des soldats en permanence dans les rues de ses grandes villes depuis 26 ans. Les soldats français sont les plus engagés au monde. Extrait 2/2.

Michel Goya

Michel Goya

Officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine, Michel Goya, en parallèle de sa carrière opérationnelle, a enseigné l’innovation militaire à Sciences-Po et à l’École pratique des hautes études. Très visible dans les cercles militaires et désormais dans les médias, il est notamment l’auteur de Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Les Vainqueurs et, chez Perrin, S’adapter pour vaincre (tempus, 2023).

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À la fin de l’année  2013, tous les objectifs du plan de stabilisation du Mali élaboré en 2012 ont été atteints. Les élections présidentielles et législatives ont eu lieu, la mission des Nations unies, la Minusma, est en place avec des moyens considérables et EUTM commence à former les bataillons maliens. À la suite des accords de Ouagadougou en juin  2013 entre le gouvernement malien et différents groupes touaregs, les forces armées maliennes ont même réinstallé prudemment des garnisons dans le nord du pays. Les groupes armés terroristes (GAT), nouveau nom donné par la France aux organisations salafo-djihadistes, ne se sont pas encore remis des coups portés.

On sent cependant que tout cela est fragile face à un très probable retour de groupes rebelles, djihadistes ou non. Un millier d’hommes bien armés, un peu compétents et surtout motivés et bien encadrés, suffisent dans la région pour déstabiliser un État faible. C’est fondamentalement pour faire face à un tel retour que l’on maintient un dispositif militaire au Mali que l’on intègre avec les forces françaises présentes au Tchad et au Niger pour former l’opération Barkhane le 1er août 2014 avec toujours en parallèle l’opération Sabre des forces spéciales.

Un objectif ambitieux… mais des moyens limités

Au lancement de l’opération Barkhane, il était question d’« empêcher la reconstitution de zones refuges pour les terroristes ». Puis, lorsque l’ennemi a effectivement pris le contrôle de certaines zones, on a simplement parlé de « lutter contre les organisations terroristes », ce qui ne veut plus dire grand-chose. On peut néanmoins résumer cette mission de la manière suivante : en considérant que la déstabilisation du centre-Sahel pourrait avoir des conséquences graves pour les intérêts et la sécurité de la France et du reste de l’Europe, il s’agit de contenir l’activité des GAT à un niveau de menace faible jusqu’à ce que les forces armées locales puissent assurer elles-mêmes cette mission dans le cadre d’une autorité restaurée des États sur l’ensemble de leur territoire.

C’était très ambitieux, mais l’échelon politique n’était alors pas très inquiet. L’usure de l’opinion publique passe d’abord par nos pertes, or lorsque Barkhane est lancée en août  2014, la dernière mort d’un soldat français au combat date du 29  avril 2013. Dans un discours prononcé à N’Djamena le 1er janvier 2014, le ministre Le Drian fustigeait les « experts autoproclamés » qui avaient averti d’un possible enlisement en Centrafrique et au Mali, en concluant que dans ce dernier cas « l’histoire leur avait donné tort ». Et pourtant… Sangaris durera trois ans et non six mois comme annoncé et on combat toujours au Mali huit ans après cette déclaration.

On s’inquiète tellement peu que l’on réduit les forces au Sahel à moins de 3 000 hommes, dont un millier au Mali, et que l’on n’hésite pas à s’engager en même temps dans trois autres grandes opérations ailleurs tout en continuant à réduire les effectifs et les crédits. Barkhane, c’est sensiblement la moitié de Serval pour un théâtre d’opérations beaucoup plus grand. On dispose d’une force aérienne, basée à Niamey et N’Djamena, forte de 6 à 7 avions de combat, d’une dizaine d’avions de transport divers, de quelques avions de renseignement et, depuis 2014, enfin, de 3 drones MQ 9 Reaper achetés aux Américains. La force de raid aéroterrestre est composée des forces spéciales de Sabre et d’un « groupement tactique aérocombat » basé à Gao avec une vingtaine d’hélicoptères divers, dont des britanniques et danois selon les époques, d’une compagnie d’infanterie aéromobile de 80 hommes. Il y a enfin deux « groupements tactiques désert » de troupes blindées légères, un au Mali et un autre dans la zone Tchad-Niger, et un groupement logistique.

L’ensemble est réparti sur quatre nations du G5  Sahel avec N’Djamena comme base aérienne principale et siège du poste de commandement, Niamey comme deuxième base aérienne et pôle principal de renseignement et Gao au Mali comme centre de gravité des forces aéroterrestres. Une petite dizaine de bases secondaires ou temporaires complètent le dispositif au Tchad et surtout de Gao vers l’Algérie, la Libye et la zone des « trois frontières » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger ou Liptako-Gourma.

Outre la participation directe de quelques armées européennes, Barkhane travaille en coopération avec les autres acteurs militaires de la région, le commandement américain régional qui fournit une grande partie du renseignement, notamment à partir de la base d’Agadez au centre du Niger, et aide au ravitaillement en vol de nos appareils, la Minusma qui appuie logistiquement Barkhane, EUTM, les forces armées nationales, et enfin la force commune des pays du G5 Sahel créée officiellement en février 2017 avec qui un état-major de coordination a été mis en place récemment à Niamey. Barkhane et toutes ces forces sont désormais rapidement devenues interdépendantes dans une sorte de « mikado » militaire dont il est difficile de sortir une pièce, surtout Barkhane, sans le voir s’effondrer.

En face, les différents groupes armés djihadistes savent bien qu’ils ne peuvent se présenter longtemps en nombre sur un point sans se faire repérer et écraser par les Français. Ils pratiquent donc ce que l’historien américain Stephen Biddle qualifie de stratégie fabienne, en référence au consul et dictateur romain Fabius Maximus qui a affronté Hannibal sans grandes batailles. Nos ennemis savent aussi que pour nous vaincre, il suffit de tuer des soldats français. Ce n’est pas facile, mais quelques dizaines de morts français, peut-être un peu plus selon le degré de résilience de la nation, devraient suffire à faire rejeter l’engagement par l’opinion publique. Pour les groupes armés, le vrai champ de bataille contre les Occidentaux se joue dans les perceptions.

Avec des moyens humains très limités en nombre, Barkhane ne peut tenir aucun terrain et protéger la population contre l’ennemi dans la durée. Comme l’ennemi refuse la plupart du temps le combat, la seule stratégie possible est celle de la pression : depuis le sol et surtout depuis le ciel, Barkhane ne peut que traquer et donner des coups sur de petits éléments ennemis en espérant, par effet de cumul, réduire la capacité des groupes djihadistes jusqu’à un stade où elle ne pourra plus être reconstituée. Au-delà d’un certain seuil de pression, l’ennemi aura du mal à remplacer ses pertes et surtout ne pourra plus capitaliser d’expérience. Ses cadres seront probablement moins bons et il perdra en qualité tactique. Finalement, il sera réduit à une menace résiduelle ou poussé à capituler.

L’inconvénient majeur de ce mode opératoire est qu’en deçà de ce seuil de pression, les effets sont plutôt contreproductifs. Une organisation armée qui n’est pas suffisamment écrasée se renforce par l’incitation à la mobilisation, l’apprentissage et l’innovation ainsi que, surtout, la capacité à accumuler et à diffuser de l’expérience. Or, la pression de Barkhane est initialement faible, avec à peine une dizaine de combattants ennemis éliminés par mois jusqu’à la fin de 2017. Les organisations armées sont réduites, quelques centaines de combattants permanents pour chacune, mais il leur suffit de recruter dix volontaires de plus chaque mois dans tout le Sahel pour compenser les effets de Barkhane. L’élimination des chefs peut avoir plus d’effets, mais ceux-ci sont immanquablement remplacés aussi et pas forcément par des plus mauvais.

Dans l’immédiat, en 2014, on ne perçoit pas cette insuffisance. L’ennemi a subi de lourdes pertes avec Serval et met du temps à reconstituer ses forces. On lui impose peu de pression mais, en retour, il nous inflige relativement peu de pertes. Jusqu’au mois de novembre 2019, on compte un soldat français tué tous les trois mois en moyenne, souvent par accident, et avec peu de pertes groupées, celles qui provoquent des débats en France. On est donc persuadés que les choses vont plutôt bien et que l’on peut attendre la « relève » des forces locales. Le problème est qu’il faut beaucoup plus de temps à cette relève pour arriver que l’ennemi n’en met à se reconstituer.

A lire aussi : Quel bilan tirer de l’engagement militaire de la France en Afghanistan ?

Extrait du livre de Michel Goya, « Le temps des guépards : la guerre mondiale de la France de 1961 à nos jours », publié aux éditions Tallandier.

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