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La guerre aux pets : ce nouveau régime alimentaire pour les vaches beaucoup moins dommageable pour l’environnement
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Vent nouveau sur la planète

En Colombie, des éleveurs de bovins ont testé une solution pastorale plus respectueuse de l'environnement, qui consiste à nourrir les bêtes avec du tournesol mexicain, qui se présente sous forme de gros buissons, plutôt qu'avec de l'herbe, le tout sous un couvert arboré.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : En quoi est-ce une solution valable face aux défis environnementaux posés par l'élevage ?

Bruno Parmentier : Les ruminants ont un avantage considérable pour cohabiter pacifiquement avec les humains, ils mangent et digèrent directement du végétal qui ne sert pas à l’alimentation humaine : de l’herbe (et du foin l’hiver) et plus généralement des fourrages à base de graminées, de luzerne, de maïs, de colza, ou même de résidus d’autres cultures comme de la pulpe de betterave ou le tourteau de colza, etc. Ils ont également besoin de protéines, qu’ils trouvent directement dans les pâturages, car dans une belle prairie de montagne cohabitent plusieurs dizaines de plantes complémentaires apportant chacune leurs éléments nutritifs. Mais quand ils sont à l’étable, en particulier l’hiver, il faut leur donner des légumineuses comme du soja, et divers compléments alimentaires. Résultat, en Europe, on importe massivement du maïs et du soja (OGM) d’Amérique Latine pour élever nos animaux, et on a transformé nos herbivores en granivores, en concurrence alimentaire directe avec nous !

Mais… à force de multiplier les troupeaux, on arrive à notre quota maximum de ruminants sur la planète. Le surpâturage transforme les savanes en déserts (le Sahel se transforme en Sahara, la Mongolie en Désert de Gobi, et l’Australie se désertifie). Dans les zones tropicales, on déforeste à tour de bras, et, dès que les terrains sont pentus, la terre s’écoule dans les rivières et part dans la mer. Dans de nombreuses régions du monde, on passe donc de la forêt aux ruminants, et des ruminants au désert, et on arrête ainsi rapidement de fixer du carbone et de refroidir la planète !

De plus, le processus de digestion de ces fourrages produit malheureusement une grande quantité de méthane (pété ou roté…), un gaz 23 fois plus réchauffant que le gaz carbonique ! On estime ainsi que l’élevage de ruminants est une des activités qui réchauffent le plus la planète.

En la matière, il faut donc absolument innover ! D’une part via l’agroforesterie. On sait depuis longtemps en Normandie que le cidre se marie parfaitement avec le camembert, et on élève les vaches sous les pommiers, une association parfaitement bénéfique. C’est encore plus vrai dans les régions tropicales où le rayonnement solaire est considérable et la chaleur excessive. Il faut donc remettre un peu partout et systématiquement les ruminants sous les arbres.

Ils ont, dans cet essai qui concerne 4 000 fermes, expérimenté le « tournesol mexicain » (Tithonia diversifolia). Il semble que cette plante soit miraculeuse : vivace, on n’a pas besoin de la semer chaque année, extrêmement robuste, à croissance rapide, très recouvrante (elle monte à 2 à 3 m de haut), riche en protéines, résistante à la sécheresse, elle est capable en plus de fixer directement l’azote de l’air, de fertiliser les sols en y apportant azote et phosphore, et de servir d’insecticide naturel !

L’érosion est beaucoup mieux contrôlée. Et ces régions se remettent à fixer du carbone atmosphérique tandis que la fertilité des terres augmente.

Il est encore trop tôt pour en tirer des leçons définitives, on n’en est qu’aux premières publications scientifiques. Mais cette expérimentation montre que l’innovation reste encore possible, et nécessaire, en alimentation animale comme dans les autres secteurs de l’agriculture, pour réussir à la fois à produire malgré le réchauffement climatique, améliorer la conservation et la fertilité des sols, et fixer du carbone pour refroidir la planète, tout en consommant moins de pesticides.

Quelles sont les démarches principales développées au sein de cette tendance sylvopastorale, à laquelle ce projet se rapporte ?  Quels sont les risques ?

Pour lutter vraiment contre le réchauffement climatique en récupérant le carbone qu’on a émis dans l’atmosphère, il faudrait reforester l’équivalent de 300 millions d’hectares (en forêts ou en haies). On n’en prend pas le chemin puisqu’actuellement on déforeste massivement la planète, à raison de 14 à 18 millions d’hectares par an ! Il faudrait donc changer véritablement de politique. Le sylvopastoralisme prend alors tout son sens, ainsi plus généralement que l’agroforesterie. L’arbre est notre ami, pas un « empêcheur de produire » comme on en était venu à le considérer !

De même, on ne cultive absolument pas assez d’espèces différentes : il existe 30 000 espèces végétales comestibles, mais seulement 30 fournissent 90 % de l’alimentation humaine. Et 15 espèces animales, 90 % de l’élevage. Il faut absolument rediversifier notre alimentation et celles de nos animaux d’élevage, et découvrir ou redécouvrir des plantes utiles, efficaces et résilientes. Celle-ci semble l’être.

Mais attention, elle est très invasive ; chaque plante produit 100 à 200 graines légères que le vent peut emporter loin et qui germent très facilement. Une fois qu’on l’a introduite il devient très difficile de s’en débarrasser. Même si, dans nos contrées, elle craint le gel, elle peut resurgir au printemps du sol où elle s’est protégée l’hiver. Au Cameroun, où on l’appelle Fleur jalousie, elle est la hantise des planteurs à cause de son fort pouvoir envahissant, malgré ses pouvoirs fertilisants et ses nombreuses qualités thérapeutiques…

Ce mouvement a-t-il de l'importance ou est-il encore de taille modeste ? Comment peut-on favoriser son développement ? 

L’expérience évoquée ici est de taille significative, mais néanmoins modeste (à peine 1 % des pâturages de Colombie) ; elle a été financée par diverses organisations internationales ; il y a également eu quelques essais à Cuba et en Afrique. Pour un changement aussi important, et relativement coûteux, des habitudes ancestrales des éleveurs, prévoir quelques délais, et de forts financements internationaux. Mais il faut aussi être sûrs que cette solution est bénéfique à long terme dans les régions où on l’introduit, vu la difficulté de revenir en arrière une fois qu’on a développé ce tournesol. L’histoire de l’agriculture est jalonnée de catastrophes arrivées après l’introduction, volontaire ou non, de plantes trop envahissantes.

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