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La grande hypocrisie d’Emmanuel Macron (et de Marylise Lebranchu) sur la question de la rémunération au mérite des fonctionnaires
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Rond-de-cuir

Le ministre de l'Economie s'est dit favorable le 10 novembre sur Europe 1 à "accroître la part de mérite" dans la rémunération des fonctionnaires, tout en précisant que la performance des employés du secteur public ne pouvait être mesurée comme dans le privé. Une idée approuvée par la ministre de la Fonction publique, Marilyse Lebranchu.

Agnès  Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié est directrice de la Fondation IFRAP(Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques).

Son dernier ouvrage est "Ce que doit faire le (prochain) président", paru aux éditions Albin Michel en janvier 2017.

 

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Tous les métiers de la fonction publique ne relèvent pas forcément de l'intérêt général, et la performance peut aussi passer par une bonne gestion des comptes publics par exemple. Existe-t-il une certaine hypocrisie de la part du gouvernement à considérer que l'intérêt général implique une évaluation différente pour les fonctionnaires ?

Eric Verhaeghe : Avant même d'être hypocrite, c'est surtout très éloigné de la Constitution, et singulièrement de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Son article 15 prévoit en effet que la "Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration". Le principe de l'évaluation des fonctionnaires par les citoyens est donc aussi vieux que la démocratie en France. Dans l'esprit des révolutionnaires, évaluer les fonctionnaires, leur demander des comptes, fait partie du droit naturel des citoyens. Il est assez curieux de voir un gouvernement tortiller autant pour accéder à un droit constitutionnel. Les marges de progrès de l'administration en la matière sont pourtant considérables. Il suffit de prendre l'exemple des enseignants, qui représentent le principal budget de l'Etat et dont personne ne contrôle véritablement la performance. Alors que chaque parent d'élève devrait pouvoir demander des comptes aux enseignants à qui il confie son enfant, ce droit est non seulement ignoré mais lamentablement foulé aux pieds par la corporation, qui se considère comme "prolétarisée" chaque fois qu'il s'agit de rencontrer les parents.

Sur la question de la rémunération au mérite, Emmanuel Macron et Marilyse Lebranchu estiment que l'intérêt général implique une évaluation différente. Mais peut-on dire que tous les métiers de la fonction publique rélèvent de l'intérêt général ?

Eric Verhaeghe : Je ne sais pas exactement ce que signifie "relever de l'intérêt général". Par exemple, une infirmière peut être considérée comme exerçant un métier qui relève de l'intérêt général. Mais on ne voit pas bien pourquoi elle ne pourrait pas être évaluée à ce titre et de la même façon qu'une infirmière d'un hôpital privé. On maintient ici la confusion absurde selon laquelle l'intérêt général est le monopole des fonctionnaires. Mais c'est faux ! je prends l'exemple des infirmières, mais je pourrais là encore prendre l'exemple des enseignants. Il faut nous prouver en quoi un enseignant dans une école maternelle hors contrat de Seine-Saint-Denis (et il y en a énormément...), c'est-à-dire un enseignant du secteur privé pur, participe moins à l'intérêt général qu'un enseignant du service public dans le cinquième arrondissement. Pourtant, tout le monde trouve normal qu'un enseignant d'une école hors contrat soit évalué, alors qu'il participe bien à l'intérêt général. Pourquoi un enseignant public ne pourrait-il pas l'être ?

Agnès Verdier-Molinié : Avec cette question, on revient sur la problématique plus large qui est celle du statut de la fonction publique. Les agents travaillent au service des citoyens et, l’idée la plus répandue en France est que, si ces agents sont embauchés sous statut, la qualité de leur service est meilleure. En réalité, rien ne le prouve et au contraire, tous les pays abandonnent petit à petit les statuts à vie pour des contrats. Pourrait-on dire aujourd'hui qu'un professeur d'une école privée est par définition, parce qu’il n’est pas embauché sous statut, moins bon qu'un professeur du public ? D’ailleurs, la particularité des pays qui ont mis en place une rémunération liée à la performance est que l’emploi à vie n’y existe généralement plus ou uniquement pour les missions régaliennes et les agents y sont embauchés dans les mêmes conditions que les salariés du privé.

Emmanuel Macron et Marilyse Lebranchu font un lien entre performance et finance mais la performance peut-elle s'évaluer autrement ? Par la bonne gestion par exemple (délai pour retranscription des textes, etc...)

Eric Verhaeghe : Le débouché naturel de tout processus d'évaluation est d'améliorer la carrière des plus performants et de pénaliser les moins productifs. Le lien entre performance et finance se situe là. A terme, et pour reprendre l'exemple de la commune qui sanctionne les moins performants, l'idée est bien de mieux payer les fonctionnaires qui travaillent, et de diminuer le salaire de ceux qui ne travaillent pas. Il est amusant de voir les ministres debout sur la pédale de frein quand on aborde le sujet. Intuitivement, on comprend pourquoi. Pour évaluer les fonctionnaires, il faut être deux: un fonctionnaire évalué, et un fonctionnaire qui évalue. L'évaluateur, s'il veut bien faire son travail, devient vite impopulaire, puisqu'il émet des jugements qui pénalisent les moins bons. L'expérience montre que les "managers" publics détestent l'impopularité et se satisfont très bien d'un grand système soviétique où l'uniformité est la règle: tout le monde est beau et gentil, et tout le monde doit gagner autant. C'est à la fois démagogique et confortable.

Agnès Verdier-Molinié : Évaluer la performance d’un agent public est tout à fait possible. Et parfois même plus facile qu’on ne le croit car les bons éléments sont souvent déjà connus notamment dans les écoles ou les hôpitaux. L’évaluation de la performance repose sur des critères identifiés comme l’engagement des agents, la qualité de leur travail mais aussi leur présentéisme. Aujourd’hui, rien de tout cela n’est réellement évalué et on se retrouve avec 34 jours d’absence par agent et par an en région Nord-Pas-de-Calais ou 39 jours à Montpellier... Introduire une dose de rémunération au mérite est un pas en avant mais c’est tout le management de la fonction publique qu’il faut revoir pour le moderniser et le rendre plus efficient. Le risque avec les primes soi-disant au mérite est qu’elles soient accordées assez rapidement à tous comme le sont les primes de la fonction publique d’État.

Quels pourraient être les critères de mesure de la performance dans la fonction publique ?

Eric Verhaeghe : Ils sont évidemment très nombreux, mais certains sont incontournables. Le respect des horaires paraît un minimum. Les fonctionnaires qui ne font pas 35 heures par semaine devraient être durement sanctionnés. Mais d'autres critères essentiels doivent être pris en compte : la disponibilité pour le public par exemple, la qualité de service, l'absentéisme au sens large. Si l'on regarde les gros bataillons de fonctionnaires, des critères spécifiques existent. Les enseignants, qui constituent le gros de la troupe, peuvent être assez facilement évalués sur leurs résultats. Une réforme menée à Boston en a montré l'exemple, avec une prise en compte de la participation à la réussite des élèves, quel que soit leur niveau de base. Les moins bons enseignants sont licenciés, soit 10% annuellement. Ce système est extrême, mais il a le mérite de motiver les personnels concernés. Des procédés similaires pourraient être utilisés en France, en contrepartie d'une revalorisation substantielle des salaires. La méthode permettrait d'éliminer le lot d'enseignants dépressifs ou toxiques pour les élèves aujourd'hui.

Agnès Verdier-Molinié : Beaucoup d’États ont déjà mis en place des évaluations pour lier la performance des agents publics avec leurs rémunérations, cela fait même partie des recommandations de l’OCDE. On peut compter la Suède qui, au début des années 1990 a complètement réformé sa fonction publique, supprimant avec l’appui des syndicats l’emploi à vie et instaurant des salaires liés à la performance. Le salaire lié à la performance a également été mis en place au Royaume-Uni notamment pour les enseignants : depuis 2015, les rémunérations minimale et maximale sont toujours fixées par une grille établie par le gouvernement mais la progression sur cette grille se fait en fonction de la politique établie par l'établissement scolaire, sur la performance (évaluation, évolution des notes des élèves, implication dans la vie administratif de l’établissement, suivi personnalisé des élèves, aides aux devoirs, etc). Cette politique d’évaluation à la performance des agents est également en place en Norvège, en Finlande ou plus loin au Japon, en Australie et aux États-Unis. Le principe est le même partout : des objectifs à atteindre sont fixés sur une période limitée (ou sur la durée du contrat de travail de l’agent) et un suivi annuel est assuré en parallèle.

Y a-t-il d'autres exemples dans d'autres pays (européens ou autres) ?

Eric Verhaeghe : Les exemples ne manquent pas, mais ce qu'il faut trouver, ce sont les exemples qui marchent. Ils ne sont pas forcément légion. Certains pays ont tenté des réformes dans la foulée de l'école dite du New Public Management, qui a beaucoup incité à des privatisations. Les échecs ont été plus nombreux que les réussites. Parmi celles-ci, le consensus s'établit sur les bienfaits des réformes au Canada et en Nouvelle-Zélande. Celles-ci ont reposé sur des diminutions importantes d'effectifs et sur une dynamisation des compétences. En France, une réforme préalable s'imposera: la privatisation massive d'activités aujourd'hui assumées sans raison par l'Etat. Pourquoi faut-il accorder un statut de fonctionnaires à des personnels hospitaliers ou soignants? à des personnels enseignants? Dans un deuxième temps, il faut simplifier l'organisation publique: les préfectures, par exemple, emploient des légions de fonctionnaires peu productifs qui font doublon avec d'autres fonctionnaires. Tout ceci n'a plus de sens. La priorité est ici d'élaguer avant d'évaluer. 

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