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La grande crise de 2008 trouve-t-elle une part de ses racines dans l'expansion économique massive initiée par le président Reagan ?
©Reuters

Effet de bord

Arrivé au pouvoir dans un contexte économique particulièrement difficile, Ronald Reagan a entrepris la mise en place d'un programme dont les mesures se sont avérées être conçues pour du long terme.

Pierre Haas

Pierre Haas

Pierre Haas, après avoir servi comme officier dans les Forces françaises libres du Général de Gaulle, a fait carrière de 1950 à 1965 comme directeur général de Continental Grain France, puis à partir de 1963 à la Banque Paribas comme directeur des affaires financières internationales, puis président de Paribas International.

Il a été membre de nombreux conseils d’administration parmi lesquels on citera : Schneider S.A., Newmont Gold à Denver, Power Corporation du Canada et Power Financial.

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Le gouvernement, en légiférant et réglementant à tout propos l’économie, accroit la difficulté d’en déterminer les facteurs influençant ses orientations.

L’embellie en cours, en créant une situation où le pouvoir et les entrepreneurs s’en adjugent simultanément le mérite, le prouve. La gauche l’attribue au CICE, les chefs d’entreprises à leurs investissements et à leurs prises de risque.

Le respect de la vérité historique oblige à reconnaitre que même si les interventions incessantes de l’Administration constituent une dimension de complication, il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau.

Les mouvements de l’économie ont toujours été sous la dépendance d’un si grand nombre de facteurs, quantifiables et inquantifiables, que depuis le début de son industrialisation, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, il a rarement été possible d’identifier la cause principale d’une tendance.

Constat ayant conduit l’économiste écossais, Adam Smith, en 1756, à couper ce nœud gordien en imputant l’imprévisibilité des marchés à "une main invisible".

Depuis cette géniale formulation, on ne saurait dire le nombre  d’économistes, de philosophes, d’historiens, de penseurs ayant tenté de conceptualiser une théorie des mouvements de l’économie fondée sur des causes rationnelles permettant d’en finir avec le mystère de ceux de la main d’Adam Smith.

Aucun n’y est parvenu. Le plus grand de ces idéologues, Karl Marx, n’a pas réussi à en embrasser la totalité.

Il aura fallu attendre l’entre-deux-guerres pour que le célèbre économiste anglais, John Maynard Keynes, impute, dans une économie de marché, "aux esprits animaux", le caractère imprévisible des motivations du cerveau humain, comme explication des courants, souvent contradictoires, des marchés.

Il en résulte que des mesures, dont l’objectif de relance de la croissance a été atteint, peuvent, dans certaines conditions, par leur durée, avoir un impact sur les "esprits animaux" secrétant des effets collatéraux inattendus, souvent pervers.

Autrement dit, une loi économique peu connue entre en jeu, celle dite des "conséquences inattendues". Le destin du programme de Reagan en est un exemple. Celui-ci, en accédant au pouvoir en février 1981, s’est trouvé confronté à une économie affaiblie par deux hausses successives du pétrole, en 1973 et 1975, ayant porté le taux d’inflation à 11.7%, celui du chômage à 7.4% contre 5.6% en 1979 et réduit la productivité.

Cet ancien acteur de séries B cinématographiques, dont l’élection avait éveillé la méfiance quant à sa capacité à gouverner, n’hésita pas à prendre d’emblée à bras le corps ces dysfonctionnements, en renonçant aux fausses solutions du court terme. Au contraire, il demanda à ses conseillers d’établir un programme correspondant à ses aspirations et à son expérience, c’est-à-dire replaçant au centre du système l’individu responsable et la reconnaissance par l’Administration de l’indivisibilité des libertés politiques et économiques.

Sa politique était de créer un contexte rendant les individus responsables de toutes les fonctions correspondant à leur capacité, en ne laissant au gouvernement qu’une seule responsabilité, celle de mettre en œuvre un environnement stable favorisant l’établissement de plans à long terme par les entreprises.

Approche seule susceptible à ses yeux de libérer les énergies créatrices individuelles.

8 ans plus tard, à la fin de son mandat, Ronald Reagan a pu se targuer, dans son ultime rapport au Congrès, d’avoir enclenché l’expansion la plus longue depuis la dernière guerre, l’activité économique la plus forte depuis 30 ans et remis l’économie américaine sur les rails de la croissance.

19 millions d’emplois avaient été créés et le taux de croissance n’avait jamais été inférieur à 4% par an, alors qu’il atteignait à peine 2,6% au moment de son accession au pouvoir.

L’expansion amorcée en 1983 n’allait être interrompue qu’en 2000 par la crise des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Cette réussite éclatante pose la question de comprendre pourquoi, à la différence des précédentes périodes d’expansion, celle-ci se qualifie parmi les causes de la crise de 2008.

Auparavant, les progrès d’une relance de la croissance étaient généralement modérés et n’éveillaient que l’attention des analystes financiers.

Ayant, dès son lancement, eu un impact spectaculaire sur l’activité économique, la relance reaganienne fait exception à cette règle. La dynamique de son programme ayant restitué aux investisseurs confiance dans l’avenir de l’économie américaine, l’investissement privé (hors immobilier résidentiel) l’a prouvé en passant de $420 milliards à $607.7 milliards fin 2008.

<--pagebreak-->La nature humaine étant ce qu’elle est et ce qu’elle était devenue face à l’augmentation automatique des patrimoines secrétés par la flambée du prix des actions sur le New York Stock Exchanges (NYSE), il était inévitable que les bénéficiaires de ce pactole n’aient songé à l’accroitre.

Résultat facile à obtenir par l’endettement et l’utilisation du caractère multiplicateur de l’effet de levier sur la dette.

Endettement privé et progression boursière des actions devinrent deux compagnons inséparables. Ce mariage du lucre et de la cupidité, en se perpétuant, s’est manifesté en 2007/2008 comme l’une des composantes de la débâcle financière.

Selon les économistes américains, George Akelop et Robert Schiller, la vague spéculative aurait multiplié la capitalisation de ce marché par 8 et hissé à 18 trillions de dollars le portefeuille actions des ménages américains.

Le renversement de tendance du NYSE, en 2000, engendré par la débâcle des dotcoms, déclencha un enchainement d’évènements lourds de conséquence :

- Une baisse des taux d’intérêt par la Banque centrale américaine, soucieuse d’éviter que l’activité économique ne souffre de la chute de la Bourse.

L’arrivée sur le marché de la masse de capitaux, libérés par cette chute, allait imposer aux institutions financières de rechercher un nouvel investissement capable de satisfaire l’addiction au lucre ancrée, chez leurs détenteurs, par dix-sept années d’un enrichissement rapide, sans risque.

Les banques et les professionnels de la gestion de l’épargne n’eurent pas besoin de déployer de grands efforts pour conclure que le seul actif existant, générateur de plus-values et de rendements répondant à cet objectif, était l’immobilier résidentiel.

Ce constat a été le détonateur de la crise de 2008, qui, dans la mémoire de l’opinion publique mondiale, demeure qualifiée de crise des "subprimes". Qualification donnée aux hypothèques contractées avec des débiteurs notoirement insolvables et auxquels aucune avance en espèces n’avait été imposée.

Dans la réalité complexe de la crise, cette définition ne traduit que celle d’une de ses composantes.

Pour les institutions financières détentrices de ces hypothèques, la seule manière de recueillir les profits de leur laxisme était d’en répartir les risques dans le marché, en organisant leur liquidité.

Atteindre cet objectif dans un contexte où, depuis le début des années 1990, l’innovation financière avait considérablement progressé et généralisé l’utilisation des algorithmes, qui aujourd’hui font fureur dans tous les domaines, était chose facile.

Un nouveau produit financier fut créé, répondant à la nécessité de fractionner les risques pour permettre leur redistribution.

Ce produit était un cocktail, opaque, d’hypothèques et de dettes irréductibles à une analyse convenable des risques qu’il recelait.

Les banques et autres institutions financières américaines en distribuèrent 4 trillions de dollars. Leur diffusion connut un tel succès que les prix de l’immobilier résidentiel augmentèrent de 67%.

Cet afflux de richesses vers la seule strate de la population s’intéressant à l’achat d’actions de sociétés cotées a déjà été souligné sur Atlantico le 27 mai dernier par l’excellent commentateur qu’est Monsieur Nicolas Goetzmann, comme source d’inégalités.

Cette chronique s’adresse à un problème différent, consistant à noter qu’une relance de la croissance considérée comme indispensable à l’époque où elle a été décidée, peut, dans certains cas de figures exceptionnels, avoir à plus long terme des effets pervers incontrôlables.

Dans celui de la crise de 2008, certains régulateurs de l’économie américaine ont tenté d’alerter leur hiérarchie sur la menace d’éclatement d’une bulle immobilière. Ils n’ont jamais été écoutés et quelquefois même déplacés. Dans la réalité, nombreux sont les observateurs de la scène financière ayant vu ce que beaucoup d’autres ne voulaient pas voir. La dénonciation publique, par eux, de cette menace les aurait fait considérer comme des trouble-fêtes. S’attaquer à l’euphorie ambiante sans pouvoir apporter la moindre preuve que la bulle, dont on connait l’existence, va exploser est un effort voué à la dérision et à l’échec.

Cassandre ne saurait avoir raison.

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