La génétique rend-elle toute égalité sociale illusoire ? Partie 1 : les défis pour l'éducation<!-- --> | Atlantico.fr
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La performance scolaire reposerait à 70% sur l'intelligence innée.
La performance scolaire reposerait à 70% sur l'intelligence innée.
©Reuters

L'ADN, c'est plus fort que toi

Premier épisode de notre série sur les liens entre l'égalité sociale et la génétique. En octobre 2013, un rapport remis au gouvernement britannique préconisait que les enseignants prennent davantage en compte l'influence de la génétique dans la réussite des enfants à l'école. A l'en croire, la performance scolaire reposerait à 70% sur l'intelligence innée et donc bien plus que sur la qualité de l'accompagnement.

Monique de Kermadec

Monique de Kermadec

Monique de Kermadec

Psychologue clinicienne et psychanaliste, spécialiste de la précocité et la réussite chez l'enfant et l'adulte. Elle est l'auteur de Le petit surdoué de six mois à six ans et de Pour que mon enfant réussisse parus chez Albin Michel.

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Atlantico : D'après un rapport remis à l'automne 2013 par Dominic Cummings, conseillé du secrétaire à l'éducation britannique (voir ici), les professionnels de l'éducation devraient davantage prendre en compte l'influence de la génétique sur la réussite des enfants à l'école. Pour lui, 70% de la performance scolaire reposerait sur les gènes de l'enfant, beaucoup plus que sur la qualité de l'enseignement : la réussite à l'école est-elle autant liée à la part d'inné que  le dit ce rapport ? Pourquoi ?

Monique de Kermadec : Je suis surprise du pourcentage cité, car on ne peut pas quantifier avec autant de certitude le pourcentage de la part génétique dans l'intelligence. Généralement on dit de manière prudente que la chose se joue à 50-50, car il est difficile, au point où en sont nos recherches, de quantifier la part génétique. Ce chiffre de 70% sert surtout, à mon sens, à alarmer les décideurs.

Dans les tests d'intelligence utilisés en France, on considère que la norme, qui est un QI de 100, est atteinte par environ 50% de la population. On sait qu'un certain pourcentage éprouve des difficultés de concentration, mais celui-ci se situe dans les 25-30%. Au-delà, les capacités de compréhension et de gestion de l'information permettent tout à fait de mener des études. Alors oui, il existe une inégalité, certaines personnes naissent avec des aptitudes intellectuelles qui sont plus fortes que d'autres.

Les positions de Mr. Cummings sont d'autant plus gênantes que l'on voit bien que les enfants précoces ou surdoués, qui appartiennent aux 2% de la population ayant des capacités intellectuelles très élevées, peuvent se retrouver en échec  scolaire, voire être orientés vers des filières courtes ou professionnelles. La capacité à réussir dans les études n'est donc pas uniquement liée au QI, contrairement à ce que l'on pourrait croire.  D'ailleurs, on estime qu'un tiers des personnes dites surdouées sont confrontées à des difficultés scolaires, car elles n'ont pas appris à étudier, ni acquis les méthodes nécessaires pour restituer efficacement l'information dans un contexte scolaire.

D'après l'américaine Kathryn Asbury, auteur de "G is for Genes, The impact of genetics on Education and Achievement", l'égalité dans l'éducation, c'est lorsqu'on donne à chaque enfant la possibilité d'optimiser ses qualités déterminées par ses gènes (voir ici). Les enfants, selon leur profil, nécessiteraient donc un accompagnement différent. Est-ce cela l'avenir, un système éducatif à la carte ?

La position défendue par Kathryn Asbury pourrait laisser entendre qu'il devrait y avoir une éducation à plusieurs niveaux, avec d'un côté les génies, de l'autre les cas désespérés. Il est vrai qu'une personne qui est capable d'apprendre vite et bien a intérêt à intégrer un programme accéléré et plus approfondi, qui lui permettra de faire ses apprentissages au mieux. Vouloir faire travailler un groupe hétérogène au même niveau est voué à l'échec, car l'enseignant perd la part la plus intellectuellement performante de la classe, mais également la plus défaillante. Force est donc de constater que l'enseignement se fait réellement auprès d'un tiers de la classe. Il ne faut créer des classes de "débiles mentaux" et de "génies", mais éviter en même temps une trop grande hétérogénéité. L'égalité des chances ne réside pas dans le fait de donner accès à la même chose, mais de donner des supports appropriés pour permettre des apprentissages au plus grand nombre. L'essentiel est que chacun puisse aller au maximum de ses possibilités.

Nos aptitudes ne sont pas égales, mais l'environnement peut aussi bien les valoriser que les atténuer. Si on grandit dans un cadre qui valorise et accompagne les études, alors on tire bien logiquement le meilleur parti de l'enseignement. Si on évolue dans un environnement dans lequel les études ne sont pas accompagnées, alors l'échec scolaire apparaît très rapidement.

Reconnaître que nous ne sommes pas égaux, ou du moins différents face à l'apprentissage, est-ce aller contre le principe d'égalité promu par l'Education nationale ?

Albert Jacquard disait que nous sommes tous intelligents et qu'il est totalement faux de chercher à sérier et grouper les gens en fonction d'un prétendu niveau intellectuel. Sa position était extrême, car il est vrai que nous n'apprenons pas tous de la même manière et avec la même rapidité. La pédagogie, plutôt que d'essayer de normaliser le contenu d'un programme et de le délivrer à tout le monde au même rythme, devrait prendre acte de cette réalité. Bien sûr, le tutorat individuel généralisé à tous les élèves n'est matériellement pas réalisable, mais il faudrait tout de même former les enseignants à une compréhension des besoins de l'enfant, pour pouvoir travailler de temps à autres au sein de la classe à des rythmes différents.

Compte tenu de ces observations sur la part d'inné et la part d'accompagnement à quoi le système éducatif optimal ressemblerait-il ?

Au moment où on a créé le système de cycles de trois ans (grande section, CP, CE1...), l'idée était de former les enseignants afin qu'ils soient en mesure d'enseigner les matières de ces trois niveaux, et qu'en fonction du besoin de certains enfants, l'enseignant pourrait s'adapter et avancer à différents rythmes. Avec des classes de 30 enfants, l'enseignant n'a jamais l'occasion de connaître le fonctionnement de chaque élève. Dans certains pays des tests de QI sont pratiqués systématiquement, non pas pour séparer les déficients des surdoués, mais pour mieux discerner la pédagogie qui sera adaptée aux besoins de l'élève. Cela ne se fait pas en France, essentiellement pour des raisons idéologiques : on a tendance à penser qu'il ne faut pas faire de tri, car ce serait enlever aux enfants une chance égale de réussite. Il y a donc dans les choix pédagogiques une part fondamentalement politique : soit on reconnaît les élites, on les encourage et on leur donne un programme spécial, soit on repousse cette notion d'élite et on cherche à faire fonctionner tout le monde de la même manière. Dans ce second cas, on confond l'égalité des aptitudes avec l'égalité de chances données à enfant d'apprendre dans un contexte scolaire.

Pour conclure, on ne peut pas nier la génétique, tout comme on ne peut pas tout réduire à elle : il existe une part innée de l'intelligence certes, mais tout dépend de la manière dont on lui permet de se développer. Une très grande intelligence peut être dangereuse et génératrice d'échec si elle n'est pas correctement accompagnée. De cela, Dominic Cummings et Kathryn Ashbury ne tiennent pas compte, ce qui rend leur réflexion sur l'éducation incomplète. A titre d'exemple, le QI d'une personne peut varier de dix points selon le cadre dans lequel celle-ci grandit.

A lire du même auteur : "Le petit surdoué, de 6 mois à 6 ans", Monique de Kermadec et Sophie Carquain, (Albin Michel éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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