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La génération perdue de l’autisme : ces adultes qu’on a sacrifiés au nom de diagnostics erronés
©Reuters

"Lost in translation"

Certains autistes passent encore une grande partie de leur vie sans savoir qu'ils le sont, envoyés à défaut dans des établissements psychiatriques ou soignés pour des troubles qu'ils n'ont jamais eu. La France est en effet très en retard concernant la prise en charge de cette maladie, au point d'être sanctionnée par l'Union européenne.

Lise  Malézé

Lise Malézé

Lise Malézé est psychologue, spécialisée dans la prise en charge des personne autistes et l'accompagnement de leurs familles. Elle est directrice d'un Lieu d'Accueil Enfants Parents, et exerce au sein du centre Happy Families à Paris ainsi que pour l'association Asperger Amitié.

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Atlantico : Selon un article de The Atlantic, toute une génération d'autistes américains qui ont aujourd'hui autour de 50/55 ans ont été mal diagnostiqués, mal soignés et placés à tort dans des hôpitaux psychiatriques. Certains parents porteurs des troubles autistiques les plus légers découvrent même aujourd'hui en même temps que leur enfant qu'ils souffrent de ce syndrome. Est-ce le cas en France ?

Lise Malézé : Oui, ce phénomène a bien lieu en France et je dirais certainement plus qu’aux Etats-Unis, car nous sommes très en retard sur la pose du diagnostic et la prise en charge de l’autisme par rapport aux autres pays, au point que l’on paye des amendes à l’Union européenne parce qu’on ne respecte pas assez les lois en vigueur.

Il n’y a pas assez de structures spécialisées, et beaucoup d’enfants autistes se retrouvent dans des hôpitaux psychiatriques alors qu’ils auraient la capacité de suivre à l’école si des mesures étaient mises en place pour qu’ils puissent rester dans le cadre scolaire.

Des parents qui souffrent de troubles autistiques légers découvrent aussi qu’ils sont autistes seulement lorsque que l’on diagnostique leur enfant (si l’on ne connaît pas encore la cause précise de l’autisme, il est possible qu’il y ait une prévalence génétique, car cette maladie peut se transmettre de génération en génération), et je vois encore très fréquemment des adultes de 25/30 ans qui apprennent sur le tard qu’ils sont autistes.

Ce problème s’aggrave dès que l’on s’éloigne de Paris, dans des régions où les familles ont moins accès à la psychologie en général.

C’est très dommageable, car si on ne peut pas guérir totalement de l’autisme, plus un sujet est détecté jeune, plus il fera de progrès pour parvenir à s’intégrer dans la société.

La pose du diagnostic, même tardive, est-elle bénéfique pour une personne autiste ? 

Face à la pose du diagnostic pour des troubles autistiques légers, il y deux types d’attitudes.

Certaines personnes sont soulagées de mettre des mots sur leurs différences, et en arrivent même parfois à la revendiquer. Cela leur permet aussi de toucher les allocations handicap et d'avoir des aménagements de leurs conditions de travail.

D’autres personnes, en général bien entourées par leur famille et des amis porteurs, préfèrent au contraire minimiser le problème ou l’accepter comme tel sans entamer une démarche de soins, car ils ne souhaitent pas se voir coller une étiquette d’handicapé sur le front. On observe le même phénomène chez les parents d’enfant autiste, qui ont du mal à accepter que leur petit soit différent des autres.

Quels signes doivent alerter les parents sur de possibles troubles autistiques de leur enfant ? 

Quand il s'agit des tous petits de moins de trois ans, ce sont des enfants qui sont très peu en interaction avec les autres, qui ne regardent pas leur maman quand elle leur donne le biberon par exemple, qui sont trop calmes et restent dans leur coin.

A partir de deux ans, les enfants autistes ne développent pas ce qu’on appelle du jeu symbolique, c’est-à-dire jouer à la dinette ou à la poupée. Ils vont se réfugier dans des rituels obsessionnels, comme faire tout le temps le même jeu par exemple, ou lire tout le temps le même livre.

Quand ils grandissent, les enfants autistes peuvent ne pas développer le langage, ou alors ils développent au contraire un langage très riche mais qui n’a pas valeur de communication, c'est-à-dire qu'ils se racontent leurs propres histoires, ils ne parlent que pour eux-mêmes. Un enfant autiste ne communique pas avec les autres de manière générale (pour les enfants souffrants du syndrome d'Asperger par exemple, ils ne vont pas montrer du doigt quand ils veulent quelque chose).

L’enfant autiste peut aussi avoir des troubles du comportement, comme faire des crises violentes de colère quand on change ses habitudes ou qu’on fait une sortie.

Ces enfants peuvent aussi se mordre, se taper la tête contre un mur ou balancer leur main devant leur yeux (ce sont des mécanismes qui les aident à se calmer).

A-t-on tout de même progressé dans la pose du diagnostic du syndrome autistique en France au cours de ces dernières années ? 

Oui, on a progressé dans la pose du diagnostic, même si les inégalités territoriales restent très fortes. En région parisienne, on arrive maintenant à diagnostiquer des enfants dès 3 ou 4 ans.

Mais malheureusement ce sont souvent les écoles qui font des signalements, alors qu'en général les parents sentent très tôt que leur bébé à un problème. Les médecins et les professionnels de la petite enfance sont assez mal formés en ce qui concerne les tous petits ; la plupart minimisent le problème, où alors ne savent tout simplement pas vers qui orienter les parents, qui entament alors un véritable parcours du combattant pour arriver à faire diagnostiquer leur enfant et mettre en place une prise en charge adaptée. Sans compter bien sûr les blocages psychologiques qui poussent bien souvent les parents à fermer les yeux et à mettre plusieurs années avant de franchir les portes d'un hôpital ou de consulter un psychiatre.   

Vers qui les parents peuvent-ils se tourner actuellement en France pour aider leur enfant ? 

Il existe dans chaque région un centre dédié à l’autisme, où les parents peuvent aller obtenir des informations et s’orienter.

En région parisienne, il y a des bilans qui sont proposés dans certains hôpitaux - Robert-Debré, la Pitié Salpétrière, Necker ou le centre de Créteil - spécialisés dans le diagnostic de l’autisme. C’est plus souvent dans les hôpitaux avec des cellules spécialisées qu’on arrive à détecter le problème rapidement, même si le délai d’attente pour un premier rendez-vous est au moins de six mois.

Sinon, il y a aussi les psychologues en libéral qui proposent leur service, mais c’est plus difficile d’être remboursé par la Sécurité sociale.

Pourquoi la France cumule-t-elle d'un tel retard dans dans la prise en charge de ce syndrome ? Est-ce un mal encore tabou ? 

Tabou, je ne sais pas, parce qu’on parle maintenant de plus en plus de l’autisme.

Le problème vient plutôt des stéréotypes que les gens ont dans la tête : celui des autistes géniaux comme le héros du film "Rain Man", ou celui d’un patient totalement attardé qui se balance au fin fond des hôpitaux psychiatriques, alors que c’est souvent des gens presque normaux qui ont juste des difficultés sociales et un peu du mal à s’adapter. Cela s’explique tout simplement par le fait que concrètement, la majorité des gens ne savent pas ce que c’est réellement qu’un autiste, s’ils en croisent un ils vont juste le trouver un peu bizarre, un peu malpoli ou un peu fou, c’est tout.

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